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Les souvenirs engagés de Paul Piché, frère d’armes de Pierre Falardeau

- Charles Rioux

À l’occasion des 35 ans de son album Sur le chemin des incendies, le chanteur Paul Piché s’est entretenu avec le journalist­e Sté‐ phane Leclair pour l’émis‐ sion Les grands entretiens. Il revient notamment sur le caractère engagé de son oeuvre et sur son militan‐ tisme, racontant comment il avait envisagé de faire sauter un pont avec Pierre Falardeau pour bloquer un projet de barrage hydro‐ électrique dans les an‐ nées 1970.

Rencontré au Cégep Lio‐ nel-Groulx, où il a vécu son éveil musical, le chanteur a es‐ quissé un portrait de sa car‐ rière avec, en filigrane, les en‐ jeux sociaux qui ont imprégné les textes de ses plus grandes chansons.

Pour écouter intégrale‐ ment l'entrevue de Stéphane Leclair avec Paul Piché, ren‐ dez-vous sur la page de l'émission Les grands entre‐ tiens.

Sur le chemin des incen‐ dies est le cinquième album studio de Paul Piché. Sorti en 1988, il a connu un grand suc‐ cès commercial, s’écoulant à près de 200 000 exemplaire­s, avec des chansons comme J’appelle, Sur ma peau ou en‐ core Un château de sable.

Bien que l’album soit paru 10 ans après ses débuts, Paul Piché affirme que c’est la pre‐ mière fois qu’il réalisait qu'il accompliss­ait son rêve d’en‐ fance, un rêve longtemps in‐ avoué par peur de le tuer dans l'oeuf.

Je rêvais secrètemen­t d’être chanteur, mais je n’osais pas en faire un vrai rêve officiel, parce que j’avais peur que ça ne marche pas et que je n’aie plus de rêve, ex‐ plique-t-il. Il a fallu que je fasse deux ou trois disques avant d’accepter complèteme­nt le fait que j’étais un chanteur.

De ses débuts au café étudiant à sa rencontre avec Beau Dommage

Né à Montréal et ayant grandi à Laval et à La Minerve, un petit village des Lauren‐ tides, c’est au Cégep LionelGrou­lx, à Sainte-Thérèse, que Paul Piché fait ses premiers pas sur scène. Après un se‐ condaire plutôt désastreux sur le plan scolaire, il est entré au cégep de justesse, accepté sous conditions. Déjà, sa flamme militante avait com‐ mencé à briller.

J’ai embarqué dans ma vie intellectu­elle à ce moment-là.

J’ai même fait un documen‐ taire, Un problème indien ou blanc, se rappelle-t-il. Tourné à Kahnawake, le documen‐ taire de 1972 cerne plusieurs problémati­ques vécues par les peuples autochtone­s, abordant au passage la constructi­on de barrages dans la baie James.

À la même époque, il est invité à donner une presta‐ tion au café étudiant du cé‐ gep, interpréta­nt pour la pre‐ mière fois des chansons comme Essaye donc pas et Y’a pas grand chose dans l’ciel à soir, qui se retrouve‐ ront sur son premier album, À qui appartient l’beau temps (1977).

Il répétera rapidement l’ex‐ périence, et c’est au même ca‐ fé qu’il fera la rencontre des membres de Beau Dommage, qui ne formaient pas encore officielle­ment un groupe. Cette rencontre s’avérera dé‐ terminante pour lui, puisque c’est Robert Léger – qui signe‐ ra par la suite plusieurs des succès de Beau Dommage – qui poussera Paul Piché à en‐ registrer son premier disque.

Il y a plusieurs membres de Beau Dommage qui ont joué sur le disque, et d’autres amis de Robert, dont un groupe qui s’appelait Octobre,

Mario Légaré et même Serge Fiori, qui est venu jouer de la guitare, ajoute le chanteur.

Une rencontre décisive avec Pierre Falardeau

C’est aussi à l’adolescenc­e que Paul Piché découvre sa fibre souveraini­ste, en oppo‐ sition directe au fédéralism­e convaincu affiché par son père, avec qui il affirme s’être toujours bien entendu, mal‐ gré leurs divergence­s d’opi‐ nions.

C’était un peu compliqué, mon identité, parce que ma mère est anglophone, donc j’écoutais la télé juste en an‐ glais. Mais à un moment don‐ né, j’ai compris que j’étais Québécois et qu’il fallait que j’accepte ma différence en Amérique du Nord, expliquet-il. Et que de défendre cette différence-là était une ri‐ chesse pour l’humanité.

Le principal catalyseur de la ferveur indépendan­tiste de Paul Piché a sans aucun doute été sa rencontre avec Pierre Falardeau, alors profes‐ seur d’anthropolo­gie à LionelGrou­lx, qui est rapidement devenu l’un de ses très grands amis et un frère d’armes dans la lutte pour un Québec sou‐ verain et plus égalitaire.

Ça a vraiment été un mo‐ dèle, il m’a influencé sur le plan des idées, de la politique, sur la façon de voir le monde en général. Il m’a aussi beau‐ coup influencé sur l’attitude, affirme le chanteur.

Au début, le personnage de Paul Piché, c’était la che‐ mise à carreaux, les bottes de travail, la dégaine, la façon de parler… tout ça, c’est du "falar‐ dien" total.

Paul Piché

Coup d’éclat planifié à Matagami

Le militantis­me de Paul Pi‐ ché a toujours été pacifique, que ce soit à travers ses chan‐ sons ou par la création du mouvement Artistes pour la souveraine­té au référendum de 1995. Il raconte toutefois qu’avec Pierre Falardeau, ils ont failli sauter la clôture au début des années 1970.

Faroucheme­nt opposés à la constructi­on de barrages hydroélect­riques dans la baie James en raison de leur im‐ pact potentiell­ement dévasta‐ teur sur les population­s lo‐ cales autochtone­s, ils ont en‐ trepris de faire exploser un pont à Matagami pour retar‐ der le projet.

On était tous contre le projet parce qu’il ne respectait pas du tout les droits des Au‐ tochtones, et avec ma gang de chums du cégep et Pierre Falardeau, on a décidé d’aller faire sauter le pont. On est partis d’ici en char, cinq gars, pour aller voir, se rappelle-t-il.

Pierre et moi, on s'est amusés à faire de l’escalade en dessous du pont pour voir où on allait mettre les explosifs, mais on a regardé la situation et on s’est dit que c’était trop dangereux que quelqu’un meure.

L’art pour changer le monde

S’il s’est engagé sur le ter‐ rain tout au long de sa vie, une bonne partie des revendi‐ cations de Paul Piché pas‐ saient plutôt par ses chan‐ sons : appui aux mouvements de grève sur Jean-Guy Léger, à la cause féministe sur Où sont-elles (écrite avec sa femme de l’époque, Armande Darmana), dénonciati­on du sort réservé aux communau‐ tés autochtone­s sur La gigue à Mitchounan­o ou encore fer‐ veur souveraini­ste sur Voilà c’que nous voulons.

De passage à la télévision de Radio-Canada en 1996, le chanteur et son grand ami ci‐ néaste se sont fait poser la question : est-ce que l’art peut changer le monde?

Bien naïvement, moi je fais des trucs pour ça [changer le monde], tout en sachant que je n’y arriverai jamais. Je pense à l’écrivain George Orwell qui disait : "sans espoir, mais avec déterminat­ion", avait répon‐ du Falardeau, un peu cynique.

La réponse de Paul Piché illustre peut-être l’une de ses principale­s différence­s avec son ami : Moi [j’y crois], sinon je ferais autre chose. C'est ma première raison de faire de la chanson. Falardeau me disait que j’étais optimiste, et c’est

vrai. J’ai l’impression que je vais réussir à changer le monde.

Ce texte a été écrit à partir d'une entrevue réalisée par Stéphane Leclair pour l'émis‐ sion Les grands entretiens. Les propos ont pu être édités à des fins de clarté ou de

concision.

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