Radio-Canada Info

Le mois maudit de Justin Trudeau

- Daniel Thibeault

Le gouverneme­nt Trudeau a souvent eu de la difficul‐ té à gérer les crises qu’il traversait. Celle de l’ingé‐ rence étrangère dans les récentes élections fédé‐ rales est en voie de devenir un autre exemple.

Ma collègue Susan Dela‐ court du Toronto Star remar‐ quait, avec justesse, la se‐ maine dernière, que le mois de février avait souvent été une source de maux de tête pour Justin Trudeau. Théâtre de crises parfois inattendue­s, parfois auto-infligées, mais la plupart du temps, très mal gé‐ ré.

En février 2017, moins d’un an et demi après son arrivée au pouvoir, le premier mi‐ nistre se retrouvait en pleine tourmente pour ses vacances des fêtes en famille sur l’île pri‐ vée de l’Aga Khan. Un an plus tard, c’est son voyage en Inde et les fameux costumes tradi‐ tionnels qu’il y a portés qui faisaient la manchette.

En 2019, c’est le fracassant départ de Jody Wilson-Ray‐ bould et l’affaire SNC-Lavalin qui a causé des soucis au pre‐ mier ministre. Une crise que nous aurions pu mieux gérer dès le début, m’avait confié quelques mois plus tard un conseiller du gouverneme­nt.

En 2020, c’est la réponse au blocage de la voie ferrée par des manifestan­ts autoch‐ tones en appui à la nation Wet’suwet’en. Dans les jours qui ont suivi, il a été pris à par‐ tie pour sa lenteur à fermer les frontières afin de limiter la propagatio­n du virus de la COVID-19.

L’an dernier, ce sont les manifestan­ts qui ont bloqué la frontière et paralysé le centre-ville d’Ottawa qui sont venus ternir un autre février.

Un autre février, une autre crise

Cette année, le gouverne‐ ment libéral vient encore une fois de traverser un mois de février difficile, cette fois en raison des allégation­s d’ingé‐ rence étrangère lors des ré‐ centes élections fédérales. Une affaire qui colle à Justin Trudeau depuis plus de deux semaines, alimentée par des articles des collègues du Globe and Mail et du réseau de télévision Global, qui nour‐ rissent le doute sur certaines affirmatio­ns du premier mi‐ nistre. Que savait-il des risques d’ingérence? Quand at-il été alerté? A-t-on fait tout le nécessaire pour limiter l’in‐ fluence d’acteurs chinois ou étrangers?

Justin Trudeau a beau vou‐ loir se faire rassurant et affir‐ mer que l’intégrité du sys‐ tème électoral canadien n’a ja‐ mais été compromise, l’ab‐ sence de détails et, surtout, de réponses claires aux ques‐ tions des journalist­es et de l’opposition ne l’aide pas à cal‐ mer la donne.

On a attendu trop long‐ temps pour offrir une solu‐ tion, me soulignait mardi le conseiller d’un ministre impli‐ qué dans le dossier. On a per‐ du le contrôle du message.

Résultat, quand le premier ministre a offert son scénario de sortie de crise lundi, plu‐ sieurs se demandaien­t s’il n’était pas déjà trop tard.

Une solution qui ali‐ mente la grogne

Alors que des voix s’élèvent pour réclamer la te‐ nue d’une enquête publique, Justin Trudeau propose plutôt de confier le mandat au comi‐ té des parlementa­ires sur la sécurité nationale et le rensei‐ gnement. Un groupe de dépu‐ tés et de sénateurs autorisés à réviser des documents très secrets, mais incapables de les commenter en public.

Il confie à un rapporteur spécial le mandat de détermi‐ ner s’il faut aller au-delà du travail du comité secret. Cet éminent Canadien pourra proposer la tenue d’une en‐ quête publique, d’une com‐ mission, ou de tout autre fo‐ rum qu’il jugera approprié. Le gouverneme­nt promet de suivre ses recommanda­tions.

Un rapporteur, a lancé Pierre Poilievre sur le ton de la dérision. Est-ce que ça vient avec un costume? Une cape et une épée peut-être? Comme si la solution propo‐ sée ne faisait qu’alimenter les attaques. Mardi, c’est le mi‐ nistre Dominic Leblanc qui a essuyé les salves de l’opposi‐ tion. Mercredi, Pierre Poilievre a consacré la période de ques‐ tions à souligner les appa‐ rentes contradict­ions entre les propos du premier mi‐ nistre et les articles publiés dans les médias. La sortie de crise qu’espérait le gouverne‐ ment ne s’est clairement pas matérialis­ée.

La dernière chance pour Justin Trudeau réside peutêtre dans celui ou celle qu’il choisira pour devenir le rap‐ porteur. Si la personne est neutre, sans reproche et ca‐ pable d’obtenir l’appui d’une majorité des partis d’opposi‐ tion, il pourra peut-être cal‐ mer la donne.

Autrement, cette affaire d’ingérence étrangère pour‐ rait bien devenir un autre exemple de l’incapacité du gouverneme­nt Trudeau à ré‐ gler les crises avant qu’elles ne prennent une proportion dé‐ mesurée. Un autre difficile mois de février.

Comme me l’a déjà souli‐ gné un ancien collaborat­eur du gouverneme­nt Trudeau, on gouverne toujours en se disant qu’un autre SNC-Lava‐ lin n’est peut-être pas très loin.

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