Radio-Canada Info

La route est longue pour les acheteurs de véhicules neufs

- Grégory Wilson

Les Canadiens voulant s’acheter une voiture neuve devront prendre leur mal en patience en‐ core longtemps alors que les délais d’attente pour l’obtention du véhicule pourraient durer encore un an.

Début 2022, Adam Becker et sa femme ont décidé qu’ils allaient avoir un deuxième en‐ fant. En l'occurrence, ce ré‐ sident de Thornhill, au nord de Toronto, a voulu se procu‐ rer un nouveau véhicule plus spacieux, une Cadillac Esca‐ lade, pour accommoder sa fa‐ mille grandissan­te.

Sachant qu’il allait faire face à un long délai de livrai‐ son, il s’est pris d'avance.

Je dirais que j’ai entamé mes recherches en janvier, ra‐ conte M. Becker. On a pris une décision et signé une en‐ tente en avril.

On lui a alors indiqué que sa voiture arriverait dans huit à dix mois, soit en février 2023 au plus tard. Le père de fa‐ mille n'a eu aucune nouvelle du concession­naire depuis la signature de son contrat.

Composant également avec le fait que son bail sur son véhicule actuel prend fin en mai cette année, M. Becker a lui-même appelé son concession­naire il y a deux mois pour obtenir une mise à jour.

Ils m’ont dit qu’ils n’ont pas de nouvelles, mais qu’ils gar‐ deront l'oeil ouvert, lâche-t-il, avec un rire incrédule.

Il n’y a pas d’échéancier. On m’a dit qu’essentiell­ement, la voiture arrivera quand elle arrivera.

Adam Becker

Des délais de production et un marché moins convoité

Outre la pénurie de semiconduc­teurs qui sévit tou‐ jours, des experts en automo‐ bile expliquent que les délais actuels pour se procurer un véhicule sont notamment dus à des retards de production ainsi que la valeur du marché canadien pour les fabricants d’automobile­s.

La production des véhi‐ cules neufs en 2022 et en 2021 est à peu près 20% plus faible par rapport à la norme, sou‐ tient le directeur de l’Associa‐ tion pour la protection des automobili­stes (APA), George Iny.

Il explique que la pandé‐ mie a notamment causé des fermetures temporaire­s d’usines d’assemblage de fournisseu­rs de pièces, dont les effets se font toujours sen‐ tir dans la chaîne d’approvi‐ sionnement.

M. Iny évoque également que des embouteill­ages au ni‐ veau des ports ont fait en sorte que des composants pour les automobile­s ont sou‐ vent été retardés et même les voitures assemblées ont dû attendre parfois quelques se‐ maines de plus pour être li‐ vrées.

De son côté, Jesse Caron de CAA-Québec estime que des fabricants d’automobile­s voient le Canada comme un plus petit marché.

Donc, certains construc‐ teurs décident de concentrer leurs livraisons, de privilégie­r un marché comme les ÉtatsUnis, ou la Chine aussi par exemple, avant le Canada.

Jesse Caron, analyste auto‐ mobile pour CAA-Québec

À titre d’exemple, l’expert affirme que l'on peut facile‐ ment se procurer une Ford Bronco chez nos voisins du sud, tandis qu’ici au Canada, c’est encore très long avant d’obtenir son exemplaire.

Vers un retour à la nor‐ male?

M. Caron souligne que cer‐ tains observateu­rs s’at‐ tendent à un retour graduel à la normale d’ici 2024, 2025, et que l’inventaire grandissan­t de certains concession­naires pourrait être interprété comme des signes encoura‐ geants à cet effet.

Cela dit, l’analyste pour CAA-Québec note que cer‐ tains concession­naires pour‐ raient décider de garder un in‐ ventaire plus restreint à l’ave‐ nir, remarquant qu'ils font au‐ tant de profits qu'auparavant avec moins de ventes, car chaque véhicule peut être vendu au plein prix, sans avoir besoin d’octroyer de ra‐ bais ou l'offre de taux d’inté‐ rêt très faibles.

Donc, est-ce qu’ils vont vouloir retourner dans ces modèles-là ou ils devaient dé‐ penser beaucoup d’argent pour avoir un inventaire de véhicules qui sont disponible­s du jour au lendemain? Peutêtre pas.

Jesse Caron, analyste auto‐ mobile pour CAA-Québec

Il s’agit peut-être d'une si‐ tuation qui sert bien actuelle‐ ment l’industrie, et moins bien les consommate­urs, constate-t-il. Parce qu’évidem‐ ment la marge de négocia‐ tions est beaucoup plus faible qu’elle l’était auparavant.

Un prix à la hauteur de la demande

Ces experts en automobile soulignent par ailleurs que le prix, bien plus élevé qu’aupa‐ ravant, ne décourage pas les consommate­urs à acheter une voiture neuve.

Si on regarde les chiffres qui sortent, par exemple, des analystes de l’industrie, [le prix de certains modèles] a fa‐ cilement augmenté de 50 à 60 % des prix d’il y a deux, trois ans, indique M. Caron.

Malgré tout, remarque-t-il, la demande continue d’être forte, alors on ne s’attend pas à ce que ça diminue.

Les gens étaient pressés d'avoir un véhicule et étaient prêts à payer beaucoup plus cher.

George Iny, directeur de l’Associatio­n pour la protec‐ tion des automobili­stes

Le directeur d’APA observe que cette demande post-pan‐ démique est l’opposé de ce qu’on a constaté durant et après la crise financière de 2008. Il explique que la crise a alors fait chuter la demande de 25 % en 2008 et 2009 et que la demande n'avait tou‐ jours pas atteint son volume habituel en 2010.

Cette fois-ci, c'est l'inverse. Le public, on avait l'impres‐ sion, voulait se gâter, raconte M. Iny.

Selon lui, les paiements di‐ rects du fédéral aux Cana‐ diens pendant la pandémie, comme la Prestation cana‐ dienne d’urgence, semblent avoir encouragé une confiance chez le public.

Depuis, un taux d’intérêt élevé a forcé de nombreux Canadiens à se serrer la cein‐ ture, mais la demande ne semble pas en voie de s'es‐ souffler pour l’instant, ex‐ plique M. Caron.

Ainsi, l’expert de CAA-Qué‐ bec ne voit pas nécessaire‐ ment une baisse des prix à ve‐ nir, alors que les construc‐ teurs, les revendeurs et les détaillant­s s’habituent à faire des profits un peu plus géné‐ reux sur chaque vente.

C’est le marché qui va par‐ ler éventuelle­ment, mais pour le moment, on est plus dans une logique de stabilité des prix ou de hausse qui est en train de s'essouffler.

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