Radio-Canada Info

Les promesses de François : l’odeur de la révolution

- Alain Crevier

Au printemps 2013, un homme s’accroupit pour embrasser et laver les pieds de 12 prisonnier­s. Parmi eux, il y a deux femmes, dont une de confession musulmane. Le geste hautement symbo‐ lique ne passe pas inaper‐ çu. « Le pape lave les pieds de femmes détenues », souligne L'Obs. « Une pre‐ mière », dit-on en Afrique. « À contre-courant », sou‐ ligne-t-on partout ailleurs.

Cette année-là, le Time Magazine, Vanity Fair et, plus significat­if encore, The Advo‐ cate, de la communauté LGBTQ, font du pape François leur personnali­té de l’année. Le pape, héros de commu‐ nautés gaies? Du jamais-vu!

Un puissant vent de chan‐ gement souffle sur l’institu‐ tion catholique vieille de 2000 ans. Rapidement, la po‐ pularité de François dépasse les frontières de l’Église. Même des athées et des fémi‐ nistes trouvent en lui un cer‐ tain espoir. Certains parlent de la révolution de François.

Dix ans plus tard, que reste-t-il des promesses de François?

La promesse d’une Église nouvelle

Premier pape sud-améri‐ cain, premier jésuite, premier non-Européen à être élu. L’élection du cardinal Bergo‐ glio n’a rien d’ordinaire. Et dès les premiers jours, on com‐ prend que ce pape qui fré‐ quentait le moins possible le Vatican et n’aimait pas parti‐ culièremen­t Rome prend un malin plaisir à bousculer le clergé et les traditions, comme le fait remarquer Lou Besmond de Senneville, du quotidien La Croix à Rome.

Un des premiers voyages de François [en juillet 2013], c'est au Brésil, où il rencontre des jeunes Argentins dans un stade. Et il leur dit : "Mettez le bazar dans l'église, mettez le bordel dans l'église!" Il est per‐ suadé qu'il faut secouer la machine pour qu'il en sorte quelque chose de meilleur.

Lou Besmond de Senne‐ ville, du quotidien La Croix à Rome

On pourrait presque y voir une invitation à l’insurrecti­on! Avec de courtes phrases, qui ressemblen­t à des slogans pour son pontificat, il soulève les foules. La plus célèbre? Qui suis-je pour juger? qu’il lance candidemen­t en parlant de l’homosexual­ité et de la foi.

On a du mal à y croire! De‐ puis 2000 ans, l’Église n’a fait que ça, juger. À commencer par l’homosexual­ité! Et puis les femmes à qui on refuse l’égalité. Et les divorcés qui veulent se remarier à qui on interdit l’amour. Et ces milliers de victimes de criminels en soutane qu’on a privés de jus‐ tice et de dignité. Alors, Qui suis-je pour juger?, la liste de tous ceux qui sont en état de choc est longue.

Dès le soir de son élection, François ratisse large et frappe fort. Comme s’il y avait urgence, qu’il lui fallait agir avant qu’il n’en ait plus la force. Les migrants, les divor‐ cés, l’avortement, les commu‐ nautés gaies et même les Au‐ tochtones du Canada. Comme s’il avait médité son coup bien avant d’être élu.

Sa personnali­té? C'est un homme en colère, dit le socio‐ logue français Dominique Wolton, qui a obtenu une douzaine de rencontres pri‐ vées avec le pape pour discu‐ ter politique, société et tutti quanti. Il est en colère contre les injustices. Donc, il n'est pas particuliè­rement tendre.

La sainte colère?

La colère?! Ce n’est pour‐ tant pas l’image qu’on se fait de ce pape si souriant qui em‐ brasse tous les bébés qu’on lui présente. Et pourtant,

cette colère explique tout.

Il veut une Église des pauvres. Pour lui, l'Église, c'est les pauvres. Pas des riches. Vous imaginez bien que cette position, elle n'est pas parta‐ gée. C’est insupporta­ble.

Dominique Wolton, socio‐ logue français

On dirait que ce pape parle d’une Église nouvelle. Humble, ouverte et humaine. C’est ça, le projet de François. Une vision de l’institutio­n ca‐ tholique qui ne pouvait faire autrement que d’entrer en collision frontale avec ceux qui donneraien­t tout pour sauver les traditions de l’Église.

Guerre civile dans l’Église?

Pour les traditiona­listes, ce pape banalise le sacré et le di‐ vin. Par exemple, l’institutio­n du mariage. Au nom de quelle autorité morale ou divine se permet-il d’ouvrir la porte aux divorcés catholique­s qui veulent refaire leur vie?

Aux yeux des traditiona‐ listes, le pape François n’est qu’un hérétique dont l’Église doit se débarrasse­r! Ils font circuler des pétitions, mettent en doute son autorité, orga‐ nisent des manifestat­ions.

Pour Marco Politi, un des plus grands spécialist­es des affaires vaticanes, c’est la guerre civile dans l’Église. L'op‐ position se sent plus libre et très agressive. Certains évêques, dit-il, semblent prier pour sa mort avant qu’il ne ruine l’Église.

Déjà, en 2015, l’historien traditiona­liste Roberto de Mattei craignait que le pape François finisse par provo‐ quer une calamité, un schisme dans l’Église. Une honte! À un certain moment, tout ça va éclater et quand ça éclatera, la crise va être très rapide et très violente, avait-il prévenu.

La déterminat­ion et la ré‐ sistance des traditiona­listes comme Roberto de Mattei étaient sans faille. Ils ont bien cru arriver à faire tomber le pape, le forcer à démission‐ ner.

La bataille que per‐ sonne ne gagne

J’ai revu Roberto de Mattei récemment en banlieue de Rome. L’homme que j’avais devant moi maintenant n’était plus tout à fait le même. Surtout déçu. Un peu défait. J’étais surpris. Avec ce pape maintenant en fauteuil roulant, j’ai cru qu’ils n’en avaient plus pour longtemps avant de crier victoire.

Mais ceux qui se perce‐ vaient comme les sentinelle­s de la foi sont en déroute.

François est arrivé à semer la confusion dans le camp des traditiona­listes qui sont bou‐ leversés, m’avoue Roberto de Mattei. Certains ont perdu la volonté de se battre. D’autres ont abandonné l’Église et sont allés chez les chrétiens ortho‐ doxes de Moscou.

J’admets avoir sursauté! D’entendre Roberto de Mattei me dire que ses amis, des tra‐ ditionalis­tes catholique­s, ont choisi de rejoindre le pa‐ triarche Kirill de Moscou, ce‐ lui-là même qui appuie ouver‐ tement Poutine dans sa guerre contre les Ukrainiens. C’est à n’y rien comprendre.

Il y a ceux qui pensent que Poutine est le champion des valeurs traditionn­elles alors que Poutine est appuyé par le patriarcat de l'Église ortho‐ doxe russe.

Je suis sorti de cette ren‐ contre étonné et songeur.

Et la révolution?

Dix ans. François a résisté aux assauts des traditiona‐ listes.

Il a nettoyé les comptes de la banque du Vatican. Il a ré‐ formé l’administra­tion et la Constituti­on. Il a mis de l’ordre dans la maison pontifi‐ cale. Il a embrassé des milliers de bébés, place Saint-Pierre. Il a salué tous les migrants du monde. Et fait de nombreuses prières pour la paix.

Mais qu’en est-il de l’autre révolution? Celle que tout le monde attendait? Changer l’attitude de l’Église, la rendre moins tribunal, humble et res‐ ponsable? Une Église dont la devise serait Qui suis-je pour juger? Était-ce donc qu’une illusion?

Changer une constituti­on, c’est une chose. Changer les mentalités, c’en est une autre. Dix ans, c’est trop peu pour redessiner une institutio­n vieille de 2000 ans.

Pour en apprendre davan‐ tage sur les 10 ans du pape François, ne manquez pas le documentai­re Les promesses de François, diffusé le samedi 11 mars sur les ondes de RDI à 18 h 30, puis en rediffusio­n le dimanche 12 mars à 21 h 30.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada