Oui, les grandes épiceries font beaucoup d’argent
Les dirigeants des grandes entreprises formant l’oligo‐ pole des épiceries au Cana‐ da ont témoigné devant les parlementaires à Ottawa, mercredi, en fin de jour‐ née. Ils ont tous défendu leurs pratiques, affirmant ne pas profiter du contexte inflationniste pour aug‐ menter indûment leurs prix. À preuve, disent-ils, nos marges de profit n’ont pas augmenté. Cela mérite quand même quelques ex‐ plications supplémen‐ taires.
D’abord, on peut parler d’oligopole, puisque cinq grands groupes détiennent 80 % du marché de l’épicerie au Canada. Des parlemen‐ taires ont évoqué la possibili‐ té d’une forme de collusion entre les grands groupes dans l’évolution des prix. Il n’y a au‐ cune preuve en ce sens et les dirigeants ont rejeté totale‐ ment la possibilité d’une en‐ tente anticoncurrentielle entre les entreprises.
Les PDG martèlent que le marché est très concurrentiel et qu’ils doivent rivaliser de stratégies de toutes sortes pour attirer et retenir la clien‐ tèle. N’empêche, les Cana‐ diens ont l’impression de se faire avoir par les épiciers ces jours-ci, alors que le taux d’in‐ flation des aliments achetés en épicerie s’est établi à 11,4 % en janvier au pays, pra‐ tiquement le double du taux général.
Si les marges de profit n’augmentent pas, les épice‐ ries ont tout de même de plus grandes capacités financières, qui leur permettent d’aug‐ menter les salaires des hauts dirigeants et de mener diffé‐ rentes opérations financières.
Et, même si les marges sont stables, on constate que les actionnaires ont bénéficié du contexte actuel. Depuis que l’inflation dépasse la four‐ chette cible de la Banque du Canada, soit depuis avril 2021, l’action de Metro a bondi de 20 % et celle de Loblaw de 67 %.
De l’argent pour les ac‐ tionnaires
Pour une entreprise comme Metro, le contexte économique est largement fa‐ vorable. En 2022, le bénéfice net de Metro a grimpé de 2,9 %, le chiffre d’affaires a monté de 3,3 %, les divi‐ dendes par action ont pro‐ gressé de 10,3 % et la dette a été réduite de 11,2 %. Su‐ perbe année!
Le bénéfice net dilué par action est passé de 3,14 $ en 2020 à 3,33 $ en 2021, puis à 3,51 $ en 2022.
Dans un communiqué pu‐ blié le 18 novembre dernier,
Metro écrivait qu’elle renou‐ velle son programme de ra‐ chat d’actions pour se doter d’une option supplémentaire pour utiliser ses liquidités ex‐ cédentaires.
Metro pourra ainsi rache‐ ter entre le 25 novembre 2022 et le 24 novembre 2023 un maximum de 7 millions d’ac‐ tions ordinaires, près de 3 % des actions en circulation.
Cette pratique est cou‐ rante parmi les entreprises en bourse. Elle permet, générale‐ ment, d’améliorer le bénéfice par action et le rendement pour les actionnaires.
Hausse de rémunéra‐ tion pour le PDG
Ce résultat, jugé comme une bonne performance fi‐ nancière, peut conduire égale‐ ment à une hausse de la ré‐ munération des dirigeants. La rémunération à risque est principalement liée aux résul‐ tats financiers de la Société, est-il inscrit dans la circulaire de sollicitation de Metro pour l’exercice 2022.
Or, 76 % de la rémunéra‐ tion du PDG Éric La Flèche est dite à risque. La rémunération totale du grand patron de Metro a atteint 5,36 millions de dollars en 2022, en hausse de 6,8 %.
Par ailleurs, la situation fi‐ nancière de Metro permet à l’entreprise d’augmenter ses investissements dans ses ins‐ tallations et activités. Les in‐ vestissements en immobilisa‐ tions en 2022 ont totalisé plus de 620 millions de dollars, un niveau record, est-il écrit dans la circulaire de 2022 de Metro.
Malgré ce niveau record d’investissements, malgré les hausses de salaires et le pro‐ gramme de rachat d’actions, Metro a pu réduire sa dette de 2021 à 2022. Elle est passée de 2,637 milliards de dollars à 2,343 milliards de dollars, une baisse de 11 %.
Si les investissements montent, que Metro renou‐ velle son programme de ra‐ chat d’actions et que la dette baisse, c’est nécessairement parce que Metro génère du cash, vous ne croyez pas?
Des choix financiers
Metro, comme n’importe quelle autre société en bourse, cherche à valoriser l’avoir des actionnaires et à améliorer sa rentabilité. C’est ce qu’elle fait.
Elle profite également de sa situation financière favo‐ rable pour investir et pour ré‐ duire sa dette. Elle a choisi également de racheter des ac‐ tions et d’augmenter son divi‐ dende, dont le versement to‐ tal est passé de 240 millions de dollars en 2021 à 258 mil‐ lions de dollars en 2022.
Si Metro n’est absolument pas responsable de la hausse des prix des denrées, des res‐ sources et de l’énergie, elle est tout de même responsable des choix qu’elle fait. Metro in‐ jecte des millions de dollars pour racheter des actions, pour verser des dividendes, pour bonifier la rémunération de ses dirigeants et pour aug‐ menter ses investissements.
C’est important de bien comprendre que les choix d’une entreprise comme Me‐ tro sont légitimes et sont faits dans l’intérêt des action‐ naires. Mais c’est important aussi de ne pas réduire l’ana‐ lyse de l’état des finances des épiceries à leur seule marge de bénéfice, comme on l’a fait cette semaine lors du témoi‐ gnage des PDG devant les parlementaires à Ottawa.