Les terrains synthétiques mettent-ils la vie des athlètes en danger?
Le Philadelphia Inquirer a publié cette semaine les résultats d’une enquête journalistique fort intéres‐ sante et extrêmement in‐ quiétante. Depuis plu‐ sieurs années, ce quotidien de la ville de l’amour fra‐ ternel cherche à com‐ prendre pourquoi un nombre anormalement élevé d’anciens joueurs des Phillies sont décédés après avoir été frappés de la plus virulente forme de cancer du cerveau : le glioblas‐ tome.
Selon la Fondation cana‐ dienne des tumeurs céré‐ brales, l’incidence du glioblas‐ tome est de 2 à 3 cas pour 100 000 personnes aux États-Unis et en Europe. Or, selon nos calculs, 6 des 376 joueurs qui ont porté les couleurs des Phillies entre 1973 et 1996 ont été emportés par ce type de cancer.
Vue sous cet angle, l’inci‐ dence du glioblastome chez les Phillies est environ 638 fois plus élevée qu’au sein de la population normale.
En 2003, l’ancien lanceur Kenn Brett est décédé à l’âge de 55 ans. Son décès a été sui‐ vi en 2004 par ceux de l’ancien receveur Johnny Oates, à l’âge de 58 ans, et de l’ancien rele‐ veur Tug McGraw, qui était âgé de 59 ans. En 2007, John Vukovich, un ancien joueur d’avant-champ, a perdu son combat contre le glioblas‐ tome à 59 ans. L’ex-receveur étoile Darren Daulton est mort de cette même maladie en 2013, à 55 ans. Et l’an der‐ nier, le nom de l’ancien lan‐ ceur David West s’est ajouté à la liste des victimes du glio‐ blastome.
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Depuis plusieurs années, les anciens joueurs des Phil‐ lies se disent très inquiets. Comme eux, leurs coéquipiers disparus ont défendu les cou‐ leurs de l’équipe alors qu’elle disputait ses matchs à l’ancien Veterans Stadium. Ils se de‐ mandent s’ils ont été exposés à des substances toxiques dans leur environnement de travail, mais cela est impos‐ sible à vérifier puisque le stade a été démoli en 2004.
Pour approfondir la ré‐ flexion sur cette préoccu‐ pante affaire, les journalistes du Philadelphia Inquirer ont eu une idée géniale.
Ils se sont rappelé qu’après la saison 1981, les Phillies avaient changé la surface syn‐ thétique qui recouvrait le ter‐ rain du Veterans Stadium de‐ puis 1977. Et parce que les Phillies avaient remporté la Série mondiale un an aupara‐ vant, l’organisation avait per‐ mis aux partisans de se pro‐ curer, en guise de souvenir, des pièces de 10 centimètres carrés du gazon des cham‐ pions. En scrutant des sites de revente comme eBay, les jour‐ nalistes ont réussi à se procu‐ rer plusieurs de ces pièces. Ils les ont ensuite fait analyser par deux laboratoires spéciali‐ sés.
Or, les analyses ont révélé que la surface synthétique du Veterans Stadium contenait 16 différents types de sub‐ stances per- et polyfluoroal‐ kylées (PFAS).
Certaines PFAS sont main‐ tenant considérées comme des polluants majeurs, toxiques et extrêmement per‐ sistants dans l’environne‐ ment. Les PFAS sont utilisés depuis environ 70 ans dans le monde de l’industrie. Ils ont des propriétés diverses comme la résistance à la cha‐ leur ou l’imperméabilité. Ils sont tellement persistants qu’on en retrouve des traces partout sur la Terre, tant dans l’environnement que dans les organes des animaux et des humains.
Parmi les 16 PFAS retrou‐ vées dans les échantillons du Veterans Stadium, on en re‐ trouvait deux qui sont consi‐ dérées comme faisant partie des plus périlleuses et qui font l’objet de poursuites judi‐ ciaires à travers les États-Unis.
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Seulement quelques-uns des anciens joueurs des Phil‐ lies qui ont été emportés par le glioblastome ont évolué sur la surface de jeu utilisée au Veterans Stadium entre 1977 et 1981. Par contre, tous ont passé leur séjour avec cette équipe sur du gazon synthé‐ tique.
L’un des six disparus des Phillies, Ken Brett, a aussi joué pour les Royals de Kansas City durant sa carrière. Et la sur‐ face du stade Kauffman, le do‐ micile des Royals, a été recou‐ verte de gazon synthétique entre 1973 et 1994. Deux autres ex-membres des Royals, l’ex-releveur Dan Qui‐ senberry (décédé en 1998 à l’âge 45 ans) et l’ex-gérant Dick Howser (décédé en 1987 à 51 ans), ont aussi été emportés par le glioblastome.
C’est aussi le glioblastome qui a emporté l’ex-receveur des Expos, Gary Carter, en 2012 à l’âge de 57 ans.
Carter a disputé les 8 der‐ nières de ses 11 saisons sur une surface synthétique au stade olympique de Montréal. ***
Un autre ancien joueur des Expos, Derek Aucoin, est dé‐ cédé en 2020 après avoir été frappé par cet agressif cancer au cerveau. Il avait 50 ans.
Derek était un ancien ad‐ versaire au baseball junior élite et un ex-confrère que j’appréciais beaucoup. Il n’a disputé que deux matchs dans les ligues majeures. Par contre, il s’est installé à New York après sa carrière. Il a vé‐ cu dans la Grosse Pomme pendant une douzaine d’an‐ nées, au cours desquelles il a enseigné le baseball à temps complet à des jeunes.
Tant les parcs extérieurs que le complexe intérieur où il enseignait le baseball étaient recouverts de gazon synthé‐ tique, confirme la veuve de Derek Aucoin, Isabelle Roche‐ fort.
Je me souviens que lorsque Derek revenait à la maison, il y avait toujours plein de billes de caoutchouc qui étaient collées à ses chaussures, raconte-t-elle.
Isabelle Rochefort a pris connaissance de l’histoire des Phillies de Philadelphie cette semaine.
Ça faisait peur de voir les liens que faisait cet article du Philadelphia Inquirer. Je me suis dit : “Oh mon Dieu! Est-ce qu’il y a des substances no‐ cives dans les surfaces syn‐ thétiques que nous utilisons au Québec?” Je sais qu’en re‐ cherche sur les glioblastomes, les scientifiques n’ont pas en‐ core été capables d’établir un lien de cause à effet.
Depuis la maladie qui a emporté son conjoint, Isa‐ belle Rochefort tente d’ailleurs de sensibiliser la po‐ pulation à l’importance d’éta‐ blir un registre québécois des tumeurs cérébrales.
C’est mon cheval de ba‐ taille, dit-elle. Nous sommes la seule province qui ne tient pas un registre des tumeurs cérébrales. Nous accusons 10 ou 13 ans de retard sur le reste du Canada. C’est un scandale et ça freine la re‐ cherche. À partir du moment où nous aurions des données, les chercheurs pourraient faire quelque chose avec et ça permettrait peut-être d’établir des liens comme ceux qui ont été faits à Philadelphie.
En recherche, tout repose sur la collecte de données. Quand Derek a reçu son diag‐ nostic, nous avons fait énor‐ mément de recherches pour essayer de comprendre. Nous nous demandions, par exemple, si c’était causé par les téléphones cellulaires ou par le Bluetooth. C’est difficile de faire des liens. Par contre, le lien qui a été fait avec les anciens joueurs des Phillies est difficile à ignorer aussi, es‐ time-t-elle.
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Au cours des dernières an‐ nées, d’autres acteurs du monde du sport se sont in‐ quiétés des possibles effets
nocifs des surfaces synthé‐ tiques sur la santé. L’une d’entre elles est d’ailleurs par‐ venue à établir une autre ten‐ dance qui semble beaucoup trop lourde pour être quali‐ fiée de coïncidence.
Au milieu des années 2010, une entraîneuse de l’Universi‐ té Washington State, Amy Griffin, s’est inquiétée du nombre de cancers dont elle entendait parler au sein de la communauté de son sport, le soccer. Incroyablement, en posant des questions, elle s’est rendu compte que 34 des 38 premiers cas qui avaient été portés à son at‐ tention concernaient des gar‐ diens.
Les gardiens ne consti‐ tuant que 9 % des joueurs sur le terrain, la disproportion était évidente. Et qu’est-ce qui distingue les joueurs de soc‐ cer de leurs coéquipiers? Ils passent leur temps à plonger sur le gazon synthétique, lors des matchs ou à l’entraîne‐ ment, pour bloquer des bal‐ lons.
Alarmée, Amy Griffin s’est mise à faire des recherches et à lancer des appels à tous pour recenser le plus grand nombre possible de joueurs de soccer ayant contracté des cancers.
En mai 2020, la liste d'Amy Griffin comprenait 209 cas de cancer ayant frappé des joueurs et joueuses de soccer. Or, 60 % d’entre eux et elles étaient des gardiens de but.
Le cancer le plus répandu parmi l’ensemble de ces ath‐ lètes était la leucémie (48 cas), et 68 % de ces 48 cas étaient des gardiens. Parmi les autres formes de cancers réperto‐ riées, une forte majorité des malades atteints de cancers du cerveau (60 %), des testi‐ cules (64 %), de la glande thy‐ roïde (82 %) et des poumons (100 %) étaient aussi des gar‐ diens et gardiennes. ***
Au fil des ans, la composi‐ tion des surfaces synthé‐ tiques a évolué. Les manufac‐ turiers utilisent dorénavant des billes de caoutchouc, pro‐ venant de pneus usagés, pour que la surface de jeu soit plus réactive et moins domma‐ geable pour les genoux des athlètes.
L’installation d’un seul ter‐ rain de soccer synthétique peut nécessiter de déchique‐ ter jusqu’à 20 000 pneus. Le problème, c’est que de nom‐ breuses études ont démontré que ces billes de caoutchouc renferment beaucoup de sub‐ stances qui provoquent le cancer.
En 2019, une étude de l’Université Yale a démontré que les billes de caoutchouc utilisées pour faire un terrain contenaient 306 agents chi‐ miques, dont 52 étaient consi‐ dérés comme carcinogènes (causant ou pouvant causer le cancer) par l’Agence améri‐ caine de protection de l’envi‐ ronnement.
Alors que ma conversation avec Isabelle Rochefort dé‐ viait vers les inquiétudes des acteurs du monde du soccer, elle m’a rappelé que le glio‐ blastome avait aussi emporté un membre bien en vue de la communauté montréalaise du soccer l’année dernière.
L’entraîneur adjoint du CF Montréal, Jason Di Tullio, est effectivement décédé en juillet dernier, à l’âge de 38 ans, après avoir contracté cette terrible maladie.
Comme les autres cas mentionnés plus haut, à titre de joueur et d’entraîneur, Ja‐ son Di Tullio avait évidem‐ ment passé énormément de temps sur des surfaces syn‐ thétiques.
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Soyons clairs, l’histoire des Phillies de Philadelphie et les nombreux cas répertoriés par Amy Griffin sont le résultat d’observations faites sur le terrain. Elles ne s’inscrivent pas dans un cadre scienti‐ fique, mais elles sont telle‐ ment anormales, ne serait-ce que d’un point de vue statis‐ tique, qu’on ne peut les igno‐ rer.
Nos surfaces de jeu repré‐ sentent-elles un danger pour la santé de ceux et celles qui les fréquentent?
Il serait peut-être temps de se pencher là-dessus sé‐ rieusement.
Et, surtout, ce ne serait pas une mauvaise idée de com‐ mencer à tenir un registre des tumeurs cérébrales qui sur‐ viennent sur le territoire qué‐ bécois.
On ne peut rien changer au passé. Mais si on pouvait améliorer les choses à comp‐ ter de maintenant, ce serait tant mieux , plaide Isabelle Rochefort.
Fanie Charbonneau, mère de Lili Homier
Un signalement à la Direc‐ tion de la protection de la jeu‐ nesse, trois semaines avant la mort de Lili Homier, aurait pu mener à une admission en unité psychiatrique d’urgence. Le signalement n’a pas été re‐ tenu par la DPJ, parce que Lili était déjà prise en charge par une équipe de professionnels.
Parcours du combattant
C'est à la suite d’une deuxième plainte des parents de Lili Homier que la radiation a été prononcée. En réponse à leur première plainte, le syn‐ dic de l’Ordre avait conclu une entente confidentielle avec la psychologue qui s'était enga‐ gée à suivre plusieurs forma‐ tions, sans toutefois recon‐ naître aucune faute. Depuis, Annie Moreau a effectivement suivi ces formations et a été supervisée par une consoeur pour une période de 16 heures.
Les parents ont refusé cet arrangement. Fanie Charbon‐ neau estime que le syndic de l’Ordre a voulu balayer leur plainte sous le tapis en refu‐ sant de présenter le cas de Mme Moreau devant le Conseil de discipline. Ils ont donc présenté une seconde plainte, privée cette fois-ci.
Je trouve extrêmement préoccupant, décevant et in‐ juste que ces manquements graves n’aient pas amené le syndic à déposer dès le dé‐ part une plainte devant le Conseil de discipline, a déclaré Mme Charbonneau avec émotion, vendredi. Elle dit avoir entrepris des dé‐ marches pour rappeler à tous les psychologues du Québec l’importance d’évaluer un en‐ fant qui tient des propos sui‐ cidaires, en rappelant qu’un enfant de 13 ans ne se maga‐ sine pas un diagnostic de dé‐ pression pour le plaisir.
L’avocat des parents,
Claude Leduc, renchérit : Comment le public peut-il être protégé si le public ne connaît pas les faits, parce que le syndic n’a pas déposé de plainte devant le Conseil de discipline? Et si les psycho‐ logues eux-mêmes ne sont pas au courant? [...] L’exem‐ plarité et la dissuasion, c’est étonnant que le bureau du syndic ait manqué cette mis‐ sion-là.
La présidente du Conseil de discipline a promis de faire connaître sa décision rapide‐ ment. Selon nos sources, il est très rare que le Conseil n’enté‐ rine pas une suggestion de sanction lorsqu'elle est pré‐ sentée conjointement par les deux parties.
Annie Moreau continue de pratiquer au CSSS des Som‐ mets, à Mont-Tremblant.
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