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Quand la France ne brille plus au Burkina Faso ni auprès de sa diaspora

- Karine Mateu

Qu'ils vivent au Canada de‐ puis 20 ans ou qu'ils soient arrivés l'an dernier, les membres de la diaspora burkinabée observent avec intérêt et inquiétude ce qui se passe dans leur pays d'origine, touché depuis 2015 par les violences djiha‐ distes qui ont fait plus de 10 000 morts et 2 millions de déplacés.

Les militaires qui ont pris le pouvoir par un coup d’État en septembre dernier, le deuxième en huit mois au Burkina Faso, ont demandé aux 400 militaires français im‐ pliqués dans la lutte anti-dji‐ hadiste, la force Sabre, de quitter le pays.

Un départ accueilli avec in‐ différence par des membres de la diaspora burkinabée au Canada, comme Cheick Ou‐ mar Koné, étudiant au docto‐ rat à l'Université Laval en ciné‐ ma depuis l'an dernier.

Si les autorités estiment que le départ de la France peut résoudre quelque chose dans cette crise sécuritair­e, c'est bienvenu pour moi. Ce qui m'inquiète, c'est beau‐ coup plus la situation sécuri‐ taire. La méthode, bon, ça m'importe peu, dit-il.

Cette décision des autori‐ tés ne fait pas non plus sour‐ ciller Adama Dao, au Canada depuis 10 ans et citoyen cana‐ dien. Ça me fait rigoler, moi, lorsqu'on lie le départ de la France à l'insécurité. La crise est allée crescendo, même si la France était là, déplore-t-il.

Moi, je suis un peu indiffé‐ rent par rapport à la France, qu'elle parte ou qu'elle ne parte pas, la situation s'est ag‐ gravée en sa présence!

Adama Dao, membre de la diaspora du Burkina Faso au Canada

Il reproche, entre autres, à la France de ne pas avoir em‐ pêché la montée des djiha‐ distes liés à Al-Qaïda et au groupe État islamique, qui contrôlent aujourd'hui 40 % du pays.

Écoutez le reportage radio de Karine Mateu diffusé à l'émission L'heure du monde sur ICI Première.

La séduction russe

Même si le président fran‐ çais Emmanuel Macron ap‐ pelle à bâtir une nouvelle rela‐ tion, équilibrée, réciproque et responsabl­e avec l'Afrique, des pays comme le Burkina Faso, et le Mali avant lui, lui tournent le dos et re‐ cherchent d'autres parte‐ naires. Entre en jeu ici la Rus‐ sie.

Dans les rues de la capitale Ouagadougo­u, depuis plu‐ sieurs mois, des drapeaux et des discours prorusses se sont ajoutés aux slogans en faveur du départ de la France. Le régime burkinabé, quant à lui, ne cache pas son désir de se rapprocher de Moscou. Le premier ministre burkinabé, Apollinair­e Kyélem de Tambè‐ la, a d'ailleurs visité le pays de Vladimir Poutine en dé‐ cembre dernier.

Nous aimerions que la Russie prenne la place qui lui revient, en tant que grande nation, dans mon pays, parce qu'il y a une histoire et une expérience de la Russie et nous aimerions qu'elle par‐ tage cela avec nous.

Le premier ministre Apolli‐ naire Kyélem de Tambèla en entrevue à Russia Today, chaîne de télévision proche du Kremlin

Pour les Burkinabés vivant au Canada, le rapprochem­ent avec la Russie reçoit un ac‐ cueil mitigé. Cheick Oumar Kone, lui, appelle à la pru‐ dence : Chaque fois que les Français ont failli, les Russes tentent d'utiliser cette armelà contre eux. Est-ce que c'est inquiétant? Oui [...] C'est une question de souveraine­té. Il ne faudrait pas changer Pierre pour Paul. Il faut vraiment rester vigilant!

Même son de cloche d’Adama Dao, qui défend tout de même le choix des autori‐ tés. Quand quelqu'un est dans une position où il cherche vraiment à défendre son territoire et il cherche à rassurer sa population, eh bien, il prendra tout ce qui lui vient sous la main! Je crois que c’est la France qui a jeté le Burkina dans les bras de la Russie aujourd'hui!

L'étudiant au baccalauré­at en administra­tion et pré‐ sident de l’Associatio­n des Burkinabés vivant au Québec, Kienou Pahassi Silvère, dit être conscient que la pré‐ sence russe fait réagir davan‐ tage en raison de la guerre en Ukraine, mais il n'y est pas dé‐ favorable. Il y a des liens de‐ puis très longtemps entre plu‐ sieurs pays africains et la Rus‐ sie. Pour moi, si les autorités estiment que c'est la meilleure décision à prendre, on ne peut que les suivre, ditil.

La Russie se présente comme une puissance non impérialis­te pour aider les États du Sahel à combattre la menace djihadiste sans avoir la volonté de s'implanter, mais ça reste de la rhétorique, prévient le directeur de l'Ob‐ servatoire de l'Eurasie, Jean Lévesque.

Il ajoute que c'est le groupe Wagner qui obtient les contrats de sécurité, cette société privée russe qui utilise des mercenaire­s pour com‐ battre dans des pays en crise.

Les opérations sur place sont clairement menées par le groupe Wagner, plutôt que par des militaires russes. Il va prendre le contrôle de cer‐ taines ressources naturelles en échange de contrats de sé‐ curité. Il ne fait pas ça pour rien!

Jean Lévesque, directeur de l'Observatoi­re de l'Eurasie

La Russie et le Burkina Fa‐ so réfutent toute présence de Wagner dans le pays. La pré‐ sence de ces mercenaire­s n’a pas clairement été documen‐ tée dans le pays, mais elle l’a été au Mali, pays voisin.

Mais encore là, précise l’historien Jean Lévesque, il ne faut pas penser qu’on assiste à une russificat­ion de l’Afrique, car la Chine et d'autres pays sont déjà bien présents sur le continent afri‐ cain.

De façon réaliste, les Chi‐ nois ont 10-15 ans d'avance sur la Russie en termes d'im‐ plantation économique. On parle d'environ 5 milliards d'échanges comparés à 120 pour la Chine. Elle arrive tard et il y a une grosse compé‐ tition en Afrique, les Turques sont là et les Indiens aussi.

Le directeur de l'Observa‐ toire de l'Eurasie, Jean Lé‐ vesque

La Russie, par le biais de Wagner, peut quand même concurrenc­er les autres pays dans le domaine de la sécurité tout comme dans celui de la propagande, ajoute Jean Lé‐ vesque.

La révolte de la jeunesse

La doctorante en commu‐ nication à l'Université du Qué‐ bec à Montréal (UQAM), d'ori‐ gine ivoirienne, Denise Kako, juge inappropri­ée l'utilisatio­n du terme anti-Français ou re‐ jet de la France pour parler de la situation qui se déroule en Afrique de l'Ouest. Selon elle, au Mali et au Burkina Faso, on assiste plutôt à une résis‐ tance. La jeunesse africaine mène une lutte de libération contre le néocolonia­lisme en général, dit-elle.

Il y a une révolte dont la jeune génération aujourd'hui s'est accaparée. Une révolte contre des pratiques et un système qui a asservi trop longtemps l'Afrique et les Afri‐ cains.

La doctorante en commu‐ nication à l'Université du Qué‐ bec à Montréal, Denise Kako

Elle critique ce qu'on ap‐ pelle l'aide à l'Afrique, trop souvent utilisée, selon elle, par les Occidentau­x. L'aide humanitair­e, l'aide au déve‐ loppement, l'aide, l'aide, l'aide! On a tellement entendu ça. Quels sont ces pays-là qu'on aide vraiment? On les incite surtout à rentrer dans ce qu'on appelle les PPTE, petits

pays très endettés!

Cette révolte des jeunes, Kienou Pahassi Silvère la constate aussi et, selon lui, le capitaine Ibrahim Traoré, qui dirige le pays depuis le coup d'État et âgé d’à peine 35 ans, en est l'un des meilleurs porte-parole.

C'est une jeunesse qui se réveille, qui prend les choses en main et en ce qui concerne les dirigeants, il y a un en‐ gouement, un dévouement et je crois que si ça continue comme ça, on aura de meilleurs résultats.

Massacres et droits de la personne

Depuis le début de l'année, le pays connaît une intensifi‐ cation de violences djiha‐ distes. Le 26 février, une soixantain­e de personnes ont été tuées lors d'une attaque djihadiste présumée à Partia‐ ga, dans l'est du Burkina Faso, et ce n'est qu'un exemple par‐ mi bien d'autres massacres.

La situation des droits de la personne au Burkina Faso inquiète d'ailleurs l'ONG Hu‐ man Rights Watch.

Dans son dernier rapport, l’organisati­on dénonce avant tout les attaques des groupes armés islamistes à l’encontre de civils qui se sont intensi‐ fiées, mais aussi celles com‐ mises par les forces militaires et leurs milices lors d’opéra‐ tions de lutte contre le terro‐ risme.

C'est une situation très complexe où les forces mili‐ taires combattent ce qu'elles appellent un ennemi qui n'a pas de visage, mais il y a une tendance à cibler certaines communauté­s, notamment les Peuls, qui sont perçus comme des suspects, alors que ce sont des civils inno‐ cents.

Carine Kaneza Nantulya, directrice adjointe à la division Afrique pour Human Rights Watch.

Le danger, c'est que les groupes djihadiste­s se servent des exactions des forces de l'ordre pour recru‐ ter, affirme la directrice ad‐ jointe à la division Afrique pour Human Rights Watch, Carine Kaneza Nantulya.

Par ailleurs, l'organisme a aussi des inquiétude­s au ni‐ veau du rétrécisse­ment de l'espace civique et du droit à l'informatio­n. La rhétorique gouverneme­ntale s'est durcie et des membres de la société civile et des journalist­es se re‐ trouvent harcelés, pointés du doigt par le gouverneme­nt, dit-elle.

Le sujet des droits de la personne fait vivement réagir un autre membre de la dia‐ spora burkinabée interviewé, Kariyon Somé, au Canada de‐ puis 20 ans. Comment pou‐ vons-nous parler de droits de l'homme, alors que le pays est aux mains des djihadiste­s? s'étonne-t-il.

Les droits de l'homme, les gens en parlent parce qu'ils sont loin! Est-ce que les ap‐ proches de l'État islamique, ce sont des approches où l'on peut arrêter quelqu'un? Peuton vraiment les arrêter et les juger? J'ai l'impression que c'est deux poids, deux me‐ sures. Mon frère est dans l’ar‐ mée, est-ce qu’on parle de droits humains quand il se fait attaquer? Quand les soldats se font, eux aussi, attaquer? Ce sont aussi des humains! conclut-il.

À consulter également :

Thomas Sankara, le père de la révolution du Burkina Faso Un coup d’État après l’autre en Afrique de l’Ouest Wagner, l'armée de l'ombre de Poutine

autres survivants. C’était im‐ pressionna­nt!

Le courage de recon‐ naître ses erreurs

On ne sait trop si ce sont les larmes ou la colère de Juan Carlos qui ont convaincu François, mais celui-ci or‐ donne qu’une enquête soit menée. Par prudence, il dé‐ signe un homme de confiance du Vatican. Le rapport est ac‐ cablant pour l’Église… et pour lui-même. Comment a-t-il pu douter de Juan Carlos et des victimes? Lui qui, dès son élection, avait promis de com‐ battre ce fléau des criminels en soutane.

Parfois, en politique, les hommes et les femmes pu‐ blics s’accrochent les pieds dans les fleurs du tapis. Par‐ fois même, des gouverne‐ ments tombent, des prési‐ dents démissionn­ent, des ré‐ gimes sont renversés. Jamais l’Église catholique.

Dans la bataille du Chili, François est passé bien près de tomber. Ce qui l’a peutêtre sauvé, m’a dit Marco Poli‐ ti, un des plus grands ana‐ lystes du Vatican, c’est le cou‐ rage de faire son autocritiq­ue.

Et ça, c'est une grande dif‐ férence avec les autres papes. Il avait obtenu de fausses in‐ formations sur la situation au Chili. Mais après, il a eu le cou‐ rage de reconnaîtr­e ses er‐ reurs publiqueme­nt.

Pour Juan Carlos qui a été publiqueme­nt humilié par le pape, cette victoire est jubila‐ toire.

Personne n’avait prévu que le pape dirait : "J’ai fait une grave erreur et je m’ex‐ cuse auprès de Juan Carlos et des autres". Après, il a convo‐ qué au Vatican tous les évêques du Chili en exigeant leur démission. On n'avait ja‐ mais vu ça. C’était formidable!

En France, François De‐ vaux et les victimes du père Preynat ont eux aussi mené une bataille colossale. Le père Preynat est aujourd’hui en prison. Le cardinal Barbarin s’est retrouvé devant les tri‐ bunaux et a dû remettre sa démission au pape François. Dans la foulée, les victimes ont forcé la mise sur pied d’une commission indépen‐ dante qui a conclu que, contrairem­ent à ce qu’a tou‐ jours soutenu l’Église de France, plus de 216 000 vic‐ times ont été agressées au fil des ans en France par des prêtres pédophiles.

Cette bataille de Lyon, c’était David contre Goliath. La victoire des victimes est immense. Les colonnes du temple de leur paroisse ont tremblé jusqu’au Vatican! Et pourtant, dans la campagne lyonnaise où j’ai rencontré François Devaux, j’ai senti une profonde colère que rien ne pourra éteindre.

On n'arrivera pas à réfor‐ mer l'Église catholique parce qu’elle s'est octroyé des pou‐ voirs auxquels elle ne renon‐ cera pas, croit François De‐ vaux. Mais qui peut réglemen‐ ter la sexualité et, dans le même temps, déplacer des pédophiles qui ont détruit des vies?

C’était une belle journée de novembre à Rome. J’y étais en reportage. J’ai salué Juan Carlos une dernière fois. Il avait rendez-vous avec son ami qu’il aime tant : le pape François. Comme tous les deux mois.

Je blâme l’entourage du pape qui lui ment en pleine face. Tous ces cardinaux et évêques hypocrites qui se protègent entre eux, qui pro‐ tègent leurs avoirs. Alors je ne vais jamais me taire.

Juan Carlos Cruz

Le pape François avait bien l’intention de mettre un terme à ce fléau des prêtres criminels. Il en avait la mis‐ sion. Il en avait fait la pro‐ messe. Mais il y a de ces fléaux que les nobles inten‐ tions ne parviennen­t pas à endiguer.

Pour en apprendre davan‐ tage sur les 10 ans du pape François, ne manquez pas le documentai­re Les promesses de François, diffusé le samedi 11 mars sur les ondes de RDI à 18 h 30, puis en rediffusio­n le dimanche 12 mars à 21 h 30.

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