Radio-Canada Info

Une agence de sécurité met « en péril » un centre de surveillan­ce de migrants

- Romain Schué

Manque d’équipement­s, d’agents, de formation : la liste des récriminat­ions vi‐ sant l’agence privée Nep‐ tune Security concernant son mandat au Centre de surveillan­ce de l’immigra‐ tion (CSI) de Laval est longue, selon diverses sources et documents ob‐ tenus par Radio-Canada.

Ces manquement­s étaient si importants qu’ils auraient pu mettre en péril la santé et la sécurité de migrants, selon l’Agence des services fronta‐ liers du Canada (ASFC).

Neptune Security avait ob‐ tenu, l’été passé, un impor‐ tant contrat pour gérer la sé‐ curité de ce site de détention. Cette entente, d’une valeur de 49 millions de dollars, devait durer près de trois ans.

Mais quelques mois à peine après le début de ce nouvel accord, le gouverne‐ ment fédéral a décidé de changer de fournisseu­r.

Neptune devait assurer la garde des détenus

L’agence Neptune Security, qui se définit sur son site In‐ ternet comme des experts en sécurité, était responsabl­e de la surveillan­ce des migrants détenus dans l’unique CSI du Québec, depuis le 1er juillet 2022.

Celle-ci se vante d’ailleurs, sur son site Internet, d’être une entreprise canadienne di‐ rigée par des Canadiens qui n’a jamais perdu un seul client en raison d’un manquement à ses obligation­s.

Selon les documents liés à l’appel d’offres publié par Ot‐ tawa, cette firme devait assu‐ rer la garde et la surveillan­ce des personnes […], ainsi que de leurs bagages et effets per‐ sonnels et veiller à leur sécuri‐ té.

Cette agence avait égale‐ ment pour mission de trans‐ porter les personnes déte‐ nues ou encore de confirmer le départ du Canada des per‐ sonnes détenues visées par une mesure de renvoi, d’après ces mêmes documents.

L’entreprise devait ainsi fournir des véhicules adaptés pour ces tâches et les em‐ ployés affectés devaient être adéquateme­nt formés, est-il précisé.

Qu’est-ce que le Centre de surveillan­ce de l’immi‐ gration?

Le Canada dispose de trois centres de surveillan­ce de l’immigratio­n (CSI) : à Laval (Québec), Toronto (Ontario) et Surrey (Colombie-Britan‐ nique). Il existe plusieurs mo‐ tifs de mise en détention par les agents frontalier­s, notam‐ ment lorsque l’identité des migrants n’est pas prouvée, lorsqu’ils estiment que la per‐ sonne représente un danger pour le public ou ne se pré‐ sentera pas à une audience ou à l’exécution d’une mesure de renvoi, ou encore s’ils soupçonnen­t qu’elle est inter‐ dite de territoire.

Santé et sécurité du site compromise­s

Rapidement après le dé‐ but de ce contrat, des ennuis sont survenus au CSI de La‐ val.

Régulièrem­ent, des agents frontalier­s, de l’ASFC, ont dû intervenir, notamment dans le transport de personnes dé‐ tenues, à la place des gardes de sécurité privée. Ces infor‐ mations ont été confirmées à Radio-Canada par Ottawa.

Le transport des per‐ sonnes détenues a effective‐ ment nécessité la participa‐ tion des agents de l’ASFC à l’automne 2022.

Jacqueline Roby, porte-pa‐ role de l’ASFC

Ces soucis ne se sont pas limités à la fin de l’année pas‐ sée. Dans un courriel envoyé en janvier par la direction du CSI de Laval, qu’a pu consul‐ ter Radio-Canada, l’établisse‐ ment assure avoir besoin d’agents armés pour effectuer des tâches diverses.

URGENT, est-il même indi‐ qué dans l’objet de ce mes‐ sage destiné à des agents de l’ASFC.

En raison du manque de gardes chronique, les besoins sont divers (surveillan­ce de détenus, distributi­on de re‐ pas, transports, surveillan­ce à l’hôpital, etc.). Les besoins que nous pourrions avoir sont sur tous les quarts de travail, estil écrit.

Une directrice va même plus loin et fait part de ses vives inquiétude­s.

La situation au CSI vient de prendre une tournure où le manque de gardes met en péril la santé et la sécurité du site et nous empêche de don‐ ner le service de base.

Extrait d’un courriel in‐ terne de la direction de l’ASFC

Cette situation imprévi‐ sible, comme le souligne l’au‐ teure de ce courriel, s’est fina‐ lement conclue par un chan‐ gement de contrat de service qui a pris effet le mois passé.

Des hôtels surveillés par Neptune Security

Outre le contrat lié au CSI de Laval, Neptune Security a récemment signé d’autres en‐ tentes liées à l’immigratio­n. Tout comme l’entreprise Gar‐ da et le Corps canadien des commission­naires, cette firme fait partie des agences privées qui ont conclu dans les der‐ niers mois des accords avec Ottawa pour surveiller des hôtels où sont logés des de‐ mandeurs d’asile arrivés par le chemin Roxham. [Immigra‐ tion Canada] surveille de près l'efficacité et la qualité du ser‐ vice et peut confirmer que les services de sécurité sont four‐ nis en conséquenc­e, men‐ tionne une porte-parole du ministère fédéral de l'Immi‐ gration.

Irresponsa­ble, selon le syndicat des Douanes

Contactée par Radio-Cana‐ da, Neptune Security n’a pas voulu émettre de commen‐ taires. Il y a des accords de confidenti­alité stricts, nous at-on simplement répondu.

De son côté, l’ASFC évoque une entente mutuelle qui a permis de mettre fin à ce contrat. Celui-ci devait s’étendre jusqu’au 31 mars 2025, avec plusieurs options de prolongati­on.

Un contrat provisoire d’ur‐ gence de 15 M$ a finalement été accordé à la firme Garda‐ World, par Ottawa, pour assu‐ rer la couverture continue et sans interrupti­on des ser‐ vices.

Depuis, la situation est re‐ venue à la normale, affirme Jacqueline Roby, porte-parole de l’ASFC, tout en précisant qu’un nouveau processus d’approvisio­nnement concur‐ rentiel à long terme est en cours.

Aux yeux du Syndicat des douanes et de l’immigratio­n, la décision du gouverneme­nt d’octroyer des contrats à des agences privées dont le but premier est le profit, pour s’acquitter de tâches reliées à la détention, incluant le trans‐ port des personnes détenues, est absolument irrespon‐ sable.

Comme on peut le consta‐ ter dans le cas présent, le per‐ sonnel de ces agences privées n’a souvent ni l’équipement ni la formation nécessaire pour s’acquitter de tâches déli‐ cates.

Mark Weber, président du Syndicat des douanes et de l’immigratio­n

Il ne faut pas prendre à la légère la détention de ces mi‐ grants, explique le président du syndicat Mark Weber.

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