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Les promesses de François : solitude et impuissanc­e

- Alain Crevier

Depuis plusieurs décennies maintenant, les papes voyagent. Souvent, ce sont des moments d’allégresse pour les catholique­s. Cidessus, une des photos les plus saisissant­es du règne de François. Elle résume dix ans de pouvoir, de ba‐ tailles et de promesses.

Un homme, le chef de la plus grande institutio­n reli‐ gieuse, seul, en fauteuil rou‐ lant, devant un lac aux rivages incertains. Il n’y a rien devant lui, sinon tous les fantômes de ceux qui lui ont donné ren‐ dez-vous au Canada.

Pendant plus d’un siècle, des milliers d’enfants autoch‐ tones ont été arrachés à leurs familles et livrés à des reli‐ gieux surtout catholique­s qui ont tout fait pour éliminer leurs cultures.

Ils y sont presque parve‐ nus.

Dans cette sombre his‐ toire, avant François, dix papes se sont succédé sans jamais s’excuser pour la parti‐ cipation active de leur Église dans ce que le pape François considère lui-même comme un génocide. Il y a eu des re‐ grets, mais guère plus.

Du moins jusqu’au prin‐ temps 2022.

Devant cette tragédie, qu’est-ce que le pape révolu‐ tionnaire pouvait bien offrir à ceux qui ont tant souffert?

Des tambours et des ra‐ quettes dans la salle Clé‐ mentine

En mars 2022, le pape François a ouvert les portes de la salle Clémentine aux re‐ présentant­s des Premières Nations. Une salle mythique du Vatican, où sous les fresques magnifique­s et le marbre froid, tant de grands personnage­s, depuis 500 ans, ont défilé.

Et voilà ces images boule‐ versantes. David Serkoak fait résonner son tambour. Kevin Scott fait une danse tradition‐ nelle flamboyant­e. Et Adrian N. Gunner, un jeune Cri de Waswanipi, qui offre au pape une paire de magnifique­s ra‐ quettes traditionn­elles.

C’est déjà une victoire que de faire résonner la voix des premiers peuples du Canada dans l’antre de ceux qui ont tout fait pour supprimer leur culture. En vous donnant ces raquettes maintenant, a dit au pape Adrian N. Gunner en cri, je veux vous faire savoir et vous montrer que notre langue et notre culture sont toujours bien vivantes.

Ce fut un long voyage pour les membres des Pre‐ mières Nations qui se sont rendus jusqu’à la salle Clé‐ mentine, au Vatican. Un si long voyage pour quelques mots. Et les voici enfin.

Je veux vous dire, de tout mon coeur, je suis vraiment désolé. Avant que le pape François n’ajoute : Je me joins à mes frères évêques du Ca‐ nada pour vous présenter mes excuses.

Même moi, j'avais des larmes, se souvient la grande cheffe des Cris du Québec, Mandy Gull-Masly. J'ai vu un homme qui a vraiment pris la chance d'attirer l'attention sur quelque chose qui n’était pas bien connu dans le monde. La vérité sur ces pensionnat­s, la vérité sur l’expérience des sur‐ vivants.

Mandy Gull-Masly ne pou‐ vait se douter qu’au dernier jour de son périple au Vatican, le pape allait s’inviter au Cana‐ da, comme sur un coup de tête. Sans doute pour donner du poids aux excuses? Que valent les mots quand on a tant tardé à les dire?

Était-il déjà trop tard?

Quand le pape a annoncé qu'il venait au Canada, il y a eu toutes sortes de réactions, se rappelle Mandy Gull-Masty. Il y a des personnes qui ont dit : "Pourquoi? On n'a plus besoin de lui." Il y avait des gens fâchés. Et d’autres qui avaient hâte de l'entendre.

Et trois mois plus tard, ce fut un voyage étonnant. Les plaines d’Abraham étaient pratiqueme­nt vides. Le grand stade d’Edmonton n’était cer‐ tainement pas plein à cra‐ quer. Le si populaire pape François n’a pas fait salle comble! Comment est-ce pos‐ sible?

Ce voyage n’était pas une fête. Le pape avait rendezvous avec une des pages les plus laides de l’histoire de l’Église catholique au Canada. Je crois que c’est comme ça qu’il faut voir ces images stu‐ péfiantes. Une prière au cime‐ tière. Le pape en fauteuil rou‐ lant sur le site d’un des plus importants pensionnat­s pour Autochtone­s de l’époque. Il a écouté. Il s’est excusé. Et puis à nouveau. Et encore. Dans l’avion, sur le chemin du re‐ tour, il a même parlé de géno‐ cide. Ce n'est pas rien quand même.

Tout le monde parlait du pape François, se souvient Mandy Gull-Masly. Et moi, je me suis demandé comment il se sent, lui, comme homme, comme personne. J'étais, je peux dire, fier de lui, même s'il y avait des moments où il était tout seul.

Était-ce trop peu? Trop tard? Après plus d’un siècle de silence, les mots peuvent-ils encore faire une différence? Ou blesser davantage?

Au bord du lac Ste. Anne

Et enfin cette image im‐ mense au bord du lac Ste. Anne. Celle d’un pape, tout à coup, qui semble si vieux. Et impuissant.

Rien de ce qu’il peut dire ou faire ne changera quoi que ce soit à ce qui a été vécu. La douleur, le désespoir, la co‐ lère. Rien ne pourra effacer sa responsabi­lité. Les violences commises au nom de la supé‐ riorité blanche et catholique. Tous ces morts que seul le si‐

lence au cimetière permet d’entendre.

Et les promesses?

L’arrivée au pouvoir du pape François a soulevé un vent d’espoir et de change‐ ment inouï. Il y a dix ans, cer‐ tains parlaient d’une révolu‐ tion.

Eh bien, pour moi, ce voyage au Canada est un des moments les plus puissants des dix ans de pouvoir de François. Même une révolu‐ tion ne peut refaire le passé. Il y a des promesses qu’on ne peut jamais tenir.

Et demain?

Il n’y a que les cardinaux qui peuvent voter au mo‐ ment de l’élection d’un pape. Il n’y a que le pape qui puisse nommer les cardinaux. Or, en dix ans, François aura nommé près des deux tiers des cardi‐ naux qui auraient droit de vote si un conclave avait lieu aujourd’hui.

Alors, ces cardinaux de François, pour qui voterontil­s? La vérité, c’est qu’on n'en sait rien. À Rome, il y a tou‐ jours des noms de succes‐ seurs potentiels qui circulent vers la fin du règne d’un pape. Pas cette fois.

Ces nouveaux cardinaux viennent souvent de loin, d’endroits parfois ignorés par le gouverneme­nt de l’Église. Ces cardinaux ne connaissen­t pas très bien Rome et le Vati‐ can. Ils n’ont jamais participé à un conclave. Il n’est même pas certain qu’ils aient jamais visité la chapelle Sixtine. Ils sont souvent occupés avec la réalité de leur bout de pla‐ nète.

Cet éventuel conclave pro‐ met de brouiller les cartes des spécialist­es. Du coup, ce pour‐ rait être l’acte ultime de ce pape venu faire la révolution.

Pour en apprendre davan‐ tage sur les 10 ans du pape François, ne manquez pas le documentai­re Les promesses de François, en rediffusio­n le dimanche 12 mars à 21 h 30.

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