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Le gouverneme­nt de Dennis King n’a pas respecté 30 % de ses engagement­s de campagne

- Laurent Rigaux

« Nous avons complété 95 % des promesses que nous avons faites en 2019 », a lancé Dennis King aux partisans réunis autour de lui, lundi 6 mars, à Winsloe. Selon une analyse conduite par Radio-Cana‐ da, son gouverneme­nt a en réalité mis en oeuvre 54 de ses promesses de cam‐ pagne, soit 45 %.

Et près d'une promesse sur trois n'a pas été mise en oeuvre dans le mandat de quatre ans qui s'achève, ou aucune informatio­n n'a pu être obtenue à leur sujet.

La nature ambitieuse de la plateforme 2019 était telle qu'il était probableme­nt im‐ possible d'atteindre tous ces objectifs. Et cela montre bien ce qui se passe quand on est dans l'opposition, quand on promet la lune, et qu'il faut ensuite expliquer pourquoi on n'a pas tenu ses pro‐ messes, commente Don Des‐ serud, politologu­e et profes‐ seur au Départemen­t de sciences politiques de l’Uni‐ versité de l’Île-du-PrinceÉdou­ard.

Le spécialist­e convient que le gouverneme­nt de Dennis King a eu son lot de crises, avec les tempêtes Dorian et Fiona et la pandémie de CO‐ VID-19, qui pourraient toutes constituer une bonne excuse pour ne pas avoir respecté toutes les promesses.

Je pense qu'ils ont intérêt à être plus honnêtes.

Don Desserud, politologu­e Selon Don Desserud, les gens vont regarder cela plus attentivem­ent suite à la phrase prononcée par Dennis King.

Des résultats variés se‐ lon les thèmes

La plateforme électorale, publiée en 2019, contenait plus d'une centaine d'engage‐ ments, répartis en différente­s thématique­s, tels que le loge‐ ment, la famille ou la transpa‐ rence et la confiance envers le gouverneme­nt.

Sur ce dernier point, les progressis­tes-conservate­urs ont tenu la moitié de leurs promesses, notamment concernant le fonctionne‐ ment de l'Assemblée législa‐ tive.

Le calendrier des sessions a été modifié, et l'opposition a désormais une majorité dans les comités permanents. Mais la promesse d'être un gouverneme­nt transparen­t a fait long feu, avec des délais sans fin pour obtenir des do‐ cuments dans le cadre de la loi sur l'accès à l'informatio­n, documents la plupart du temps caviardés.

Contrairem­ent à ce qui était promis en 2019, les rôles de procureur général et de ministre de la Justice ne sont toujours pas séparés, Darlene Compton ayant la double cas‐ quette avant la dissolutio­n du cabinet.

La santé occupe déjà une grande place dans la cam‐ pagne, les trois principaux partis ayant dévoilé leurs pro‐ positions sur le sujet dès le début de la campagne.

Sur ce thème, Dennis King et son gouverneme­nt ont res‐ pecté un quart environ de leurs engagement­s, comme le développem­ent de l'applica‐ tion Bridge The Gapp pour fa‐ ciliter l'accès à des ressources en santé mentale, le recrute‐ ment de plus d'infirmière­s praticienn­es ou encore la mise en oeuvre de la troisième option pour les survivants d'agressions sexuelles.

La plupart des engage‐ ments en santé sont en réali‐ té en cours de mise en oeuvre, ou réalisée partiellem­ent. Le crédit d'impôt sur le bien être de 500 dollars pour tous les insulaires a été mis en place pour les enfants seulement. L'offre de soins contre le can‐ cer n'a pas été étendue à d'autres hôpitaux que ceux de Charlottet­own et Summer‐ side, bien que le nombre d'on‐ cologistes ait légèrement aug‐ menté.

Une rédaction volontai‐ rement floue

Au rang des promesses non tenues, l'hôpital Hillsbo‐ rough n'a pas été remplacé immédiatem­ent, il n'y a pas plus de cliniques sans rendezvous en santé mentale qu'en 2019, et les soins d'urgence sont toujours saturés, avec des fermetures régulières dans le comté de Prince no‐ tamment, faute de personnel.

Don Desserud note aussi que certaines promesses sont rédigées de manière à ne pas s'engager formelleme­nt sur le résultat.

Dans beaucoup de cas, plutôt que de donner des promesses spécifique­s, ils donnent une promesse qui parle d'un processus, qu'ils travailler­ont dans ce sens, dé‐ taille le professeur. Ils utilisent des mots qui leur donnent l'occasion de dire : "nous avançons vers cet objectif, ce‐ la ne signifie pas que nous ayons réellement atteint cet objectif", ajoute-t-il.

Cela leur donne l'occasion de dire "eh bien, nous avons abordé le problème, nous ne l'avons pas résolu".

Don Desserud, politologu­e

Le professeur précise que ce genre de méthode est as‐ sez normale dans les plate‐ formes politiques. La ques‐ tion, selon lui, est de savoir si le public va accepter cette rhétorique, alors que quatre ans plus tard, la situa‐ tion des soins de santé ne s'est pas améliorée [et que] la liste des personnes en attente d'un médecin de famille est énorme par rapport à ce qu'elle était il y a quatre ans.

Toujours dans le thème de la santé, la promesse d'offrir dans la province la féconda‐ tion in vitro pour les couples rencontran­t des problèmes de fertilité n'a pas non plus été tenue, la province offrant un soutien financier pour les personnes qui sortent de la province pour accéder à ce service.

Des bons de location comptabili­sés comme des logements

Le logement est un autre thème sur lequel les progres‐ sistes-conservate­urs auront à répondre de leurs actions, le secteur subissant une crise majeure depuis plusieurs an‐ nées, notamment dans l'offre locative.

L'une des promessesp­hares du parti en 2019 était de livrer 1200 logements abordables supplément­aires au cours des cinq prochaines années. À l'heure du déclen‐ chement des élections, le par‐ ti de Dennis King se vante d'en avoir lancé 1185. Mais ces unités ne sont pas livrées comme le promettait la plate‐ forme.

Le gouverneme­nt inclut dans son décompte les 630 bons de location distri‐ bués aux personnes à faibles revenus, pour aboutir à son total.

Autre sujet majeur, notam‐ ment suite à la tempête posttropic­ale Fiona : l'environne‐ ment. Sur ce point, le gouver‐ nement de Dennis King a seulement tenu 30 % de ces promesses, dont le dévelop‐ pement d'incitatifs pour l'achat de véhicules élec‐ triques ou l'installati­on de panneaux solaires.

Le moratoire sur les puits d'irrigation à grande capacité a aussi été maintenu, le temps de rédiger des règle‐ ments et de promulguer la loi sur l'eau, votée en 2017, mais les études scientifiq­ues et in‐ dépendante­s promises ne se‐ ront terminées qu'en 2024.

Le plan de reboisemen­t, qui prévoyait de planter un million d'arbres par an dans des zones sensibles, n'a quant à lui pas eu lieu. Au contraire, le vérificate­ur géné‐ ral a éreinté le gouverneme­nt pour sa mauvaise gestion fo‐ restière et une étude a mon‐ tré que l'île a perdu 20 % de sa surface boisée en 30 ans.

Une équipe d'une dizaine de personnes a été choisie dé‐ but 2023 pour travailler à la mise à jour de la politique fo‐ restière insulaire, un travail qui devrait prendre deux ans.

À l'opposition de mettre le doigt sur les renonce‐ ments

La banque de terres agri‐ coles, un sujet qui revient sur la table depuis de nom‐ breuses années, est égale‐ ment dans les limbes de l'aveu même du ministre Ste‐ ven Myers, en charge au mo‐ ment de cette déclaratio­n, en 2021, des Transports et de l'Infrastruc­ture.

Certaines des promesses de campagne des progres‐ sistes-conservate­urs sont aussi parfois trop vagues pour être évaluées. Restaurer le respect de notre service pu‐ blic par exemple, ou encore Engager les Mi'kmaq de l'Î.-P.É. avec honneur et respect, sur une base de nation à na‐ tion.

Selon Don Desserud, Den‐ nis King ne prend pas un gros risque en affirmant qu'il a rempli 95 % de ses engage‐ ments, car il est difficile de se souvenir de ce que ces enga‐ gements étaient, quatre ans plus tard.

Quelque chose qui s'est passé il y a un an et qui a vrai‐ ment contrarié les gens, un an plus tard, ils ont oublié, croitil. [Les progressis­tes-conser‐ vateurs] peuvent dire que 95 % des promesses de leur plateforme ont été tenues et la plupart des gens diront simplement "OK" et passe‐ ront à autre chose, ajoute-til.

Cela fonctionne, malheu‐ reusement, de faire ce genre d'affirmatio­n.

Don Desserud, politologu­e Don Desserud affirme que le travail des autres partis se‐ ra justement d'attirer l'atten‐ tion du public sur ces pro‐ messes non tenues.

Note méthodolog­ique :

Quatre notes différente­s ont été choisies pour chaque promesse.

Promesse tenue : on re‐ trouve dans cette catégorie les promesses pour lesquelles une preuve claire et sans équivoque de réalisatio­n a pu être trouvée.

Promesse réalisée en par‐ tie : cette catégorie concerne différente­s situations. On y re‐ trouve les promesses qui ont été réalisées partiellem­ent, les promesses engagées, mais non terminées, ainsi que les promesses qui ont été te‐ nues, mais sur propositio­n de l'opposition.

On trouve aussi dans cette catégorie les promesses qui ont été tenues, mais sans avoir l'effet escompté. Par exemple, quand la promesse dit « Fournir plus de finance‐ ment et de ressources à la Commission des droits de l'homme de l'Î.-P.-É. pour s'as‐ surer que les plaintes sont traitées en temps opportun », la promesse est tenue en par‐ tie, car le financemen­t a bien augmenté, mais l'arriéré de dossiers reste important.

Promesse non tenue : on retrouve dans cette catégorie les promesses pour lesquelles il existe une preuve factuelle de non-réalisatio­n, ainsi que des promesses où l'engage‐ ment était précis dans le temps, sans que ce calendrier ait été tenu.

On retrouve aussi des pro‐ messes pour lesquelles au‐ cune informatio­n n'a pu être trouvée ou fournie par le gou‐ vernement.

Promesse non évaluable : on retrouve dans cette caté‐ gorie des promesses à la for‐ mulation trop vague pour être vérifiée.

Certaines promesses sont répétées plusieurs fois dans la plateforme 2019 des progres‐ sistes-conservate­urs, dans dif‐ férentes thématique­s. Dans ce cas, nous avons retenu la thématique où ces promesses apparaisse­nt en premier dans le document.

Avec l'aide de Kerry Campbell, de CBC.

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