Polluants éternels dans l’eau : les É.-U. proposent la norme la plus stricte en Amérique
Cinq semaines après Santé Canada, c’est au tour de l’Agence de protection en‐ vironnementale améri‐ caine (EPA) de suggérer un seuil de contamination to‐ lérable de certains conta‐ minants dits « éternels » et potentiellement cancéri‐ gènes dans l’eau potable. Si elle devient officielle, la re‐ commandation serait la deuxième plus stricte du monde, après celle du Da‐ nemark.
Elle était attendue depuis plusieurs mois par de nom‐ breux scientifiques et groupes environnementaux. Les communautés de tout le pays souffrent depuis trop longtemps de la menace om‐ niprésente de la pollution par les PFAS [substances per- et polyfluoroalkylées], a déclaré Michael S. Reagan, adminis‐ trateur de l’Agence de protec‐ tion de l’environnement des États-Unis.
L’EPA a ciblé les deux contaminants les plus connus et documentés individuelle‐ ment : les sulfonates de per‐ fluorooctane (SPFO) et l’acide perfluorooctanoïque (APFO). Ces substances sont notam‐ ment utilisées pour rendre des revêtements hydrofuges ou résistants aux graisses et pour la fabrication de pro‐ duits chimiques, respective‐ ment, selon Santé Canada. Comme les autres PFAS, elles se dégradent extrêmement lentement dans l’environne‐ ment, d’où l’appellation conta‐ minants éternels.
Leur concentration ne de‐ vra pas dépasser 4 parties par billion (ppt) dans l’eau po‐ table, soit l’équivalent de 4 na‐ nogrammes par litre (ng/l). C’est la limite de quantifica‐ tion typique dans des labora‐ toires privés, explique l’ingé‐ nieur Benoit Barbeau, profes‐ seur et cotitulaire de la chaire industrielle en eau potable. La quantité totale de quatre autres types de PFAS pourrait aussi être réglementée.
L’EPA prévoit que, si elle est pleinement mise en oeuvre, cette règle permettra, au fil du temps, d’éviter des milliers de décès et de réduire des dizaines de milliers de ma‐ ladies graves liées aux PFAS. Cette action établit une pro‐ tection nationale contre la pollution par les PFAS pour toutes les personnes, lit-on dans le communiqué de l’agence.
La réglementation améri‐ caine est soumise à une consultation et deviendra fi‐ nale à la fin de l’année. Elle exigera que les villes qui dé‐ passent ces futurs seuils inter‐ viennent pour corriger la si‐ tuation.
Pour répondre à la norme proposée, plus de 5000 sys‐ tèmes d’approvisionnement en eau devront trouver de nouvelles sources d’eau ou installer et exploiter des sys‐ tèmes de traitement plus avancés, indique l’American Water Works Association, dans un communiqué.
La proposition actuelle est plus élevée que l’avis de santé publié en juin 2022 par l’EPA. Cet avis avait semé l’émoi tant les seuils étaient bas. Il était alors suggéré 0,004 ppt pour l'APFO et 0,02 ppt pour le SP‐ FO.
Plus restrictive que San‐ té Canada
Pour sa part, Santé Cana‐ da propose de fixer à 30 ng/L l’objectif pour la somme des concentrations de PFAS to‐ tales détectées dans l’eau po‐ table. Il n’existe aucune norme au Québec sur la pré‐ sence de PFAS dans l’eau.
En février, la plus vaste étude sur la présence des PFAS dans l’eau potable au Québec était publiée dans le journal scientifique Water Re‐ search.
L’eau potable de la presque totalité des villes québécoises présente des traces de PFAS. De l’avis de scientifiques, Saint-Donat, dans Lanaudière, et Val-d’Or, en Abitibi, affichent des concentrations préoccu‐ pantes. Deux autres munici‐ palités excèdent la proposi‐ tion de Santé Canada : SainteAdèle, dans les Laurentides, et
Sainte-Cécile-de-Milton, en Es‐ trie.
Toutes celles qui dé‐ passent le critère canadien se‐ raient aussi ciblées aux ÉtatsUnis, observe Sébastien Sau‐ vé, professeur en chimie envi‐ ronnementale à l’Université de Montréal. Il est l’auteur de l’étude québécoise. Mais il y a trois nouvelles villes au Qué‐ bec qui dépassent un des cri‐ tères de l’EPA : Sainte-Pétro‐ nille, Waterloo et Longueuil.
Au moment de la publica‐ tion de l’étude, le directeur na‐ tional de santé publique, le Dr Luc Boileau, a assuré que l’eau est très potable au Qué‐ bec, malgré les contaminants. Il a indiqué que le Québec n’a pas le même historique indus‐ triel qu’aux États-Unis et que le portrait des PFAS est donc différent. On a une situation très avantageuse par rapport à ce que l’on voit aux ÉtatsUnis et on se compare très bien au reste du Canada et à l’Europe aussi.
À certains égards, la pro‐ position américaine est plus restrictive que celle de Santé Canada, explique le profes‐ seur en chimie environne‐ mentale, Sébastien Sauvé. Mais elle n’aurait pas détecté un cas comme St-Donat qui est causé par des produits de mousses anti-incendies, non incluses dans le calcul des États-Unis.
Benoit Barbeau est du même avis. Il y a plus de villes québécoises qui ne ré‐ pondent pas aux recomman‐ dations américaines qu’aux canadiennes.
Il s’agit de la recommanda‐ tion la plus sévère en Amé‐ rique et la deuxième plus stricte dans le monde. Les Da‐ nois sont plus sévères encore, observe-t-il, à 2 ppt pour quatre types de PFAS. Les consultations publiques de Santé Canada ont lieu jus‐ qu’au 12 avril.