Radio-Canada Info

Paris serre la vis pour mieux encadrer ses loyers

- Raphaël Bouvier-Auclair

« Personne n’aime faire rire de soi, surtout quand c’est en connaissan­ce de cause », lance Adam, ren‐ contrée à un forum sur le logement organisé la fin de semaine dernière à Paris.

Cette locataire pense pou‐ voir contester le prix de son loyer, qu’elle juge excessif. À un kiosque, des employées de la Ville de Paris distribuen­t de la documentat­ion à propos d’un mécanisme qui existe de‐ puis plusieurs années déjà : l’encadremen­t des loyers.

Cette politique, qui vise à éviter les loyers abusifs, fixe un tarif que le propriétai­re ne peut pas dépasser. Ce seuil équivaut à 20 % au-dessus du prix médian des logements lo‐ catifs du quartier dans lequel l’unité se trouve.

En cas de dépassemen­t, un propriétai­re fautif peut se voir imposer une amende al‐ lant jusqu’à 5000 euros, l’équi‐ valent d’environ 7300 $ CA. Les propriétai­res peuvent toutefois justifier un prix dé‐ passant le seuil permis si leur bien immobilier offre des ca‐ ractéristi­ques exceptionn­elles qui justifient le tarif exigé.

Bien que la politique soit en place depuis 2019, de nom‐ breux locataires ne sont tou‐ jours pas au courant du mé‐ canisme.

Non, on ne savait pas, s’étonnent deux femmes ren‐ contrées tout juste à côté du kiosque de la Ville de Paris.

En 2022, le prix moyen pour un appartemen­t d’une pièce de 25 mètres carrés était de 850 euros par mois, l’équivalent de 1250 $ CA.

Source : Franceinfo

Plus de 30 % de dépasse‐ ments

La fondation Abbé Pierre, qui se penche notamment sur les questions liées au loge‐ ment, a constaté qu’environ 30 % des appartemen­ts de la capitale dépassent le seuil im‐ posé par la politique d’enca‐ drement des loyers. Le constat est particuliè­rement frappant pour les petites sur‐ faces, soit les logements de moins de 20 mètres carrés.

Selon le directeur de la re‐ cherche de l’organisme, Ma‐ nuel Domergue, cette situa‐ tion s’explique en partie par la méconnaiss­ance du méca‐ nisme d’encadremen­t de la part d’une partie des loca‐ taires, mais aussi par les ten‐ sions qui existent dans le marché du logement parisien.

Le locataire est déjà bien content d'avoir trouvé un loyer et il paye ce qu'on lui de‐ mande, même s'il a peut-être conscience que ce n'est pas tout à fait légal, explique-t-il.

Manuel Domergue sou‐ ligne par ailleurs que la préfec‐ ture de police, responsabl­e de l’applicatio­n des sanctions au cours des dernières années, a imposé très peu d’amendes au cours des dernières an‐ nées. Des amendes qui ne sont pas très importante­s et qui sont très rares, quelques dizaines, précise-t-il.

C'est comme quand il y a des limitation­s de vitesse sur la route. S'il n'y a pas de radar, la plupart des gens ne res‐ pectent pas forcément les li‐ mites de vitesse. Donc il faut des amendes raisonnabl­es, mais qui soient médiatisée­s et connues.

Manuel Domergue, direc‐ teur de la recherche à la Fon‐ dation Abbé Pierre

La Ville prend les choses en main

Depuis le 1er janvier, le pouvoir d’applicatio­n de l’en‐ cadrement des loyers a chan‐ gé de mains. La responsabi­lité incombe maintenant à l’admi‐ nistration municipale.

C’est une petite révolution, se réjouissai­t à la fin de l’an‐ née dernière l’élu responsabl­e du logement à la Ville de Paris, Ian Brossat.

Pour encourager les loca‐ taires à dénoncer un loyer dé‐ passant le seuil permis, les au‐ torités municipale­s ont mis en place une plateforme qui per‐ met de déterminer si le prix exigé est conforme et, en cas de dépassemen­t, de porter plainte. En un mois, plus de 140 signalemen­ts ont été ef‐ fectués.

Une initiative qui s’inscrit

dans une politique plus large de l'administra­tion munici‐ pale visant à rendre les loyers plus abordables dans la capi‐ tale.

Qu'est ce qui interdit au‐ jourd'hui à une infirmière, à une assistante maternelle, à un policier de vivre à Paris? Qu’est-ce qui leur interdit l'ac‐ cès au logement parisien? Ce sont les loyers et c'est le prix du logement privé.

Ian Brossat, adjoint de la mairesse de Paris, respon‐ sable du logement

L’encadremen­t des loyers défendu par la Ville se heurte depuis des années à l’opposi‐ tion de l’Union nationale des propriétai­res immobilier­s (UNPI).

De l’avis de l’administra‐ teur de l’UNPI, Frédéric Pelis‐ solo, cette mesure ressemble davantage à une fixation ad‐ ministrati­ve des prix plutôt qu’à un encadremen­t.

Ce propriétai­re de plu‐ sieurs biens immobilier­s en région parisienne tient à souli‐ gner qu’à son avis il est nor‐ mal que les prix des apparte‐ ments soient plus élevés sur le territoire de la Ville de Paris, dont la superficie est beau‐ coup plus petite que celle de villes comme Londres ou Ber‐ lin.

Frédéric Pelissolo ajoute que des mesures comme l’en‐ cadrement des loyers pour‐ raient refroidir certains pro‐ priétaires à s’aventurer sur le marché immobilier, contri‐ buant ainsi à faire une pres‐ sion sur l’offre de logements.

Il n'y a un locataire que par la volonté d'un propriétai­re qui décide de mettre son bien en location et, si on les dis‐ suade de le mettre en loca‐ tion, il va y avoir des tensions. D'ailleurs, ces tensions com‐ mencent à apparaître.

Frédéric Pelissolo, adminis‐ trateur de l’UNPI

L’associatio­n assure qu’elle poursuivra ses efforts visant à suspendre la politique. L’an dernier, elle a obtenu une sus‐ pension partielle de l’encadre‐ ment des loyers pour certains baux en raison d’un manque de documentat­ion. Mais le mécanisme lui-même n’a pas été remis en cause, même qu’il a reçu l’aval du Conseil d’État, la plus haute instance administra­tive de France.

En plus de Paris, l’encadre‐ ment des loyers est en vi‐ gueur dans plusieurs autres villes du pays, comme Lille et Lyon.

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