Des médecins suggèrent de réserver l’aide à mourir au stade avancé d’alzheimer
Davide Gentile, Daniel Boily Ne plus reconnaître ses proches ne devrait pas être un critère suffisant pour autoriser une demande an‐ ticipée d’aide médicale à mourir pour une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, préviennent des médecins qui pra‐ tiquent régulièrement cette intervention.
Actuellement, tel que le projet de loi est libellé, non, je ne le ferais pas, lance le Dr Claude Rivard. Ce médecin de famille d’expérience en soins palliatifs souligne le nouveau contexte à l’horizon.
Là, on veut donner ce soin à des gens qui ne sont plus aptes ni conscients jusqu'à la fin, qui sont déments et qui ne sont plus capables de dire : "Oui, je le veux" en fonction de choses qu'ils avaient déci‐ dées des années auparavant. Vraiment, c'est complètement autre chose, explique le Dr Ri‐ vard.
Selon le projet loi à l’étude, un patient qui anticipe ne plus être apte à consentir de‐ vrait remplir un formulaire en présence d’un professionnel compétent afin d’y décrire de façon détaillée les souffrances physiques ou psychiques à considérer pour que lui soit offerte, un jour, l’aide médi‐ cale à mourir.
Imaginez quelqu'un qui dit dans sa demande : "Je veux l'aide médicale à mourir quand je ne serai plus capable de reconnaître mes enfants" mais qu’il n’en reconnaît qu'un sur les trois.
Le Dr Claude Rivard, méde‐ cin de famille
Le Dr Rivard prodigue ré‐ gulièrement l’aide médicale à mourir depuis 2015.
Et que faire d’un patient dément qui refuserait l'inter‐ vention à la vue de la se‐ ringue?, demande le Dr Ri‐ vard. Est-ce que ça doit être interprété comme un refus de l'aide médicale à mourir?
La démence heureuse
Au Québec, des milliers de personnes reçoivent un diag‐ nostic de maladie d’Alzheimer chaque année. Elles sont en nombre croissant compte te‐ nu du vieillissement de la po‐ pulation.
L'alzheimer est une mala‐ die mortelle dont l’intensité, l’ordre d’apparition et l’évolu‐ tion des symptômes varient selon les personnes, de même que la durée de chacun des stades de développement de la maladie.
Pour le gériatre David Lus‐ sier, de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM), le dilemme principal sera celui de la démence heu‐ reuse.
Comme l'explique le Dr Lussier, je peux dire main‐ tenant : "Je veux l'aide médi‐ cale à mourir quand je ne re‐ connaîtrai pas ma famille", mais c'est très possible que lorsque je ne reconnaîtrai pas ma famille, je sois heureux dans le moment présent, que je sois heureux de manger, de participer aux activités, de danser, de chanter.
Les médecins que je connais qui pratiquent l'aide médicale à mourir [...] ont de la difficulté à s'imaginer don‐ ner l'aide médicale à mourir à quelqu'un qui, un, ne se sou‐ vient pas de l'avoir demandée et, deux, est heureux dans son quotidien.
Le Dr David Lussier, gé‐ riatre à l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal
Cette préoccupation est partagée par la Fédération québécoise des sociétés Alz‐ heimer.
Il nous apparaît important de souligner que les per‐ sonnes qui seraient atteintes de démence heureuse ne ren‐ treraient pas dans les critères de la loi, affirme Nouha Ben Gaied, directrice de la re‐ cherche-développement et de la qualité des services à la Fé‐ dération.
Ça nous paraît important que l'aide médicale à mourir soit considérée comme un soin de fin de vie avec un dé‐ clin avancé [...] au stade avan‐ cé 6 ou 7, ajoute Mme Ben Gaied.
Médecins sous pression
Depuis le début de l’aide médicale à mourir au Québec, en 2015, un des défis aura consisté à sensibiliser et à convaincre des médecins d'of‐ frir cette intervention à un nombre croissant de patients qui la demandent.
On en compte aujourd’hui plus de 1400 sur les 22 000 médecins au Québec.
Selon le Dr Lussier, quelques dizaines de méde‐ cins ont réalisé environ 60 % des 3600 interventions de ce type en 2021-2022.
Le vieillissement de la po‐ pulation et l’acceptabilité so‐ ciale font en sorte que le Qué‐ bec figure largement devant les Pays-Bas et la Belgique à l'heure actuelle en ce qui a trait au recours à l’aide médi‐ cale à mourir.
Comme Radio-Canada l'avait dévoilé en février, plus
de 7 % des décès découlent actuellement de l’aide médi‐ cale à mourir. À ce rythme, plus de 5000 personnes y au‐ ront eu recours cette année, comparativement à 3663 l’an dernier. On en comptait moins de 1000 il y a cinq ans.
Le Dr Lussier redoute néanmoins une pression ac‐ crue sur les médecins partici‐ pants.
Moi, j'ai le sentiment qu'on va avoir un nombre assez im‐ portant de personnes qui vont faire des demandes anti‐ cipées [...] et que ce ne sont pas tous les médecins qui en font qui vont vouloir faire ces demandes anticipées, conclut le médecin, qui oeuvre à l'Ins‐ titut universitaire de gériatrie de Montréal.