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Muse et la volonté du peuple

- Philippe Rezzonico

Que veulent les gens? Que veut le peuple? Cette ques‐ tion aussi complexe qu’existentie­lle sous-tend le plus récent album du trio britanniqu­e Muse, Will of the People, dont la tour‐ née du même nom faisait escale au Centre Bell, mar‐ di soir.

Le chanteur Matthew Bel‐ lamy, le bassiste Christophe­r Wolstenhol­me et le batteur Dominic Howard prétendent­ils connaître la volonté du peuple? Pas plus que n’im‐ porte lequel d’entre nous. En fait, selon Bellamy, les propos de nombre des nouvelles chansons font plutôt état de l’incertitud­e ambiante et de l’instabilit­é qui prévaut dans le monde.

Une chose est sûre, le groupe s’est rapidement assu‐ ré que les 14 500 personnes qui remplissai­ent l’amphi‐ théâtre n’oublient pas une se‐ conde la trame narrative du concert.

Après une courte vidéo sur les écrans qui rappelait la po‐ chette du disque paru l’an dernier, le trio accompagné du multi-instrument­iste Dan Lancaster s’est pointé sur scène avec les masques d’ap‐ parence métallique des per‐ sonnages de leurs vidéos.

Le groupe a ouvert le feu – presque littéralem­ent – avec la chanson-titre. Un jeu de lu‐ mière éblouissan­t, des lanceflamm­es brûlants et une structure métallique façonnée des lettres (W, O, T, P) formant l’anagramme du disque s’en‐ flammaient les unes après les autres pendant que la guitare, la basse et la batterie – lourdes – tonitruaie­nt. Le ton était donné. D’autant plus que deux des plus puissants titres (Hysteria, Psycho) du ré‐ pertoire de Muse allaient suivre illico, transforma­nt le parterre et les gradins du Centre Bell en une fourmilièr­e.

Univers fictif, musique percutante

À bien des égards, les nou‐ velles chansons de Muse sont taillées sur mesure pour ra‐ conter l’histoire d’un univers fictif dans lequel sévit un état totalitair­e.

Pour le spectateur qui as‐ siste au concert au risque d’être sourd le lendemain, le fil de l’histoire se passe autant sur les écrans que sur la scène. Une demi-douzaine de courts métrages nous montrent les protagonis­tes : ceux avec les masques lui‐ sants – le peuple – qui pour‐ raient être une variation de ceux portés par le duo de Daft Punk et les Minotaures qui re‐ présentent le pouvoir répres‐ sif.

On passe des versions nu‐ mériques sur les écrans à celles qui prennent forme sous nos yeux par l’entremise de figurines géantes – et drô‐ lement menaçantes – placées derrière les musiciens durant le concert. Fort impression‐ nant.

Remarquez qu’à plus pe‐ tite échelle, la production vi‐ suelle durant le segment d’Evanesence avait eu de quoi satisfaire le spectateur le plus exigeant avec ses éblouis‐ sants lasers qui allaient dans tous les sens pendant qu’Amy Lee et ses collègues se déme‐ naient corps et âme.

La chanteuse américaine a encore toute une voix dans la jeune quarantain­e au mo‐ ment où le groupe célèbre le 20e anniversai­re de Fallen, l’al‐ bum qui les a révélés. Le genre de prestation d’une heure d’un groupe en pre‐ mière partie d’une tête d’af‐ fiche, qui, dans d’autres cir‐ constances, aurait pu être la tête d’affiche.

Il y avait aussi les Japonais de One of Rock en ouverture, mais j’ai fait l’impasse, vu qu’ils jouaient à 18 h 30… Contraire‐ ment à la légendaire actrice Ja‐ mie Lee Curtis – brillammen­t couronnée d’un Oscar, di‐ manche – qui a publiqueme­nt demandé à des artistes et à des groupes comme U2, Cold‐ play et Bruce Springstee­n de se produire en après-midi, je suis de ceux qui préfèrent les concerts en fin de soirée. Bref, hormis durant les festivals, quand un groupe est sur scène à l’heure de la bouffe…

Production spectacu‐ laire

Mine de rien, Muse en était à un sixième passage à Montréal – cinq fois au Centre Bell et une fois au festival Osheaga – depuis 2010 et les habitués ont eu droit à tout ce qui a fait leur marque de commerce : des explosions de serpentins presque aussi gros que des banderoles (Com‐ pliance) et de confettis (Vero‐ na), mais aussi des chutes dis‐ crètes de confettis, comme une fine pluie, pour Isolated System et Undisclose­d De‐ sires.

Bellamy qui, lui aussi, a en‐ core une excellente voix, a mis à contributi­on son piano lumineux ainsi que son ves‐ ton illuminé, tandis que Wol‐ stenholme a offert son lot de lignes de basse avec son ins‐ trument dont le manche est serti d’ampoules.

Muse a offert sept des dix chansons de son plus récent disque, mais la cohabitati­on entre les nouveautés et les monuments d’antan a été ex‐ cellente. Est-ce parce que le trio avait décidé de revenir à un son plus lourd pour cet al‐ bum? Possible.

La position ferme de Won’t Stand Down a été accueillie avec plaisir, tandis que l’incon‐ tournable Time Is Running Out a été l’une des chansons dont le refrain a été repris spontanéme­nt par la foule. À cet égard, Madness, Plug In Baby et, bien sûr, Uprising ont déchaîné les passions.

Il était quand même fasci‐ nant de voir que des chan‐ sons toutes neuves comme We Are Fucking Fucked et You Make Me Feel Like It’s Hallo‐ ween ont reçu un tel accueil. Il y a un véritable lien de fidélité fidélité qui s’est forgé au cours des ans avec les Québé‐ cois et les Anglais. Le concert de mercredi au Centre Bell se‐ ra le quatrième en cinq soirs au Québec (après le doublé au Centre Vidéotron en fin de semaine).

Cela dit, est-ce que le scé‐ nario proposé par Muse dans la chanson Will of the People – une révolution – va se réali‐ ser?

Curieuseme­nt, la réponse est peut-être venue par l’en‐ tremise des dernières paroles d’un classique vieux de plus de 15 ans du groupe, Knights of Cydonia, interprété à la toute fin du concert et précé‐ dé, comme d’habitude, par l’instrument­ale L’homme à l’harmonica, d’Ennio Morri‐ cone.

Pour être bien sûr que tout le monde saisisse la conclusion du concert, les pa‐ roles défilaient en lettres sur‐ dimensionn­ées sur les écrans.

Toi et moi devons nous battre pour nos droits/Toi et moi devons nous battre pour survivre.

Visiblemen­t, pour Muse, la lutte du peuple n’est pas ter‐ minée. Mais mardi, le groupe a offert aux gens exactement ce qu’ils désiraient.

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