Vingt ans après l’invasion de l’Irak, que reste-t-il du mouvement antiguerre?
C’était du jamais-vu : la plus grande manifestation de l’histoire du Québec. À quelques jours de l’inva‐ sion de l’Irak par les ÉtatsUnis, les Montréalais étaient sortis en masse pour demander au gouver‐ nement Chrétien de ne pas participer à la guerre. Ren‐ contre avec trois manifes‐ tants, vingt ans plus tard. Raymond Legault, porte-parole du Collectif Échec à la guerre
Les gens étaient eupho‐ riques, se souvient Raymond Legault. Le porte-parole du Collectif Échec à la guerre avait participé à l’organisation de cette grande marche. Le métro était bondé de gens qui s’en allaient à la manifes‐ tation, relate-t-il en souriant.
Parmi les manifestants, il y avait des familles, des artistes, des politiciens et des repré‐ sentants de centrales syndi‐ cales. Deux jours plus tard, Jean Chrétien a annoncé que le Canada ne participerait pas à l’invasion. Il faudra ensuite attendre le printemps érable, en 2012, pour revoir pareille foule dans la rue.
Ça a été une victoire, pas une victoire totale, mais c'est une des rares guerres à la‐ quelle le Canada n'a pas parti‐ cipé d'emblée, rappelle Ray‐ mond Legault, aujourd’hui âgé de 73 ans et toujours im‐ pliqué au sein du mouvement contre la guerre.
Ça nous donne un certain encouragement à poursuivre différents combats sociaux quand il y a d’importantes mobilisations qui donnent des résultats.
Raymond Legault, porteparole du Collectif Échec à la guerre
Si l’activiste veut faire preuve d’optimisme, force est de constater que son mouve‐ ment attire de moins en moins de monde dans les rues. Aujourd’hui, les manifes‐ tations que Raymond Legault organise attirent tout au plus quelques centaines de per‐ sonnes, même dans le contexte de la guerre en Ukraine.
C'est clair que les enjeux internationaux ne sont pas de grandes mobilisations pour la période actuelle, concède M. Legault. Je n’y vois pas un échec de notre mouvement. [...] C’est un échec de l’huma‐
nité à en finir avec les guerres.
Luc Picard, artiste
Luc Picard fait partie des artistes qui ont prêté leur voix au mouvement antiguerre. L’acteur décrit une inquiétude extrême face au militarisme américain de l’époque. C'était vraiment le premier président américain à la compétence douteuse, dit-il en évoquant George W. Bush.
Luc Picard raconte avoir été réconforté par la foule monstre avec laquelle il a marché le 15 mars 2003. T’as beau être militant pour quelque chose, tu ne t’at‐ tends pas à ce qu’il y ait au‐ tant de monde qui se sent de la même manière, explique-til.
C'est un sentiment de plus en plus rare parce qu’on est de plus en plus fragmentés à cause des cellulaires et des ré‐ seaux sociaux. [...] La force qu’on avait, qui était l’union, on ne l’a plus.
Luc Picard, comédien L’acteur constate aussi que les artistes ont de moins en moins tendance à prendre position sur des sujets déli‐ cats. À cause du tribunal po‐ pulaire, avance-t-il, mais aussi à cause de la qualité du débat public.
On peut dire que les ar‐ tistes parlent moins de poli‐ tique qu'avant. Moi, je pour‐ rais dire que les journalistes parlent moins de politique qu'avant, lance-t-il.
Louis Azzaria, Québécois d’origine irakienne
Ce n’est pas à Montréal que Louis Azzaria a marché, mais à Québec, où une mani‐ festation se tenait aussi le 15 mars 2003, comme dans beaucoup de villes cana‐ diennes.
Dans sa maison de SainteJulienne, le nonagénaire né à Bagdad nous montre la tenue qu’il avait revêtue ce jour-là : une petite veste en tissu blanc qu’il avait mise par-des‐ sus son manteau et sur la‐ quelle on pouvait lire J’ai de la famille en Irak.
Ce qui me revient, c’est la solidarité des gens. Je regar‐ dais leur visage et je savais qu’ils se sentaient comme moi, raconte Louis Azzaria qui a déménagé à Montréal en 1949, des décennies avant l’in‐ vasion américaine. Il qualifie celle-ci de catastrophe pour son pays natal.
Vingt ans plus tard, Louis Azzaria continue de livrer un vibrant plaidoyer pour la paix : au Moyen-Orient, mais aussi en Ukraine. Il n’y a au‐ cune raison d’embarquer dans la guerre, le désir de do‐ miner ou d’être plus grand. Il y a assez de choses dans le monde à partager, plaide-t-il, en appelant à la négociation.
Il faut faire un choix entre la vie et la mort. Et je pense que la guerre, c’est la mort. Louis Azzaria
De Bagdad à Sainte-Ju‐ lienne, le Québécois d’origine irakienne a eu une vie bien remplie avec sa femme, Ma‐ ryse, ainsi qu'avec leurs cinq enfants et petits-enfants. C’est maintenant pour eux qu’il rêve d’un monde en paix.