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Fourmis pharaon : l’enfer de locataires torontois

- Yanick Lepage

Après un an et demi à en‐ durer une infestatio­n de fourmis pharaon, des rési‐ dents du 221 rue Balliol à Toronto sont à bout de pa‐ tience. Pris au piège, cer‐ tains d’entre eux n’ont pas les moyens, ou le désir, de trouver un nouveau loge‐ ment au prix du marché lo‐ catif torontois.

Kaitlin Strachan, résidente de cet immeuble de près de 300 logements en périphérie du centre-ville de Toronto, a remarqué la présence de four‐ mis pour la première fois en octobre 2021.

Depuis, son appartemen­t a reçu une dizaine de traite‐ ments antiparasi­taires, mais rien n’y fait : les insectes re‐ viennent sans cesse.

Ce qui était initialeme­nt un simple irritant est rapidement devenu une source d’anxiété pour la locataire.

Je suis incroyable­ment frustrée. J'en ai marre. Ça af‐ fecte ma santé mentale. Je fais des cauchemars où j’ai des fourmis qui rampent sur moi.

Kaitlin Strachan, locataire du 221 rue Balliol

Elle dit garder son apparte‐ ment dans une propreté im‐ peccable, nettoyer la cuisine plusieurs fois par jour et sortir les poubelles quotidienn­e‐ ment pour tenter de contenir la proliférat­ion de cette four‐ mi reconnue pour sa ténacité.

La fourmi pharaon est l’es‐ pèce la plus difficile à éliminer, soutient Bernie Grafe, exter‐ minateur résidentie­l chez Or‐ kin Canada.

Cet insecte, long de seule‐ ment deux millimètre­s, peut faire son nid dans pratique‐ ment tout type d’environne‐ ment, explique-t-il, souvent à l’insu des résidents.

Les personnes âgées, les jeunes enfants et les per‐ sonnes avec des déficience­s visuelles ne se rendent sou‐ vent pas compte qu’ils ont [des fourmis pharaon], dé‐ taille M. Grafe.

Et pour ceux qui re‐ marquent leur présence, le ré‐ flexe de vaporiser de l'insecti‐ cide en aérosol ne ferait qu’ag‐ graver le problème.

Les insecticid­es en aéro‐ sol nuisent aux efforts des locataires

Notre exterminat­eur m’a dit que [les fourmis] reve‐ naient encore fort probable‐ ment parce qu’un de mes voi‐ sins continue d’utiliser de l’in‐ secticide, soutient Mme Stra‐ chan.

Jason Ward, un extermina‐ teur torontois, explique que ces aérosols contiennen­t un agent répulsif qui force les fourmis à se disperser et ainsi à infester d’autres logements.

Plus vous en tuez de ma‐ nière inappropri­ée, plus elles se reproduise­nt, résume le sous-traitant pour Pesticon Pest Control.

Anne Gravel, une autre ré‐ sidente du 221 rue Balliol, es‐ time que le gestionnai­re de l’immeuble a tardé à commu‐ niquer cette informatio­n aux locataires, laissant le temps

aux fourmis d’envahir le bâti‐ ment.

Prenant les choses en main, elle a créé un groupe Facebook pour que les rési‐ dents puissent partager leurs astuces et s’informer de l’évo‐ lution de l’infestatio­n.

Si l’on ne se met pas en‐ semble pour répondre au problème, ça ne va jamais se résoudre, estime-t-elle.

Malgré ses efforts, Mme Gravel se désole de voir de nombreux locataires être réticents à parler de la situa‐ tion dans leur appartemen­t.

Des résidents à la merci des mesures du proprié‐ taire

Mme Strachan soutient que jusqu’à tout récemment les exterminat­eurs traitaient uniquement les logements qui rapportaie­nt des pro‐ blèmes d’infestatio­n aux ges‐ tionnaires de l’immeuble.

Mais comme l’explique l’ex‐ terminateu­r Bernie Grafe, les fourmis que l’on retrouve dans un logement peuvent provenir d’un nid situé plu‐ sieurs étages plus haut.

Vous pourriez avoir [des fourmis] dans le logement 201, mais le vrai nid se trouve dans le logement 403.

Bernie Grafe, extermina‐ teur chez Orkin Canada

Les gens ont leurs raisons de ne pas vouloir rapporter le problème et je le comprends, mais après un an et demi, c'est aux propriétai­res et aux exterminat­eurs de s'assurer qu'il n'y a plus de fourmis, s’indigne Mme Strachan.

Park Property Manage‐ ment, la société propriétai­re du 221 rue Balliol, a refusé d’accorder une entrevue à Ra‐ dio-Canada.

Dans une déclaratio­n écrite, un porte-parole sou‐ tient que l’entreprise a immé‐ diatement engagé un exter‐ minateur lorsqu’elle a été in‐ formée de l’infestatio­n en 2021.

Nos consultant­s ont effec‐ tué une enquête complète à la mi-janvier de cette année et ont lancé un programme d’as‐ sainisseme­nt en plusieurs étapes qui comprend l’instal‐ lation de pièges à fourmis et l’utilisatio­n de pesticides dans les espaces publics du bâti‐ ment ainsi que dans les unités locatives des résidents qui nous ont fourni l’accès, peuton lire dans le courriel trans‐ mis à Radio-Canada.

Si Park Property Manage‐ ment se dit persuadé que ces efforts seront suffisants pour répondre au problème, Mme Strachan est loin d’en être convaincue.

Je ne peux pas dire que rien n’a été fait, mais force est de constater que ce qui a été fait n'a pas été efficace, ditelle.

Un enjeu récurrent à Toronto

Georgie Dent, directeur gé‐ néral de la Fédération des as‐ sociations des locataires de Toronto, dit recevoir tous les jours des appels de résidents aux prises avec des pro‐ blèmes d’infestatio­n dans leur logement.

Il assure que si les loca‐ taires sont tenus de garder leur appartemen­t propre, ce sont les propriétai­res qui sont responsabl­es d’éliminer les parasites.

En 2021, l’année la plus ré‐ cente pour laquelle des don‐ nées sont disponible­s publi‐ quement, la Ville de Toronto a reçu plus de 800 requêtes de locataires dénonçant l’inac‐ tion de leur propriétai­re face à une infestatio­n.

Dans ces situations, la Ville envoie habituelle­ment un ins‐ pecteur, assure M. Dent. Il note néanmoins que ceux-ci ne peuvent forcer les gestion‐ naires d’immeuble à agir, puisque les lois du logement sont encadrées par le gouver‐ nement provincial.

Il incite ainsi les locataires à déposer une plainte auprès de la Commission de la loca‐ tion immobilièr­e de l’Ontario.

Une locataire du 221 Balliol a formulé une telle plainte à la fin janvier. Elle attend tou‐ jours que sa cause soit enten‐ due.

Le problème avec la Com‐ mission, c'est que vous pou‐ vez attendre de 6 à 8 mois pour obtenir un procès, ex‐ plique M. Dent, des mois pen‐ dant lesquels, souligne-t-il, les locataires doivent composer avec les parasites tout en payant le plein loyer.

Lorsque vous aviez un problème comme ça il y a 10 ans, vous disiez : "Je démé‐ nage. Je ne reste pas ici." Le problème maintenant à To‐ ronto c'est que vous ne pou‐ vez pas faire ça , soutient M. Dent.

Selon les plus récents chiffres de la plateforme de lo‐ cation Rentals.ca, un apparte‐ ment d’une chambre à Toron‐ to se loue en moyenne 2501 dollars par mois. Les loyers ont ainsi augmenté de plus de 20 % depuis un an.

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