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Un bon tuyau : attention aux « faux plombiers »

- François Sanche

Quand une toilette est blo‐ quée, il y a péril en la de‐ meure. C’est encore plus urgent dans un commerce où travaillen­t plusieurs employés. Yves Dion est gé‐ rant chez Portes & Mou‐ lures Dépôt, à Longueuil. Il a dû composer avec cet épi‐ neux problème l’été der‐ nier.

Il s’est lancé dans la re‐ cherche fébrile d’un plombier sur Internet et a fait plusieurs appels. Trop occupé, trop oc‐ cupé, répond pas… Finale‐ ment, quand je suis tombé sur celui-là, j'étais content! Le nom de l’entreprise : Plombier Urgence. En plein dans le mille.

Ils m'avaient parlé de 340 à 500 $ au téléphone, se rap‐ pelle-t-il. Deux hommes ar‐ rivent un peu plus tard. M. Dion leur désigne la salle de toilette. Mais il doit quitter la succursale plus tôt ce jourlà et laisse le soin à une col‐ lègue de payer les plombiers.

À la fin des travaux, les in‐ dividus présentent une fac‐ ture substantie­lle : 2175,47 $, payables par virement Interac seulement. L’employée paie sans broncher. Je ne suis pas vraiment habituée avec les plombiers, s’excusera-t-elle.

Lorsqu’il apprend le coût de la réparation, Yves Dion est catastroph­é. Il n’en veut tou‐ tefois pas à sa collègue. Ce n'est pas de sa faute du tout. C'est ma faute à moi, je prends le blâme à 100 %. Mais il ne décolère pas contre Plombier Urgence.

Je me suis fait arnaquer d'aplomb.

Yves Dion, gérant, Portes & Moulures Dépôt

Si seulement le travail avait été bien fait! Le lende‐ main, la senteur était terrible dans la salle de toilette, gri‐ mace le gérant. Ça fait que, oui, j'ai fait venir un autre plombier.

Michel Larivière, un plom‐ bier en règle, n’en revenait pas. Ils ne se sont pas donné la peine de reposer la toilette sur un nouveau beigne de cire. Lui aussi a été estoma‐ qué par le prix demandé par Plombier Urgence. Si j’avais fait le travail, j’aurais demandé entre 230 $ et 430 $, plus taxes.

Yves Dion a tenté de se faire rembourser. J'ai été ca‐ pable de les rappeler deux fois. Je voulais ravoir l'argent. Les deux fois, on m'a dit : "Monsieur Dion, faites-vous en pas, il y a eu une erreur de ma secrétaire." Après ça, je n’étais plus capable de re‐ joindre personne.

Un phénomène répan‐ du dans les grandes villes

Le phénomène des faux plombiers sur Internet ne date pas d’hier. C'est apparu aux États-Unis et dans le Ca‐ nada anglophone principale‐ ment, explique Myriam Ertz, professeur­e de marketing à l’Université du Québec à Chi‐ coutimi. À partir du moment où on est dans un sentiment d'urgence, on ne réfléchit plus toujours de manière 100 % ra‐ tionnelle. C'est à ce momentlà qu'ils entrent en jeu. Ils pro‐ posent un service qui va ré‐ pondre à cette urgence mais qui va profiter de notre situa‐ tion de vulnérabil­ité.

Ils vont donner un mau‐ vais service ou exagérer les ré‐ parations, faire de la casse de manière délibérée pour en‐ suite surfacture­r le consom‐ mateur.

Myriam Ertz, professeur­e de marketing à l’Université du Québec à Chicoutimi

Ces individus investisse­nt dans l’achat de mots clés pour faire monter leurs sites Inter‐ net en tête des résultats du moteur de recherche Google. Ces liens commandité­s coûtent cher; c'est en fait une opération à très court terme qu'ils font, explique Myriam Ertz. Mais leur objectif, c'est de rafler le plus de clients pos‐ sible, de ramasser le plus d'ar‐ gent à travers des services mal rendus pour ensuite payer leurs dépenses. Dans tout cela, l’expertise en plom‐ berie est... facultativ­e. Ce sont des complices plus ou moins qualifiés qui seront envoyés chez le client.

Rien n’empêche toutefois une entreprise d’annoncer des services sur Internet, de trouver de la clientèle et de confier les contrats en soustraita­nce à de vrais plombiers. Quelqu’un m’a déjà approché pour que je travaille pour lui, raconte le plombier Michel La‐ rivière. Il m’a dit : "Es-tu prêt à accepter du travail supplé‐ mentaire? Je te trouve de la clientèle sur Internet, je te les envoie, je garde une partie de l'argent." J’ai refusé ça, pour‐ suit le plombier d’expérience. J’ai assez d’ouvrage comme ça.

Toutefois, les plombiers moins à l’aise avec les rouages du marketing sur Internet peuvent voir un avantage à cette formule.

Alerte à la population

Yves Dion et ses collègues ont publié un avis négatif sur Google contre l’entreprise Plombier Urgence : Attention, arnaque. Puis, ils sont passés à autre chose.

Cependant, de nombreux autres consommate­urs ayant vécu la même mauvaise expé‐ rience ont porté plainte à la Corporatio­n des maîtres mé‐ caniciens en tuyauterie du Québec (CMMTQ), qui a pour mission d’assurer la protec‐ tion du public et de voir au respect de la loi qui régit le travail des plombiers. On a re‐ çu plusieurs plaintes dans un court laps de temps, explique Steve Boulanger, directeur gé‐ néral de cette corporatio­n.

C'étaient souvent des si‐ tuations dans lesquelles il y avait exécution de travaux de plomberie dans un contexte d'urgence. On nous dénonçait des coûts excessifs ou une pression indue pour obtenir le paiement.

Steve Boulanger, directeur général de la CMMTQ

La CMMTQ a signifié plu‐ sieurs constats d'infraction à une entreprise, 9458-4414 Québec inc., à sa propriétai­re, Laurie Boies, ainsi qu’à quatre autres individus pour avoir exécuté des travaux de plom‐ berie sans détenir les licences appropriée­s. C’est d'ailleurs cette entreprise à numéro qui a encaissé le virement Interac de Portes & Moulures Dépôt. Elle est aujourd’hui radiée. Mme Boies et 9458-4414 Qué‐ bec inc. font face à 25 chefs d’accusation.

Dans un communiqué pu‐ blié en août dernier, la CMMTQ a alerté la population au sujet de Laurie Boies et de son entreprise. Le communi‐ qué précise que 9458-4414 Québec inc. fait affaire dans les régions de la Montérégie, de Montréal, de Laval, de La‐ naudière et des Laurentide­s sous plusieurs noms et avec plusieurs numéros de télé‐ phone.

Entreprise­s soupçon‐ nées d’exécuter des tra‐ vaux de plomberie sans être membres en règle

9458-4414 Québec inc. Ser‐ vice Urgence Plombier Ur‐ gence Plombier Abordable Plombier Monk Plombier Saint-Laurent Plombier Laval Plombier Rive-Sud

[Ces entreprise­s] utilisent plusieurs noms, numéros de téléphone (514 307-3419, 450 987-3624, 514 532-0131, 514 535-0176, 514 319-0186 et 438 221-5390), des sites Web (plombierur­gence.ca et plom‐ bieraborda­ble.com) et des an‐ nonces Google pour contac‐ ter des clients potentiels.

Extrait du communiqué de la CMMTQ

Versions contradict­oires

Laurie Boies, que nous avons jointe, affirme ne pas se souvenir de l’appel de Portes & Moulures Dépôt en juillet dernier. Elle a plaidé non coupable des chefs d’ac‐ cusation qui pesaient sur elle. Je ne faisais pas de plomberie; je répondais aux appels et je m’occupais des paiements, dit-elle. Je n’ai rien fait d’illégal.

Mme Boies rejette le blâme sur son ex-conjoint, Cé‐ drik-Alexandre Brazeau-Verati, qu’elle décrit comme un spé‐ cialiste du marketing sur In‐ ternet. Elle dit avoir eu avec lui une relation houleuse et l’accuse de s’être servi d’elle comme prête-nom. En 2018, M. Brazeau-Verati a plaidé coupable d'accusation­s simi‐ laires d’exercice illégal de la plomberie.

Cependant, aujourd'hui, Cédrik-Alexandre Brazeau-Ve‐ rati, que nous avons aussi joint, renvoie la balle à son exconjoint­e. Moi, ce que je fais, c'est de la publicité. Je ne suis pas le boss des entreprise­s. T'as déjà entendu parler de Laurie Boies? C'est elle qui gère la compagnie. À 100 %.

M. Brazeau-Verati a promis de nous raconter la vraie his‐ toire... mais cette déclaratio­n énigmatiqu­e n’a pas eu de suite. Quelques heures après notre conversati­on, il a été ar‐ rêté relativeme­nt à deux mandats d’arrestatio­n, dont un pour non-respect d’une or‐ donnance qui lui interdit tout contact avec Laurie Boies.

Selon le Registre des entre‐ prises du Québec, deux autres personnes sont liées à Plombier Urgence : Stéphanie Provost et son conjoint, Maxime Marquette. Mme Provost nous a écrit à propos de son conjoint, un in‐ fographist­e concepteur de sites Internet : Maxime ou‐ vrait les compagnies à son nom, comme pour les réser‐ ver le temps de faire le site Web. Une fois tout en place, le client est supposé reprendre la compagnie et la remettre à son nom.

Malheureus­ement, Cédrik a bien niqué Maxime en ne changeant rien.

Stéphanie Provost Le couple affirme vouloir tourner la page sur sa relation avec M. Brazeau-Verati et Mme Boies.

Après cette mésaventur­e, Yves Dion a, lui, eu du mal à tourner la page. C'était à moi de conter ça à mon boss. Mais il a compris que je me suis fait avoir, et pas à peu près. J'en ai parlé à nos autres succursale­s pour pas que ça leur arrive. La prochaine fois, assurez-vous que celui que vous appelez, c'est un bon.

Myriam Ertz encourage d’ailleurs les consommate­urs à se renseigner sur leurs droits et à porter plainte. Très peu de consommate­urs se plaignent quand un mauvais service est rendu. [...] À partir du moment où une organisa‐ tion a un nombre élevé de plaintes qui lui est associé, ça commence à intéresser les au‐ torités.

Un bon tuyau

Vérifiez si l’entreprise de plomberie avec qui vous faites affaire est bien membre de la CMMTQ. La Corporatio­n demande aux entreprene­urs en plomberie d’afficher claire‐ ment qu’ils sont membres. Sur son site Internet, vous pouvez consulter le Réper‐ toire des membres.

Encore plus simple : faites une recherche des plombiers disponible­s dans votre sec‐ teur.

Les propos ont été résu‐ més afin d'en faciliter la com‐ préhension.

Le reportage du journa‐ liste et animateur François Sanche, des journalist­es à la recherche Kim Chabot et Isa‐ belle Roberge et de la réalisa‐ trice Stéphanie Desforges est diffusé à La facture le mardi à 19 h 30 et le samedi à 12 h 30 à ICI Télé.

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