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Fermeture du chemin Roxham : « Il y aura plus de drames à la frontière »

- Julie Roy

Annoncée vendredi aprèsmidi et en vigueur depuis minuit samedi, la ferme‐ ture du chemin Roxham a pris beaucoup de gens par surprise et suscite de vives inquiétude­s dans le sec‐ teur humanitair­e. À l’ins‐ tar d’autres organismes qui oeuvrent auprès de mi‐ grants, Amnistie interna‐ tionale redoute l’impact qu’aura cette décision sur les demandeurs d’asile.

On est quand même sous le choc. On ne s’attendait pas à quelque chose d’aussi radi‐ cal, a reconnu France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internatio­nale pour le Canada francophon­e, samedi matin en entrevue à RDI.

On n’avait pas beaucoup d’espoir dans une renégocia‐ tion de l’entente. Mais cette fermeture complète de la frontière nous a vraiment pris par surprise. On est très, très inquiets.

En vertu de l’accord actua‐ lisant l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis annoncé ven‐ dredi par Justin Trudeau, les migrants qui tentent d’entrer au pays par le chemin Rox‐ ham sont arrêtés et transpor‐ tés jusqu'au point d’entrée of‐ ficiel le plus près. Pourquoi dit-on que le chemin Roxham est fer‐ mé?

Bien que le chemin Rox‐ ham ne soit pas bloqué par un obstacle physique, comme une clôture, nous utilisons tout de même le verbe fermer pour qualifier son état comme l'ont fait les gouver‐ nements récemment. En rai‐ son des modificati­ons à l’En‐ tente sur les tiers pays sûrs, les personnes qui le tra‐ versent pour demander l’asile au Canada seront maintenant renvoyées aux États-Unis, sauf exception.

Ils sont ensuite pris en charge par les agents des ser‐ vices frontalier­s canadiens, qui doivent déterminer s’ils peuvent ou non entrer au Ca‐ nada. S’ils ne respectent pas les critères établis, les deman‐ deurs d’asile sont retournés dans le dernier pays sûr foulé, en l'occurrence les États-Unis.

Avec d’autres organisa‐ tions, tel le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie in‐ ternationa­le conteste devant les tribunaux l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Cana‐ da et les États-Unis. En fait, elle conteste le fait que les États-Unis sont considérés comme un pays sûr.

Les États-Unis ne sont pas un tiers pays sûr parce qu’on y criminalis­e la migration. On arrête [les migrants], on [les] emprisonne et on sépare les familles. On ne respecte pas le principe de non-refoulemen­t, donc des personnes sont sus‐ ceptibles d’être retournées vers leur pays d’origine où elles sont menacées d’être persécutée­s, torturées et tuées, affirme Mme Langlois.

En refoulant ces per‐ sonnes vers les États-Unis, qui risquent de les retourner dans leur pays d'origine, c’est le Canada lui-même qui ne respecte pas ses obligation­s en matière de droit d’asile et le principe fondamenta­l de non-refoulemen­t.

France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internatio­nale pour le Canada francophon­e

La Cour fédérale du Cana‐ da a donné raison à Amnistie internatio­nale dans cette cause, qui a été portée en ap‐ pel par le gouverneme­nt ca‐ nadien. La Cour suprême de‐ vrait se pencher sur la ques‐ tion cet été.

Amnistie internatio­nale ré‐ clame l’abolition pure et simple de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Cana‐ da et les États-Unis pour que s'enclenchen­t les processus réguliers d’immigratio­n et de demande d’asile.

L’an dernier, près de 40 000 migrants ont atteint le Québec par le chemin Rox‐ ham. Malgré la pression que cette vague migratoire a exer‐ cée sur les organismes huma‐ nitaires, France-Isabelle Lan‐ glois croit que le Canada pourrait faire beaucoup mieux en matière d’accueil de réfugiés.

C’est une question de vo‐ lonté politique, dit-elle. Ça pa‐ raît gros, 40 000 personnes, mais ce n’est pas tant que ça, malheureus­ement. On parle de 100 millions de personnes à travers le monde. C'est un phénomène mondial. Et ce n’est pas en fermant les fron‐ tières et le chemin Roxham qu’on va l’endiguer.

Il va toujours y avoir des gens qui vont vouloir une vie meilleure et protéger leurs fa‐ milles. Quand on arrive au chemin Roxham, c’est qu’on a déjà traversé des chemins beaucoup plus périlleux, in‐ dique-t-elle.

Des représenta­nts d’autres organismes abondent dans ce sens : ce n’est pas la fermeture du chemin Roxham qui empê‐ chera les demandeurs d’asile de tenter leur chance au Ca‐ nada. Ils prendront simple‐ ment plus de risques pour s’y rendre.

Ce type de prise de déci‐ sion [...] dans le passé a mené à la création de nombreux ré‐ seaux de passeurs, a souligné Abdulla Daoud, directeur gé‐ néral du Centre de réfugiés de Montréal, en entrevue à La Presse canadienne. Le Ca‐ nada n'a jamais vraiment eu à composer avec cela, mais maintenant, je pense que nous allons voir les chiffres augmenter, parce que ces in‐ dividus mal intentionn­és ne vont pas disparaîtr­e.

Il est très possible que les gens essaient de traverser en utilisant des endroits plus ca‐ chés et se retrouvent coincés dans les bois pendant des jours et même qu'ils y perdent la vie, croit Eva Gra‐ cia-Turgeon, directrice géné‐ rale du Foyer du Monde.

Nous parlons également ici de familles, de femmes en‐ ceintes et de jeunes enfants qui vont traverser la frontière. Il y aura donc potentiell­ement plus de drames à la frontière, ajoute Mme Gracia-Turgeon.

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