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Chemin Roxham : comment le gouverneme­nt Trudeau a convaincu les Américains

- Romain Schué

Revoir les règles à la fron‐ tière canado-américaine et tout particuliè­rement au chemin Roxham était loin d’être une sinécure. Presque jusqu’à la dernière minute, « rien n’était cer‐ tain », a-t-on confié à Ra‐ dio-Canada.

Selon nos informatio­ns, des élus canadiens ont dû ar‐ demment insister durant des mois pour convaincre la Mai‐ son-Blanche de moderniser rapidement l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères, et Sean Fraser, ministre de l’Immigra‐ tion, auraient joué des rôles clés pour persuader Washing‐ ton. Un processus loin d'être évident.

L’administra­tion de Joe Bi‐ den aurait longtemps fermé les yeux sur ces questions avant de prendre notamment conscience des enjeux poli‐ tiques liés à l’augmentati­on constante du nombre de per‐ sonnes d’origine latino-améri‐ caine qui tentent d’entrer aux États-Unis en passant par le Canada. Un moment décisif.

Au début, les Américains ne voulaient tout simplement pas en parler. Ce n’était pas un problème pour eux, ex‐ plique une source proche du dossier, qui a participé de très près à ces longues négocia‐ tions.

On a vraiment dû faire du push politique pour y arriver, ajoute une autre source.

Pour nous, c’était un gros dossier, une grosse victoire. Certains diront que c’est même trop beau pour être vrai.

Une source fédérale

Trois sources fédérales qui occupent des postes impor‐ tants et qui ne sont pas auto‐ risées à parler publiqueme­nt ont accepté de raconter les détails de ces discussion­s qui se sont terminées, à la quasisurpr­ise générale, juste avant cette rencontre au sommet.

Cette conclusion a même pris de court à la fois le gou‐ vernement du Québec, des élus des opposition­s ainsi que des agents sur le terrain qui ignoraient que de tels change‐ ments se préparaien­t.

Un accord de principe en 2022, mais aucune ga‐ rantie

Quelques semaines avant la première visite officielle de Joe Biden au Canada, rien ne laissait prévoir un tel accord, annoncé avec de grands sou‐ rires par le premier ministre canadien et par le président démocrate américain. Celui-ci n’exclut pas d’entamer bien‐ tôt une nouvelle campagne électorale dans un pays où l’immigratio­n demeure un su‐ clivant.

Depuis plusieurs années, le Canada tentait pourtant de moderniser l’Entente sur les tiers pays sûrs, signée en 2002 avec les États-Unis, puisqu’elle n’encadrait pas l’entrée des demandeurs d’asile ailleurs qu'aux postes de douane offi‐ ciels.

Cet objectif figure d’ailleurs dans les lettres de mandat de plusieurs ministres fédéraux depuis l’élection victorieus­e de Justin Trudeau à l’au‐ tomne 2019.

En novembre 2021, un voyage à Washington de la ministre des Affaires étran‐ gères, Mélanie Joly, aurait me‐ né aux premiers gestes concrets. L’élue québécoise aurait évoqué les problèmes au chemin Roxham avec son homologue Anthony Blinken, à l'écart des caméras.

On avait trouvé un accord de principe, explique une source. Comme l’avait d’ailleurs évoqué Radio-Cana‐ da à la fin de l’année 2021, Ot‐ tawa avait alors décidé de col‐ mater la brèche du chemin Roxham afin d’encadrer les voies de passage irrégulier et Justin Trudeau en avait parlé publiqueme­nt pour la pre‐ mière fois.

Ce protocole, différent de l’entente finale, a été ratifié par Ottawa le 29 mars 2022 et par Washington quelques jours plus tard, tel que décrit récemment par Radio-Cana‐ da. Ensuite, on pensait que ça prendrait un an ou 18 mois [pour conclure l’entente], pré‐ cise une de nos sources.

En réalité, les deux pays avaient uniquement décidé de l’idée générale d'un nouvel accord bilatéral, bien avant la vague historique de migrants irrégulier­s qu’ont connue non seulement le Canada mais aussi les États-Unis à leur frontière sud.

Il n’y avait aucune garantie [de mise en applicatio­n]. Ça s’est négocié récemment, as‐ sure une source. Les Améri‐ cains prenaient un peu de temps, ironise une autre source.

Eux [les Américains] n’étaient ensuite pas vraiment pressés pour mettre en place les modalités [de ce nouvel accord].

Une source fédérale Il restait de nombreux points réglementa­ires à évo‐ quer. Mais aussi des détails concrets à régler, comme le délai avant de refouler les mi‐ grants, finalement établi à 14 jours.

Des exceptions existent toujours

Depuis le 25 mars, les points d’entrée irrégulier­s, comme le chemin Roxham, sont désormais encadrés par l’Entente sur les tiers pays sûrs. Toutefois, certaines per‐ sonnes peuvent toujours em‐ prunter ce passage pour de‐ mander l’asile au Canada, se‐ lon les exceptions existantes. Celles-ci concernent par exemple les mineurs non ac‐ compagnés ou encore des de‐ mandeurs qui ont des membres de leur famille au Canada. Rien ne les oblige néanmoins à utiliser le che‐ min Roxham. Ils peuvent em‐ prunter n’importe quel point d’entrée dans n’importe quelle province.

Des entrées du Mexique qui inquiètent Washington

Au cours des derniers mois, les discussion­s ont traî‐ né. Ottawa a même prolongé des baux autour du chemin Roxham et a agrandi ses ins‐ tallations pour accueillir les centaines de demandeurs d’asile qui arrivaient chaque semaine par cette voie grâce à un système de passeurs et de transport de plus en plus or‐ ganisés.

Si les gens arrivaient, c’était important d’avoir des infrastruc­tures, justifie une source.

Le chemin Roxham est connu partout dans le monde. La nouvelle entente ne change pas le besoin d’avoir des agents tout le temps présents.

Une source fédérale

Tout aurait commencé à basculer concrèteme­nt en janvier.

Le moment important a été le "sommet des Trois Ami‐ gos" en début d’année, confie une source en parlant de la rencontre entre Justin Tru‐ deau, Joe Biden et Andrés Ma‐ nuel Lopez Obrador.

Peu de temps auparavant, plusieurs enquêtes média‐ tiques ont démontré l’arrivée en forte hausse de migrants, principale­ment mexicains, qui tentent d’entrer illégaleme­nt aux États-Unis en passant par le Canada. Des élus républi‐ cains ont également haussé le ton au Capitole à ce sujet.

Avant, le seul problème des Américains, c’était leur frontière avec le Mexique. On leur a fait réaliser ce souci au nord et ils ont vu ce problème qu’ils ne voulaient pas avoir à gérer publiqueme­nt et politi‐ quement, détaille une source.

Le ton des discussion­s a fi‐ nalement grandement évolué en mars, quelques jours à peine après la sortie média‐ tique de l’ambassadeu­r des

États-Unis au Canada, David Cohen. Celui-ci a assuré que la renégociat­ion de l’Entente sur les tiers pays sûrs n’était pas une priorité pour Washing‐ ton.

Ça nous a beaucoup sur‐ pris. C’était une frustratio­n et ça sortait un peu de nulle part, reprend une source.

Pour Ottawa, il fallait aussi accélérer les choses pour évi‐ ter d'autres problèmes poli‐ tiques au Canada.

On envoyait les deman‐ deurs d’asile dans plusieurs provinces, mais des maires et des premiers ministres [des provinces] se faisaient en‐ tendre. Il fallait vraiment "tes‐ ter l’eau" à nouveau avec les Américains [pour faire avan‐ cer le dossier], fait valoir une source.

Au début du mois de mars, Sean Fraser, le ministre cana‐ dien de l’Immigratio­n, s'est rendu dans la capitale améri‐ caine. Publiqueme­nt, il est resté très flou au sujet de sa rencontre avec le secrétaire à la Sécurité intérieure, Alejan‐ dro Mayorkas. En réalité, le chemin Roxham et la migra‐ tion irrégulièr­e ont été au coeur de cette rencontre.

Il ne lui a pas dit qu’il fallait régler le problème, car ça met‐ tait trop de pression sur nous [et] sur le Québec. Mais [il lui a dit] qu’on est un partenaire pour lutter contre la migra‐ tion irrégulièr­e. Les Améri‐ cains voulaient avoir un win à leur frontière nord, souligne une source.

Ottawa s'est également plaint, discrèteme­nt, de cer‐ tains agissement­s américains, notamment le transport fi‐ nancé par la Ville de New York pour que des migrants puissent se rendre jusqu’au chemin Roxham ou encore l’implicatio­n de douaniers pour emmener des migrants sur ce passage.

On a pu utiliser ces ru‐ meurs pour leur dire : "Qu’estce qui se passe?" Il y a eu un ensemble de facteurs, mais c’était aussi, pour nous, un outil de négociatio­n.

Une source fédérale

Un accord contre 15 000 nouvelles arrivées

En pleine préparatio­n du séjour de Joe Biden à Ottawa, Mélanie Joly a ensuite passé un coup de fil à un contact à la Maison-Blanche à la mimars. À cet instant, l’immigra‐ tion et le chemin Roxham ne figuraient toujours pas à l’ordre du jour de cette visite officielle.

Elle voulait mettre de l’avant ces thématique­s, pré‐ cise une source. L’idée, c’était : "Il faut que ce soit derrière nous [avant la visite] ou qu’on règle ça pendant." Elle leur a dit que si on était capables d’accélérer le processus, ce se‐ rait bien.

On leur a dit aussi que s’ils voulaient que la visite se passe bien, s’ils voulaient évi‐ ter des sorties publiques des premiers ministres [des pro‐ vinces] et des questions de journalist­es en conférence de presse, que c’était aussi dans leur intérêt, fait-on remar‐ quer.

Le message a porté fruit, mais l’équipe de Joe Biden avait cependant une exi‐ gence.

Ils ont demandé qu’on ac‐ cueille cette année 15 000 autres personnes. C’était leur idée, mais on ne voulait rien se faire dicter non plus. Ils ne voulaient pas nous donner cette entente gratui‐ tement. On en a discuté [avec le premier ministre Justin Tru‐ deau] et on n’avait aucun pro‐ blème, car on veut contribuer. Mais ce ne seront pas eux qui décideront de l’origine des gens qui viendront au Cana‐ da.

Sean Fraser et Alejandro Mayorkas ont eu une autre discussion téléphoniq­ue quelques jours plus tard, lais‐ sant entendre qu'une an‐ nonce publique était possible lors de la visite de Joe Biden.

Mais aucune date d’entrée en vigueur n’était encore déci‐ dée. L’entente finale n’était pas encore certaine. Une se‐ maine avant la venue du pré‐ sident américain, on attendait toujours, indique une source.

Qui seront ces 15 000 de‐ mandeurs d’asile?

Dans le cadre de cet ac‐ cord, le Canada s’est engagé à accueillir 15 000 demandeurs d’asile supplément­aires au cours des 12 prochains mois. Mais très peu de détails ont filtré. Et pour cause : ce pro‐ gramme est encore en cours d’élaboratio­n, a appris RadioCanad­a.

L’idée, à l’instar des poli‐ tiques annoncées par Joe Bi‐ den en janvier, consistera­it à permettre à ces personnes – qui peuvent difficilem­ent arri‐ ver au Canada par avion – de faire leur demande dans leur pays de résidence afin de ne pas les encourager à traverser la frontière américaine ter‐ restre, puis la frontière cana‐ dienne.

Ce n'est pas tout le monde qui sera admissible à cette mesure. On parle à ce jour de migrants originaire­s du conti‐ nent américain, probable‐ ment d’Amérique latine, dont Haïti, et d'Amérique centrale.

Ce chiffre pourrait néan‐ moins évoluer. Rien ne dit qu’il n’y en aura pas plus ou qu’on ne prolongera pas cette mesure, glisse-t-on à Ottawa.

Québec en des discussion­s dehors

Finalement, c’est quelques heures à peine avant l’arrivée de Joe Biden au Canada qu’une date d’entrée en vi‐ gueur de cette mise à jour de l’Entente sur les tiers pays sûrs a communémen­t été adoptée, et ce, dans le plus grand secret.

Le gouverneme­nt Legault ignorait même la progressio­n finale de ces discussion­s, qui n’ont pas filtré. La ministre de l’Immigratio­n du Québec, Christine Fréchette, a été in‐ formée quelques minutes à peine avant la diffusion d’un reportage de Radio-Canada qui annonçait cet accord.

La rapidité de la mise en oeuvre de l’Entente nous a étonnés. On savait qu’il y avait des discussion­s, mais on ignorait [l'existence de] l’ac‐ cord, raconte un proche de François Legault.

On est restés estomaqués, mais on est contents.

Une source proche de François Legault

Les agents canadiens pré‐ sents à Roxham ont quant à eux pris connaissan­ce de ces changement­s dans les mé‐ dias. Quelques heures avant l’entrée en vigueur, ils igno‐ raient la marche à suivre, se‐ lon nos informatio­ns. Ce qui a provoqué de la frustratio­n au sein des forces policières.

Il n’y avait rien de certain. On attendait. Si on avait pu l’annoncer plus tôt, on l’aurait fait.

Une source fédérale

On ne pouvait rien dire, on devait être prudents, affirmet-on à Ottawa.

Aux yeux du gouverne‐ ment Trudeau, il s’agit d’une victoire historique, acquise sans compromis dérangeant, même si de nombreuses cri‐ tiques se font entendre de la part d’organismes humani‐ taires canadiens et étrangers.

On sait que ce ne sera pas parfait, reconnaît une source, mais on se devait de le faire. Il y avait une brèche et il fallait un esprit d’équité. Que pou‐ vait-on dire aux autres réfu‐ giés qui attendent patiem‐ ment dans leur pays alors que d’autres arrivaient par Rox‐ ham?

blissement qui est dans la ca‐ tégorie D ou C puisse se faufi‐ ler dans les priorités parce qu’on aura tenu compte d’autres paramètres. Par exemple, le vieillisse­ment de la population dans un terri‐ toire donné, explique Mme Bélanger.

Entre-temps, elle rappelle que tous les établissem­ents au Québec, dans l’ensemble des régions, ont aussi une en‐ veloppe pour faire des réno‐ vations fonctionne­lles qui fe‐ ront une très, très grande dif‐ férence pour la qualité des mi‐ lieux de vie.

La ministre ne doute pas des cotes

Selon Mme Bélanger, on a quand même de très bons CHSLD au Québec. Il y en a certains qui sont dans un état de désuétude, mais on va mi‐ ser pour les rénover. C’est vraiment important, la qualité des soins et la sécurité. Il n’y a pas de compromis à faire sur ce sujet-là.

Contrairem­ent à son col‐ lègue Bernard Drainville, mi‐ nistre de l’Éducation, Sonia Bélanger ne doute pas de la méthode de classifica­tion de la vétusté des CHSLD. La se‐ maine dernière, le premier mi‐ nistre François Legault et le ministre Bernard Drainville ont tous deux remis en ques‐ tion le système permettant de calculer l’indice de vétusté des écoles. François Legault s’est même demandé ouver‐ tement si les centres de ser‐ vices scolaires exagéraien­t l’évaluation des bâtiments en vue de recevoir plus d’argent pour les rénover.

Interrogée à ce sujet, Sonia Bélanger ne semble pas contester les cotes attribuées aux CHSLD. Moi, je suis très satisfaite de l’évaluation pro‐ fessionnel­le qui est faite, ditelle en rappelant que des in‐ génieurs y participen­t.

Le gouverneme­nt s’est en‐ gagé à construire 46 nouvelles maisons des aînés et maisons alternativ­es (qui hébergent des personnes adultes ayant une déficience physique, une déficience intellectu­elle ou un trouble du spectre de l’au‐ tisme).

À terme, les projets de‐ vraient permettre de créer 3054 nouvelles places et de redonner 426 places exis‐ tantes dans des CHSLD réno‐ vés.

L’explosion des coûts de constructi­on et la pénurie de main-d’oeuvre causent cepen‐ dant des maux de tête au gouverneme­nt. La ministre Sonia Bélanger prévoit faire bientôt un bilan d’avance‐ ment des projets.

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