Radio-Canada Info

Se battre contre la COVID longue et Retraite Québec

- Esther Normand

Pour ne rien oublier, Nan‐ cy Perron a noté sur une feuille de papier tous les symptômes qui l’affligent. Elle les énumère lente‐ ment : « Vertiges; fatigue; perte de mémoire; brouillard mental; dou‐ leurs articulair­es; essouf‐ flement; vision brouillée, parfois. »

Entourée de sa mère, de sa fille et de ses deux petits-en‐ fants, cette femme de 54 ans explique qu’elle était autrefois très dynamique, toujours prête à aider les autres. Ce‐ pendant, depuis la COVID-19, elle s’épuise au moindre effort et cherche ses mots à cause du brouillard cérébral.

Le brouillard s'est vrai‐ ment intensifié. [...] On dirait que mon cerveau est vide; tu sais qu'il y a des fois des mots qui vont apparaître, mais ils n'ont pas de sens.

Nancy Perron

Elle se dit invalide, ajou‐ tant qu’elle est devenue un zombie. Son médecin de fa‐ mille et son ergothérap­eute confirment qu’elle est inca‐ pable de travailler. Toutefois, Retraite Québec, qui gère le

Régime de rentes, refuse de la déclarer invalide. On estime que son état de santé n'est pas suffisamme­nt grave pour l’empêcher d'exercer un em‐ ploi à temps plein.

Cette réponse est une véri‐ table gifle pour Nancy Per‐ ron : J'ai pleuré, pleuré, pleuré parce que c'était, c'est mon dernier recours. Je fais quoi, là?

Elle a bénéficié de l’assu‐ rance-emploi pendant 15 se‐ maines, mais depuis, elle est sans revenus : pas d’assu‐ rance salaire au travail et pas d’aide sociale à cause de ses modestes possession­s. Sa plus grande crainte : tout perdre.

Selon Statistiqu­e Canada, la COVID longue a affecté plus de 1,4 million de Canadiens, soit près de 5 % de la popula‐ tion. La maladie touche plus de femmes que d’hommes.

Des traitement­s nuisent à son dossier qui

Valérie Murray, âgée de 39 ans, a elle aussi été frappée par la maladie en juillet 2020. Cette mère de deux adoles‐ cents explique qu’avant la CO‐ VID, elle était hyperactiv­e, courait avec sa tondeuse et faisait beaucoup de sport avec ses enfants. Aujourd’hui atteinte de la COVID longue, elle a recours à un fauteuil roulant pour se déplacer. Le CLSC lui offre un soutien à do‐ micile nécessaire, entre autres, pour la douche.

Je ne suis pas capable de m'occuper de la base de la base. J'ai besoin d'aide juste‐ ment pour prendre une douche parce que les che‐ veux, c'est trop difficile, ça me demande trop d'énergie. Valérie Murray

Son médecin de famille a diagnostiq­ué la COVID longue et deux spécialist­es, l’encé‐ phalomyéli­te myalgique (EM), qu’on appelle aussi le syn‐ drome de fatigue chronique. Le professeur Simon Décary, codirecteu­r scientifiq­ue du Réseau de recherche panca‐ nadien sur la COVID longue, explique : On parle de 50 % des gens qui ont la COVID longue [depuis un à deux ans] qui pourraient avoir un profil clinique semblable ou iden‐ tique à l'encéphalom­yélite myalgique.

Au moment où elle est tombée malade, Valérie Mur‐ ray était retournée aux études pour réaliser son rêve d'obtenir un baccalauré­at en adaptation scolaire. Par conséquent, elle n’a pas eu ac‐ cès à l’assurance-emploi ni à l’aide sociale en raison du re‐ venu familial de 50 000 $.

Son seul espoir : Retraite Québec. Or l’organisme lui a refusé une rente d’invalidité

qu’elle évalue à 800 $ par mois. Même si elle est visible‐ ment très affectée par la ma‐ ladie, l’organisme lui a écrit : Nous ne pouvons pas vous déclarer invalide, car votre condition médicale fait tou‐ jours l'objet de traitement­s actifs visant à améliorer votre état de santé. Par consé‐ quent, nous ne pouvons pas statuer sur la gravité ni sur la permanence de votre condi‐ tion médicale. Valérie Murray ne comprend pas.

Pourquoi je ne peux pas avoir cette aide-là? Pourquoi vous ne me laissez pas un pe‐ tit peu respirer? Je dois déjà mener tellement de combats. Mon quotidien est parsemé de combats.

Valérie Murray Le professeur Simon Déca‐ ry s’interroge : Qu’est-ce qu'on fait pour l’appuyer financière‐ ment pendant qu'on explore les options thérapeuti­ques? Selon lui, l’absence de soutien financier pour les personnes atteintes de la COVID longue les plonge dans une très grande vulnérabil­ité. Cela met en lumière les failles du sys‐ tème, dit-il.

Pour l’instant, il n’y a pas de traitement pour guérir la COVID longue. Au sujet de Va‐ lérie Murray, Simon Décary soutient qu’après plus de deux ans, il est probable que [pour] cette personne-là, ce soit son état permanent.

Il l'écrit, là, mon médecin, que ma situation va être per‐ manente, ou s'il y a des amé‐ liorations, que ça va être vrai‐ ment minime; jamais suffisant pour pouvoir retourner tra‐ vailler, ajoute Valérie Murray.

La rigidité de Retraite Québec dénoncée

Carrie Anna McGinn gère sur Facebook son groupe CO‐ VID longue Québec avec coeur et déterminat­ion. Le groupe compte 2500 membres, un nombre qui augmente rapide‐ ment. À ses yeux, les refus de Retraite Québec d’accorder des prestation­s de dernier re‐ cours sont inacceptab­les.

Je suis outrée, puis vrai‐ ment, là, je suis fâchée qu'on refuse des prestation­s mi‐ nimes et nécessaire­s pour couvrir les frais [...] de la vie aux personnes qui sont si gra‐ vement malades.

Carrie Anna McGinn, du groupe COVID longue Québec

Retraite Québec n’a pas voulu accorder d'entrevue à La facture. Toutefois, l’orga‐ nisme a écrit : Une invalidité est prolongée si elle doit vrai‐ semblablem­ent entraîner le décès ou durer indéfinime­nt. Par conséquent, il ne suffit pas d’avoir un diagnostic re‐ connu par les équipes trai‐ tantes; il faut que ces diagnos‐ tics entraînent des limitation­s suffisante­s pour empêcher tout travail rémunérate­ur. Tout dépend de la sévérité.

Retraite Québec a affirmé que, parmi les personnes qui souffrent de la COVID longue, la grande majorité des de‐ mandes a été acceptée. En vertu d’une demande d’accès à l’informatio­n, La facture a tenté d’obtenir les chiffres de l’organisme, mais on les lui a refusés.

Carrie Anna McGinn af‐ firme que celles qui ont été acceptées, ça a été difficile; souvent des révisions, mon‐ ter des gros dossiers et avoir énormément de preuves pour soutenir leur demande.

La facture a demandé une entrevue au ministre respon‐ sable, Eric Girard, pour l’inter‐ roger sur la rigidité de Retraite Québec, mais il a refusé.

De son côté, Nancy Perron réitère qu’elle a besoin d’aide présenteme­nt pour vivre, mais que son dossier avec Re‐ traite Québec s’enlise. À cause de ses troubles cognitifs, elle a manqué la date limite pour réclamer une révision. Résul‐ tat : elle a dû recommence­r tout le processus et n’aura pas de réponse à sa nouvelle demande avant plusieurs mois.

Valérie Murray a elle aussi besoin d’aide, et ça presse. Fi‐ nancièreme­nt, c'est très, très, très difficile, là, et on doit sub‐ venir aux besoins de nos en‐ fants aussi, nos ados. [...] Si j'avais des moyens, peut-être que je serais capable d'aller chercher un peu plus de res‐ sources pour m'aider.

Elle a fait une demande de révision à Retraite Québec et a essuyé un deuxième refus. Le médecin évaluateur de l’or‐ ganisme ne retient aucun diagnostic de maladie phy‐ sique ou organique expli‐ quant ses symptômes. Il ajoute qu’une évaluation en psychiatri­e apparaît indiquée, ce qui la choque. Son père, Maurice Murray, encore plus : Après tous les examens, [le médecin] dit "ah, bien, ça doit être psychiatri­que". Son idée était faite avant. C'est telle‐ ment désolant.

Des problèmes ciers qui s’aggravent finan‐

La travailleu­se sociale de Valérie Murray, Sylvie Lemire, remue ciel et terre pour lui permettre d’obtenir du sou‐ tien financier.

C'est injuste [...] de n’avoir accès à rien du tout. Elle a dé‐ cidé de faire un retour aux études, quand même, dans la trentaine. Donc elle a travaillé avant. Elle a cotisé à sa Régie des rentes [aujourd’hui appe‐ lée Retraite Québec].

Sylvie Lemire, travailleu­se sociale, CISSS des Laurentide­s

Nancy Perron abonde dans le même sens : Les rentes, je les ai payées. On en paie quand on travaille. Je ne demande pas la charité; j’ai besoin d’aide présenteme­nt pour vivre.

Le professeur Simon Déca‐ ry est touché par la détresse financière des personnes at‐ teintes de la COVID longue.

Même moi, à 37 ans, si j'at‐ trape la COVID la semaine prochaine et que je suis un des cas de COVID longue, bien, j'ai malheureus­ement très peu confiance que le sys‐ tème va être en capacité de me soutenir.

Simon Décary, professeur­chercheur à l'École de réadap‐ tation de l'Université de Sher‐ brooke

La maladie a eu raison du couple de Valérie Murray. Cette dernière a dû quitter sa maison pour un appartemen­t où elle vit désormais avec ses deux enfants. Sa situation fi‐ nancière précaire s’est encore aggravée. Malgré tout, elle re‐ fuse de baisser les bras. Elle conteste la décision de Re‐ traite Québec devant le Tribu‐ nal administra­tif, mais il lui faudra patienter environ un an avant d’obtenir une au‐ dience.

Pour sa part, Nancy Per‐ ron est retournée au garage de Jonquière, où elle a tra‐ vaillé pendant plusieurs an‐ nées. Elle y assurait le lien entre la clientèle et les méca‐ niciens. Des larmes, des acco‐ lades; des rires, aussi. Son pa‐ tron, qui la juge irremplaça­ble, s’ennuie de sa folie. En quit‐ tant ses collègues, elle est bien consciente de devoir mettre une croix sur un em‐ ploi qui la comblait.

Le reportage de la journa‐ liste-réalisatri­ce Esther Nor‐ mand sera diffusé à l’émission La facture le mardi 28 mars 2023 à 19 h 30.

donné davantage de détails.

Source : Associated Press

Un phénomène récur‐ rent

Environ 400 millions d'armes à feu sont en circula‐ tion aux États-Unis, où elles ont causé plus de 45 000 dé‐ cès en 2020, par suicide, acci‐ dent ou homicide, selon les derniers chiffres publiés par les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC).

De plus, pour la première fois cette année-là, les armes sont devenues la première cause de mortalité chez les jeunes âgés de 1 à 19 ans, avec 4368 décès, devant les accidents de voiture et les surdoses, d'après les CDC.

Les bains de sang en mi‐ lieu scolaire ne représente­nt qu'une infime portion du to‐ tal, mais marquent davantage les esprits.

Les États-Unis ont été par‐ ticulièrem­ent ébranlés par les carnages commis en 2012 dans une école de Sandy Hook, dans le Connecticu­t (20 enfants tués), et en mai 2022 à Uvalde, au Texas (19 enfants et 2 ensei‐ gnantes).

Entre ces deux drames, un massacre commis en 2018 dans une école de Parkland, en Floride, avait déclenché un vaste mouvement national, porté par de jeunes victimes, pour exiger un encadremen­t plus strict des armes indivi‐ duelles.

Depuis le début de l’an‐ née 2023

129 fusillades de masse ont éclaté aux États-Unis 19 de ces fusillades sont surve‐ nues dans des établissem­ents scolaires

Source : Gun Violence Ar‐ chive

Malgré la mobilisati­on de plus d'un million de manifes‐ tants, le Congrès n'avait pas adopté de réformes significa‐ tives, car nombre d'élus se trouvaient sous l'influence du puissant groupe de pression National Rifle Associatio­n (NRA) et étaient soucieux de ne pas déplaire à une majorité toujours très attachée au droit de port d'armes.

Les appels de Joe Biden à bannir les fusils d'assaut n'ont guère plus de chances d'aboutir. Un sondage ABC News/Washington Post de février montrait que 51 % des Américains s'y opposent et que seuls 47 % y sont favo‐ rables.

Amnistie salue d’ailleurs le courage des femmes af‐ ghanes qui ont manifesté contre le régime ultraconse­r‐ vateur des talibans, ainsi que celui des Iraniennes qui pro‐ testent contre le port obliga‐ toire du voile. Le fait que, face à la répression, des milliers de gens se soient néanmoins unis pour écrire, signer des pétitions ou descendre dans la rue est en soi rassurant, souligne le rapport.

L’organisati­on pour la dé‐ fense des droits de la per‐ sonne évoque enfin l’inaction de la communauté internatio‐ nale relativeme­nt à l’urgence climatique.

Alors que l’année 2022 a été marquée par des épisodes de sécheresse, des inonda‐ tions et des incendies, les diri‐ geants qui étaient réunis à la COP27 en Égypte ne sont pas parvenus à prendre les me‐ sures nécessaire­s pour main‐ tenir la hausse moyenne des températur­es à la surface du globe sous le seuil de 1,5 de‐ gré Celsius, dénonce le rap‐ port.

Les États ont refusé de s’attaquer au premier facteur responsabl­e du réchauffe‐ ment climatique : la produc‐ tion et l’utilisatio­n des carbu‐ rants fossiles, indique le docu‐ ment.

Le Canada épinglé

Le Canada a d’ailleurs été écorché par Amnistie pour son bilan en matière de droits des Premières Nations et de justice climatique.

D’une part, l’ONG accuse le gouverneme­nt fédéral d’avoir manqué de répondre à ses obligation­s de protéger les terres et les cours d’eau des peuples autochtone­s. D’une autre part, elle critique Otta‐ wa pour son approche face aux changement­s climatique­s qui ne reflète pas le niveau de responsabi­lité du Canada en tant qu’un des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre par habitant au monde, ni sa capacité d’action.

Le bilan du Canada en ce qui concerne les droits des peuples autochtone­s est dé‐ sastreux. Rien n’a été fait pour régler les problèmes de fond et pour redonner aux peuples autochtone­s le contrôle de leur territoire. Enfin, respecter le consenteme­nt libre, préa‐ lable et éclairé des peuples autochtone­s est impératif.

France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internatio­nale Canada franco‐ phone

Une action concrète des gouverneme­nts du Canada est indispensa­ble, d’autant plus que la crise climatique exacerbe les risques de dispa‐ rition des cultures autoch‐ tones, un patrimoine et un sa‐ voir-faire ancestral qu’il serait dramatique de voir s'éteindre, a affirmé Mme Langlois dans un communiqué.

Amnistie dénonce par ailleurs la décision du gouver‐ nement de Justin Trudeau de soutenir l’expansion de l’oléo‐ duc Trans Mountain, violant ainsi les droits de la Première Nation Tsleil-Waututh.

Le Canada s’est engagé à mettre en oeuvre la Déclara‐ tion sur les droits des peuples autochtone­s, pourtant, les membres de notre Nation Ts‐ leil-Waututh ont été harcelés et criminalis­és pour s’être op‐ posés pacifiquem­ent au pro‐ jet de l’oléoduc Trans Moun‐ tain, indique Charlene Aleck, membre du Conseil de la Na‐ tion Tsleil-Waututh, dans un communiqué conjoint avec Amnistie Canada.

Le pipeline et le pétrole qu’il transporte constituen­t de graves menaces pour Bur‐ rard Inlet – lieu de naissance de nos ancêtres. Nous avons refusé notre consenteme­nt préalable, libre et éclairé pour ce projet, pourtant, le Canada va de l’avant avec la construc‐ tion. Il n’y aura pas de réconci‐ liation possible si le consente‐ ment n’est pas respecté.

L’ONG déplore enfin une trentaine d'avis à long terme sur l'eau potable au sein des Premières Nations, ainsi que la pollution au mercure qui continue d'empoisonne­r la vie de la Première Nation Grassy Narrows, l’exploitati­on forestière, en plus de la stérili‐ sation forcée des femmes au‐ tochtones.

La situation des droits des peuples autochtone­s au Ca‐ nada est une honte nationale, a dit pour sa part Ketty Nivya‐ bandi, secrétaire générale de la section anglophone d’Am‐ nistie internatio­nale Canada. Malgré les nombreuses pro‐ messes de s’attaquer à ces in‐ justices récurrente­s, les diffé‐ rents niveaux de gouverne‐ ment canadien n’ont pas réus‐ si à respecter les droits des peuples autochtone­s ni à pro‐ téger leurs terres et leurs res‐ sources. La crise climatique exacerbe ces injustices et né‐ cessite des mesures urgentes et décisives de la part du gou‐ vernement.

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