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« Amazon, c’est l’exploitati­on avec le sourire »

- David Savoie

Le travail dans les entre‐ pôts d’Amazon a des allures de dystopie : des employés se font dicter leurs tâches à la seconde près par un té‐ léphone qu’ils portent au poignet, et des lumières in‐ diquent à quel endroit ils doivent déposer les pa‐ quets. La cadence de tra‐ vail est dictée par un sys‐ tème assez opaque qui a pour objectif d’optimiser chaque minute des em‐ ployés dans les entrepôts.

Deux travailleu­rs d’Ama‐ zon dans la grande région de Montréal nous ont décrit cette réalité. Nous les appelle‐ rons Robert et Jérôme, pour éviter qu’ils ne soient identi‐ fiés par leur employeur. Le premier travaille chez Amazon depuis 11 mois, le second, de‐ puis 6 mois. Comment se sentent-ils par rapport à leur emploi au sein de la multina‐ tionale?

C’est un peu classique, mais on est des numéros, ré‐ pond Robert. On a littérale‐ ment un cellulaire accroché à notre main qui nous dit quoi faire, avec un scanner au bout du doigt. On est l’extension d’un robot.

Amazon, c’est l’exploitati­on avec le sourire. C’est ça, le sen‐ timent qu’on a, raconte pour sa part Jérôme.

Dans les centres de distri‐ bution de la région de Mont‐ réal, les employés d’Amazon sont souvent des immigrants arrivés depuis peu au Québec, des gens dont la langue ma‐ ternelle n’est ni le français ni l’anglais. Ce sont aussi des gens qui ne connaissen­t pas forcément leurs droits et les processus pour les faire re‐ connaître.

Ils seraient environ 1300 dans le Grand Montréal. Leur salaire est d’environ 18 $ de l’heure. À titre comparatif, le salaire est de 28 $ de l’heure dans des entrepôts syndi‐ qués.

De nombreuses sures bles‐

Malgré leurs origines di‐ verses, les travailleu­rs d’Ama‐ zon ont une chose en com‐ mun : pour la plupart, ils ne restent pas longtemps chez Amazon, notamment parce qu’ils se blessent.

Quand tu te forces, tu vas te blesser. C’est pas une ques‐ tion de : est-ce que tu vas te blesser? C’est sûr que ça va ar‐ river, soutient Robert.

En un an de travail, je pense que tout le monde a une blessure. Est-ce qu’ils l’ont déclarée à la CNESST, ça, c’est une autre question.

Robert (nom fictif), em‐ ployé d'Amazon dans le Grand Montréal

C’est selon lui impossible de déplacer des charges lourdes en maintenant la ca‐ dence demandée sans se blesser.

Les deux employés d’Ama‐ zon avancent aussi que la compagnie décourage les em‐ ployés de signaler un accident à la Commission des normes du travail, la CNESST, s’ils se blessent dans les entrepôts.

Par exemple, l’entreprise n’indiquerai­t pas aux tra‐ vailleurs la procédure pour déposer une plainte et ceux qui ont fait des démarches auprès de la CNESST seraient parfois renvoyés sans motif.

La commission mène d’ailleurs en ce moment une enquête sur les conditions de travail chez Amazon.

La CNESST est intervenue 11 fois dans les différents en‐ trepôts de la compagnie au Québec depuis 2020, et 5 de ses interventi­ons ont eu lieu depuis le début de l’année.

Mieux encadrer le tra‐ vail en entrepôt

Mostafa Henaway est or‐ ganisateur communauta­ire au Centre des travailleu­rs im‐ migrants. Des travailleu­rs d’Amazon, il en voit régulière‐ ment.

Selon lui, il faut encadrer davantage le travail dans les entrepôts de distributi­on. Il si‐ gnale que d’autres compa‐ gnies, comme Dollarama, ont également des conditions de travail exigeantes. Comment peut-on avoir un employeur qui a un tel poids dans l’éco‐ nomie et qui a un modèle qui repose sur un roulement éle‐ vé de personnel?, demande-til. Ça crée d’importants pro‐ blèmes pour la société si les gens veulent un travail stable ou s’ils veulent un revenu stable, parce qu’il va y avoir plusieurs employeurs qui agissent comme Amazon.

Une pétition doit d’ailleurs être déposée sous peu à l’As‐ semblée nationale pour de‐ mander au gouverneme­nt du Québec de légiférer et d’enca‐ drer davantage le travail dans les entrepôts.

D’ici là, les employés d’Amazon dans la grande ré‐ gion de Montréal, eux, veulent simplement avoir de meilleures conditions de tra‐ vail.

On ne veut pas diaboliser le fait de commander en ligne, explique Robert. Mais faisons de manière à ce que les tra‐ vailleurs puissent avoir une bonne vie, que tu puisses ga‐ gner ta vie à faire ça. Si c’est si utile, les conducteur­s et les associés d’Amazon devraient pouvoir avoir une bonne vie.

Les travailleu­rs, on aime‐ rait ça devenir meilleurs à notre emploi. On aimerait pouvoir développer des capa‐ cités, et je veux rester long‐ temps là, créer une commu‐ nauté autour de moi. Mais on ne peut pas.

Écoutez le reportage com‐ plet de David Savoie diffusé à l'émission Désautels le di‐ manche.

Pas facile de se syndi‐ quer

C’est dans ce contexte que des employés tentent de créer un syndicat pour repré‐ senter les travailleu­rs des en‐ trepôts de Montréal. Mais le processus n’est pas simple, explique David Bergeron-Cyr, deuxième vice-président de la Confédérat­ion des syndicats nationaux (CSN), qui appuie les efforts de syndicalis­ation.

Il faut qu’on fasse ça dans la clandestin­ité. Pourquoi? Parce que des employeurs comme Amazon vont sus‐ pendre, vont congédier, vont intimider, harceler les tra‐ vailleuses et travailleu­rs dès qu’ils constatent qu’il y a un souhait, un intérêt de former un syndicat.

David Bergeron-Cyr, CSN

Il y a tout un stratagème qui est mis en place pour faire peur aux gens, pour casser la campagne de syndicalis­ation, ce qui est tout à fait illégal.

Les obstacles sont nom‐ breux : la barrière de la langue auprès de certains travailleu­rs - ce qui implique de traduire des documents en ourdou ou en bengali - ou encore les em‐ ployés qui ne peuvent pas échanger entre eux sur leur lieu de travail.

Aux États-Unis, la syndicali‐ sation s'est heurtée à des pro‐ blèmes similaires au cours des derniers mois.

En Europe, le cadre juri‐ dique est différent, ce qui a permis à des syndicats de s’implanter dans des entre‐ pôts de la compagnie depuis quelques années.

Amazon nie ces alléga‐ tions

Par courriel, la directrice des relations publiques d’Amazon Canada a répondu à ces critiques. Ryma Bous‐ soufa soutient qu’il y a eu du progrès par rapport au nombre de blessures liées au travail. Il y aurait eu, selon Amazon, une réduction de près de 25 % des blessures consignées à l’échelle mon‐ diale depuis 2019. La compa‐ gnie affirme également que la sécurité et la santé de ses em‐ ployés sont une priorité abso‐ lue.

Est-ce qu’Amazon décou‐ rage ses employés à signaler les accidents? Non, assure Ry‐ ma Boussoufa, qui dit que la compagnie cherche sans

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