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Climat : les budgets d’Ottawa et de Québec s’attaquent peu à la racine du problème

- Étienne Leblanc

Face au défi climatique, le fameux syndrome de l’au‐ truche est très commun : bien que l’enjeu préoccupe grandement les citoyens et nos responsabl­es poli‐ tiques, il y a un pas parfois difficile à franchir quand vient le moment de poser les gestes nécessaire­s, sou‐ vent déplaisant­s et com‐ plexes.

On se cache, alors, un peu la tête dans le sable, pour ne pas voir les vrais problèmes.

Ou on regarde un peu ailleurs.

Il serait très malhonnête de dire que Québec et Ottawa jouent toujours à l’autruche face à la question climatique. Jamais il n’a été autant ques‐ tion de décarbonat­ion de l’économie dans les budgets que les deux gouverneme­nts viennent de présenter aux ci‐ toyens.

La question, toutefois, est de savoir si leurs mesures s’at‐ taquent à la racine du pro‐ blème. Et force est de consta‐ ter que ce n’est pas toujours le cas, autant à Québec qu’à Ottawa.

Période historique

Les budgets qui nous sont présentés depuis quelques années ont une importance particuliè­re. Ils s’inscrivent dans un contexte historique très rare, unique même, qui ne survient qu’une fois ou deux par siècle : celui de la né‐ cessité d’une restructur­ation en profondeur de l’architec‐ ture de notre économie.

Les colonnes qui la sou‐ tiennent ont été construite­s avec l’aide des énergies fos‐ siles. Au fil des rapports, les scientifiq­ues nous répètent ceci : si on veut que la planète soit vivable dans un avenir as‐ sez proche, il faut détruire ces colonnes et en dresser de nouvelles, avec des énergies propres. Tout ça sans que la maison s’effondre…

Dans son rigoureux rap‐ port de synthèse présenté le 20 mars dernier, le Groupe d’experts intergouve­rnemen‐ tal sur l’évolution du climat (GIEC) nous rappelle deux faits fondamenta­ux : d’une part, au rythme des émissions actuelles de gaz à effet de serre (GES), on se dirige vers un réchauffem­ent d’environ 3 degrés Celsius d’ici la fin du siècle. Un seuil qui menace grandement l’équilibre clima‐ tique de la planète.

D’autre part, cette situa‐ tion alarmante découle de notre dépendance aux éner‐ gies fossiles.

Pour éviter la catastroph­e, nous disent les experts, il faut réduire les émissions de 43 % d’ici 2030 à l’échelle planétaire.

Les scientifiq­ues du GIEC, tout comme ceux de l’Agence internatio­nale de l’énergie, de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire internatio‐ nal, sont catégoriqu­es : il en coûtera moins cher d’investir maintenant pour lutter contre les changement­s cli‐ matiques que d’attendre de réparer davantage de pots cassés plus tard.

C’est à la lumière de ces données bien précises qu’il faut analyser les budgets pro‐ posés par les gouverneme­nts fédéral et du Québec.

Ottawa

On ne peut pas reprocher au gouverneme­nt fédéral de ne pas faire d’efforts pour dé‐ carboner son économie. Ne serait-ce que pour des ques‐ tions purement écono‐ miques, il n’a pas vraiment le choix, au risque de voir le train lui passer sous le nez : les États-Unis et l’Union euro‐ péenne (et même la Chine) in‐ vestissent des centaines de milliards de dollars pour pro‐ pulser des industries et des énergies plus vertes.

Pour inciter les entreprise­s à développer leurs projets dé‐ carbonés au Canada, Ottawa promet donc de rendre dispo‐ nibles 82,7 milliards d’ici 2034, essentiell­ement sous forme de crédits d’impôt.

C’est un projet qu’il faut sa‐ luer, dans la mesure où, afin de réduire l’empreinte car‐ bone de notre économie, il faudra générer des centaines de milliards de dollars en capi‐ taux privés pour stimuler les investisse­ments nécessaire­s.

Malgré tout, ce budget ne s’attaque pas suffisamme­nt au coeur du problème des émissions de GES au Canada : l’extraction et la production d’énergies fossiles.

Plus de la moitié des émis‐ sions de GES du pays pro‐ viennent de deux secteurs : l’industrie du pétrole et du gaz (27 % des émissions) et le transport (24 %).

Les émissions provenant du seul secteur du pétrole et du gaz ont augmenté de 59 % entre 2005 et 2020. Ce n’est pas un hasard : la production de pétrole tiré des sables bitu‐ mineux a augmenté de 190 % au cours de la même période.

Pourtant, dans ce budget, on ne trouve aucune mesure draconienn­e pour réduire la production d’énergies fossiles au pays.

Certes, le budget péren‐ nise en quelque sorte le prin‐ cipe de tarificati­on du car‐ bone, en forçant les prochains gouverneme­nts à dédomma‐ ger généreusem­ent les entre‐ prises si jamais la tarificati­on était abandonnée. Il offre aus‐ si des leviers financiers impor‐ tants – et nécessaire­s – pour le développem­ent de techno‐ logies de décarbonat­ion ac‐ tuelles et futures.

Mais il continue en quelque sorte à soutenir le développem­ent de l’industrie du pétrole et du gaz.

À titre d’exemple, plus d’un demi-milliard de dollars iront au développem­ent des pro‐ jets de captage et de stockage du carbone, une technologi­e dont les bénéfices à grande échelle restent encore à prou‐ ver.

Le problème n’est pas tant d’investir dans une technolo‐ gie qui sera peut-être béné‐ fique un jour. Mais c’est sur‐ tout le message que ça en‐ voie : on ne décourage pas la production de pétrole et de gaz, on offre plutôt en paral‐ lèle une aide qui pourrait,

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