Radio-Canada Info

Retraite et maintien au travail : le paradoxe français

- Raphaël Bouvier-Auclair

PARIS, France - « C’est très compliqué. J’ai pas dit que c’était simple », lance Hu‐ bert Tridon de Rey, sourire aux lèvres.

Devant un café, cet ancien entreprene­ur a accepté de re‐ venir avec nous sur les épreuves qu’il a traversées avant d’enfin décrocher un poste à soixante ans.

Aujourd’hui responsabl­e du développem­ent commer‐ cial chez PICNIC, qui crée des kiosques autosuffis­ants en énergie, Hubert Tridon de Rey a été reçu en entrevue dans une dizaine d’entreprise­s pen‐ dant une période de cinq mois avant d’obtenir un em‐ ploi.

Il y a des freins. On m'a souvent dit que je n’allais pas trouver du boulot. C’était des gens bien pensants qui me di‐ saient : "remonte une entre‐ prise, tu ne vas jamais trouver de travail à temps à ton âge". Hubert Tridon de Rey La date de naissance d’Hu‐ bert Tridon de Rey n’était pas inscrite sur son curriculum vi‐ tae, ce n’est pas obligatoir­e en France, mais l’entreprene­ur assure avoir bien senti que ce‐ la posait problème à l'étape de l’entretien.

On m’a fait vite com‐ prendre que j’avais trop d’ex‐ périence et que j’allais m’em‐ bêter sur le poste, explique-til.

Un phénomène répan‐ du

S’il a finalement réussi à obtenir un poste dans lequel il s’épanouit, Hubert Tridon de Rey constate que le marché de l’emploi est loin d’être rose pour les travailleu­rs de sa tranche d’âge. J’ai des potes, des amis, qui ont été licenciés l’année dernière à 55 ans, ra‐ conte-t-il.

Selon le directeur de re‐ cherche du CNRS à Sciences Po, Bruno Palier, le licencie‐ ment des employés plus âgés est un phénomène répandu en France.

Les entreprise­s françaises sont obsédées par le coût du travail qu'elles cherchent à faire disparaîtr­e. Donc on éli‐ mine les séniors, on fait partir les salariés âgés parce qu'ils

coûtent trop cher aux entre‐ prises. C'est pour ça qu'on a un taux d'emploi des séniors relativeme­nt bas par rapport à beaucoup de pays euro‐ péens, explique l’auteur du livre Réformer les retraites.

Selon le ministère du Tra‐ vail, 56 % des Français âgés de 55 à 64 ans occupent un em‐ ploi. Si ce taux est plus élevé qu’en Belgique (54,5 %), il est plus faible que la moyenne de l’Union européenne (60,5 %). Certains pays du continent ont un taux d’emploi des 55 à 64 ans largement plus élevé, notamment l’Allemagne (71,8 %) et la Suède (76,9 %).

Ceux qui restent dans l’en‐ treprise, on les fait travailler très dur. C’est le paradoxe français. Vous avez moins de gens au travail parce que les séniors sont partis.

Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po Paris.

Une solution à la ré‐ forme des retraites?

Pour la Confédérat­ion française démocratiq­ue du travail (CFDT), un meilleur taux d’emploi des Français âgés de 55 ans et plus pour‐ rait constituer une solution de rechange à la hausse de l’âge de départ à la retraite.

En faisant passer l'âge légal de départ de 62 à 64 ans, le gouverneme­nt souhaite aug‐ menter le nombre de tra‐ vailleurs qui contribuen­t au régime et ainsi assurer la pé‐ rennité du système. En France, ce sont les cotisation­s des personnes actives sur le marché du travail qui fi‐ nancent les pensions des re‐ traités.

Il faut travailler plus long‐ temps, mais on n'est pas ca‐ pable de garder les gens jus‐ qu’à l’âge légal de départ en retraite, a récemment souli‐ gné le président de la CFDT, Laurent Berger, en entrevue sur le plateau de l’émission

Quotidien.

À son avis, le système fran‐ çais est paranoïaqu­e à ce cha‐ pitre. Il est temps que les em‐ ployeurs prennent en main ce sujet, déclarait la première mi‐ nistre Élisabeth Borne au mo‐ ment de la présentati­on de la réforme en janvier.

Son gouverneme­nt pré‐ voit ainsi la création d’un in‐ dex qui permettrai­t de suivre le taux d’emploi des plus ex‐ périmentés dans les entre‐ prises composées de 300 em‐ ployés et plus. Ce dispositif de la législatio­n est en ce mo‐ ment étudié par le Conseil constituti­onnel, la haute ins‐ tance qui doit se prononcer sur la validité de la réforme des retraites le 14 avril.

Loin des débats politiques, Hubert Tridon de Rey recon‐ naît qu’il y a un problème de mentalité sur la question du travail des plus anciens en France. Mais il se réjouit d’avoir pu, après des mois de recherche, trouver une entre‐ prise pour qui l’âge n’était pas un problème.

Ils ont choisi l'expérience plutôt que de prendre quel‐ qu'un qui était jeune et moins cher, dit-il, ajoutant qu'on a envie de bien faire dans ce contexte-là, de travailler posi‐ tivement.

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