Des diagnostics retardés par la pénurie de pédopsychiatres sur la Côte-Nord
Marie-Michèle Cyr a appris que son fils Jack n’avait plus de pédopsychiatre il y a cinq ans. Le garçon, au‐ jourd’hui âgé de 13 ans, présente un trouble du spectre de l’autisme, ou TSA, et n’a pas été vu par un spécialiste depuis. Loin d’être le seul, la liste d’at‐ tente sur laquelle il se trouve risque de s’allonger encore, puisque la der‐ nière pédopsychiatre per‐ manente de la Côte-Nord devrait quitter Sept-Îles cet été.
La région manque de per‐ sonnel spécialisé en pédopsy‐ chiatrie et les solutions sont difficiles à trouver, à la fois pour les familles et pour le CISSS de la Côte-Nord. En conséquence, des parents at‐ tendent des diagnostics qui peuvent prendre des années avant d’arriver. Faute de per‐ sonnel, il arrive ensuite que les soins pour leurs enfants soient pour leur part inadé‐ quats ou absents.
Le CISSS, de son côté, est à la recherche de solutions. La directrice du programme jeu‐ nesse du CISSS de la CôteNord, Marie-Hélène Drapeau, promet que le CISSS multiplie les efforts pour recruter des gens basés en permanence dans la région.
Entre-temps, d’autres stra‐ tégies sont envisagées et des équipes de professionnels sont déployées. Marie-Hélène Drapeau assure qu’un parte‐ nariat avec un CISSS de la ré‐ gion de Québec est en déve‐ loppement. Le Plan d’action interministériel en santé men‐ tale, présenté il y a plus d’un an, devrait aussi inclure des mesures pour les jeunes pré‐ sentant des TSA, selon elle, mais il est dans les premiers balbutiements.
Des organismes aussi se mobilisent pour aider les fa‐ milles. C’est notamment le cas d’Autisme Côte-Nord, qui ac‐ compagne les familles dans leur démarche et leur donne accès à des ressources. Au‐ drey Lefebvre, la directrice de l’organisme, tient à rassurer les parents d’enfants présen‐ tant un TSA : Moi je leur dis : J’ouvre la porte, vous en‐ trez. Posez-moi vos ques‐ tions.
Quoi qu’il en soit, les pa‐ rents comme Marie-Mi‐ chèle Cyr se sentent parfois au dépourvu. On le sent, qu’on est laissé de côté un peu.
L’attente, suivie d’at‐ tente
Avant les soins, il y a le diagnostic, qui revêt une im‐ portance sans équivoque dans la vie des familles dont un enfant présente un TSA. Faute de pédopsychiatres, et parce qu’ils sont l’aboutisse‐ ment de processus éminem‐ ment complexes, ces évalua‐ tions arrivent souvent au bout de plusieurs années.
Ce n’est pas le cas de tous, puisque le CISSS de la CôteNord différencie entre les cas urgents et ceux qui le sont moins : Il y a un triage, assure Marie-Hélène Drapeau.
La situation n’est toutefois pas nouvelle. Marie-Mi‐ chèle Cyr a commencé des dé‐ marches il y a plus de 10 ans, lorsque Jack avait 18 mois. Ce‐ lui-ci a obtenu un diagnostic à quatre ans et demi.
La longueur du processus est en partie attribuable à sa complexité : toute une batte‐ rie de médecins spécialistes est consultée pour faire un portrait global, qui est ensuite transmis à la psychiatre, qui émet un diagnostic, explique la mère.
Audrey Lefebvre déplore pour sa part que les parents et les enfants en attente de diagnostic fassent face à beaucoup d'incertitudes. Ça amène plein, plein de ques‐ tions. Vont-ils se tourner vers le privé, alors que ce n’est pas accessible à tous? Des pédo‐ psychiatres viendront-ils en fly-in fly-out? On ne le sait pas encore. Est-ce que les familles devront se déplacer vers les grands centres, alors que leurs enfants ont une difficul‐ té à assimiler ces bouleverse‐ ments?
Marie-Michèle Cyr, elle, s’estime chanceuse, malgré l’attente.
Je suis chanceuse, je suis quand même une personne qui est capable de foncer. Même si je ne savais pas où je m’en allais, on a quand même réussi à avoir un diagnostic rapide
Marie-Michèle Cyr, la mère de Jack
Des années plus tard, elle est de nouveau obligée d’at‐ tendre, cette fois-ci pour que Jack ait accès à un spécialiste, car celle qu’elle consultait a quitté la région.
Quand sa pédopsychiatre est partie, on l’a appris par une lettre qui disait que son dossier était fermé, raconte la mère de deux enfants. Jack, depuis, est passé à l’adoles‐ cence, mais continue à être soigné avec des prescriptions datant de son enfance.
Même si elle considère que les soins que reçoit sont in‐ adéquats, Marie-Michèle Cyr hésite à blâmer le CISSS de la Côte-Nord. Vu que mon fils a eu plusieurs services au cou‐ rant des années, j’imagine que ça a été mis non prioritaire, vu qu’il a longtemps vu un autre pédopsychiatre.
D’où viendront les solu‐ tions?
Il faudrait quatre pédopsy‐ chiatres dans la région, selon Pascal Paradis, adjoint aux communications du CISSS de la Côte-Nord, soit deux à BaieComeau et deux à Sept-Îles. Marie-Hélène Drapeau, la di‐ rectrice du programme jeu‐ nesse, assure que c’est une er‐ reur de trop se concentrer sur leur absence.
C’est une fausse croyance que tout enfant qui a des be‐ soins en santé mentale doit être vu par un pédopsy‐ chiatre, dit-elle. Il faut connaître, selon elle, l’impor‐ tance de nos professionnels, infirmières cliniciennes, tra‐ vailleurs sociaux, psycho‐ logues, éducateurs spéciali‐ sés. On a la chance d’avoir des équipes chevronnées.
Marie-Michèle Cyr n’est pas convaincue par cet appel de Mme Drapeau. Il ne faut absolument pas dénigrer leur travail, mais de là à dire qu’une infirmière peut rem‐ placer un pédopsychiatre, c’est un peu poussé, contre‐ carre-t-elle.
La pénurie de pédopsy‐ chiatres ne veut pas dire [que les familles] n’ont pas de ser‐ vice, pondère Audrey Le‐ febvre, d’Autisme Côte-Nord.
Outre les solutions qui existent à l’interne, les solu‐ tions du CISSS de la CôteNord résident à l’extérieur de la région. On va tenter de voir du côté des médecins dépan‐ neurs, assure Marie-Hé‐
lène Drapeau. D’autres méde‐ cins faisant du navettage pourraient venir pallier l’ab‐ sence de pédopsychiatre à Sept-Îles.
L’autre option, c’est que les familles elles-mêmes se tournent vers l’extérieur. Le CISSS de la Côte-Nord espère notamment collaborer avec des homologues des grands centres.
Même si cela pourrait obli‐ ger certains déracinements pour des familles, cette op‐ tion ouvre des possibilités in‐ téressantes selon Audrey Le‐ febvre. [Si l’enfant revient] avec des évaluations en pédo‐ psychiatrie, en orthophonie, en ergothérapie, je pense qu’il peut y avoir du positif là-de‐ dans, espère-t-elle.
Le CISSS de la Côte-Nord et les intervenants du milieu font face à une pénurie qui n’est pas unique au Québec. Les multiples solutions qu’ils avancent doivent toutefois progresser à contre-courant, alors que l’exode des pédo‐ psychiatres se poursuit.
D’après les informations de Laurence Vachon et Lam‐ bert Gagné-Coulombe