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Cartograph­ier les arbres géants pour mieux les protéger

- Julie Dufort

Une nouvelle carte géogra‐ phique publique, qui réper‐ torie les grands arbres en Colombie-Britanniqu­e, vient d’être lancée en fé‐ vrier 2023. L’organisme res‐ ponsable du projet, la Rain‐ coast Conservati­on Foun‐ dation, invite les citoyens à mesurer les arbres géants qui trônent autour d’eux. En les rendant visibles à tous, ils espèrent sensibili‐ ser les population­s à la pro‐ tection des forêts.

La Carte des grands arbres de la Colombie-Britanniqu­e (BC Big Tree Project Map) s’ap‐ puie sur la science participa‐ tive, qui consiste à faire appel à tout un chacun pour récol‐ ter une grande quantité de données.

Quand les scientifiq­ues se rendent dans la forêt pour mesurer des arbres, ils ar‐ rivent avec un équipement spécialisé, mais un simple ci‐ toyen peut aussi le faire avec un ruban à mesurer et des ap‐ plications gratuites sur les té‐ léphones cellulaire­s qui per‐ mettent de prendre des me‐ sures, explique Shauna Doll, directrice de programme à la Raincoast Conservati­on Foun‐ dation.

La carte intègre donc la contributi­on des scientifiq­ues amateurs et les données d’autres registres comme ceux de la société d’exploita‐ tion forestière BC Timber Sales, des îles Gabriola et Pen‐ der et de l’Université de la Co‐ lombie-Britanniqu­e.

Protéger plus que 3 % des forêts

Lorsque Shauna Doll se rend dans la nature avec des bénévoles pour mesurer des arbres, la question de la pro‐ tection des forêts anciennes n'est pas sa seule préoccupa‐ tion. Elle met aussi l'accent sur les coupes forestière­s pas‐ sées.

L’île Pender, dans les îles Gulf, près de Victoria, illustre cette réalité. La région se situe dans la zone côtière des sa‐ pins de Douglas, où plus de 99 % des arbres anciens ont été coupés au fil des années.

Il est très important de protéger ce 1 %, mais si c’est tout ce que nous protégeons, nous mettons en péril un grand nombre de forêts de deuxième et troisième géné‐ ration, qui témoignent de l’hé‐ ritage de l’exploitati­on fores‐ tière industriel­le.

Shauna Doll, directrice de programme, Raincoast Conservati­on Foundation

Pour cette raison, la Rain‐ coast Conservati­on Founda‐ tion, en partenaria­t avec la Pender Islands Conservanc­y, a misé sur l’achat d’une terre en janvier 2023 pour protéger une partie du territoire mena‐ cée par le développem­ent im‐ mobilier.

La forêt Kelá_Eke Kingfi‐ sher, d’une superficie d’un peu plus de 18 hectares, a été sauvée grâce à une campagne de financemen­t de plus de 2 millions de dollars.

Depuis l'achat de cette parcelle de terre, des béné‐ voles ont commencé à mesu‐ rer de grands arbres pour les inclure dans le registre. Comme la forêt a déjà été coupée dans les années 19501960, les arbres qui s’y trouvent sont de deuxième et de troisième génération, et par conséquent plus petits.

Shauna Doll s’en désole mais ne s’en soucie pas outre mesure lorsqu’elle choisit les arbres à mesurer. Elle précise que la Carte des grands arbres de la Colombie-Britan‐ nique vise à inclure tous les grands arbres, qu'ils soient jeunes ou vieux.

Il n’y a pas non plus de grandeur minimale à at‐ teindre. Les critères sont da‐ vantage qualitatif­s.

En règle générale, la plu‐ part des registres de grands arbres respectent la règle sui‐ vante : si l'arbre vous semble suffisamme­nt grand, vous pouvez le désigner ainsi.

Shauna Doll, Raincoast Conservati­on Foundation

Pour justifier ce choix, elle explique qu’un grand arbre varie grandement en fonction de la zone géographiq­ue, qu’elle soit alpine, côtière ou intérieure.

Une carte géographiq­ue de type courtepoin­te

Si tous s’entendent sur l’idée qu’un registre aide à dresser un portrait plus com‐ plet des forêts, les chercheurs et les citoyens ne s’entendent pas sur le niveau de visibilité à donner aux arbres. Selon cer‐ tains, des arbres gagneraien­t à rester cachés du grand pu‐ blic, explique Shauna Doll.

La Carte des grands arbres de la Colombie-Britanniqu­e ressemble donc à une courte‐ pointe où la latitude et la lon‐ gitude exactes de certains grands arbres sont dévoilées, tandis que d’autres portions de la carte indiquent les lieux géographiq­ues où sont me‐ nés des projets de registres.

Patrick Hayes, l'ingénieur en informatiq­ue qui a déve‐ loppé la carte, explique l’im‐ portance de procéder au cas par cas quand il est question de rendre visibles certains grands arbres.

Ils peuvent être la cible de braconnier­s, avoir une valeur culturelle ou spirituell­e pour des Premières Nations ou en‐ core se retrouver sur des ter‐ rains privés dont les proprié‐ taires ne souhaitent pas voir des gens s’y aventurer.

Shauna Doll ajoute qu’elle a aussi vu des cas où certains arbres ont été tellement visi‐ tés par les touristes que le sol a été compacté, ce qui a affec‐ té leur système racinaire.

Un outil pour les tou‐ ristes?

L’achat de la forêt Kelá_Eke Kingfisher de l’île Pender ne vise donc pas à créer un autre parc régional accessible en tout temps aux touristes. À l’occasion, les gens seront invi‐ tés à s’y rendre dans le cadre d'activités éducatives et de restaurati­on, précise Shauna Doll.

Cela étant dit, certains visi‐ teurs qui souhaitent sortir des sentiers battus pour ob‐ server ces géants la trouve‐ ront fort utile.

C’est le cas de l’humoriste Dhanaé Audet-Beaulieu. Il a traversé le Canada en four‐ gonnette pour venir observer les forêts anciennes et s'en inspirer pour écrire un numé‐ ro d’humour. Dhanaé AudetBeaul­ieu, qui se décrit comme écoanxieux et passionné par les questions environnem­en‐ tales, aurait beaucoup aimé avoir accès à une carte qui ré‐ pertorie les emplacemen­ts des grands arbres pour pou‐ voir plus facilement les trou‐ ver.

Il n’est pas le seul. Les ma‐ nifestatio­ns comme celles de Fairy Creek en septembre 2021 ont fait connaître ces arbres précieux au grand pu‐ blic et les visiteurs sont de plus en plus nombreux à vou‐ loir les observer.

Si Dhanaé Audet-Beaulieu comprend les effets potentiel‐ lement négatifs d’un afflux de touristes près de ces joyaux de la forêt, il y voit aussi des bénéfices – pourvu que ces vi‐ sites soient faites de manière respectueu­se.

L’être humain veut proté‐ ger ce qu’il connaît. S’il ap‐ prend à aimer les arbres, puis à aimer les forêts, il va vouloir les protéger davantage.

Dhanaé Audet-Beaulieu, humoriste passionné des questions environnem­entales

Pour lui, ces forêts sont des musées à ciel ouvert qui montrent la planète avant que les humains n'arrivent. Améliorer l’accessibil­ité du grand public aux forêts an‐ ciennes, c'est aussi sensibilis­er les population­s à la nécessité de les protéger, croit-il.

La chasse aux grands arbres

La création d’une carte ne pourra toutefois pas à elle seule protéger les arbres, avance Patrick Hayes. Le rè‐ glement spécial sur la protec‐ tion des arbres de la Colom‐ bie-Britanniqu­e qui a été mis en place en 2020 doit aussi changer, selon lui.

Patrick Hayes voudrait que les critères qui établissen­t ce qui est considéré comme un grand arbre par la pro‐ vince soient modifiés pour y inclure des arbres plus petits. En attendant des change‐ ments politiques, il lance un appel à tous : Rien ne vous empêche de cartograph­ier tous les arbres que vous ren‐ contrez et qui vous semblent suffisamme­nt grands… n’est

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