Radio-Canada Info

Cybersécur­ité : à qui revient la charge de protéger l’écosystème numérique?

- Rania Massoud

Alors que les cyberat‐ taques deviennent de plus en plus complexes, la charge de sécuriser les ré‐ seaux et les données infor‐ matiques pèse toujours sur les utilisateu­rs et non pas sur les fournisseu­rs des ser‐ vices et fabricants de pro‐ duits technologi­ques. Une réalité qui serait sur le point de changer au Cana‐ da, selon le Centre cana‐ dien pour la cybersécur­ité.

Cette idée a déjà commen‐ cé à faire son chemin ailleurs dans le monde, notamment en Europe, où un projet de loi sur la cyberrésil­ience a été présenté en septembre der‐ nier. Cette législatio­n vise à imposer des règles plus strictes aux fabricants et ven‐ deurs de technologi­es dans le but de renforcer la sécurité de leurs produits et de fournir aux consommate­urs les infor‐ mations suffisante­s sur la fia‐ bilité de ces produits.

En mars dernier, c’était au tour des États-Unis de fran‐ chir un pas dans le même sens. Le manque de jugement momentané d'une seule per‐ sonne, l'utilisatio­n d'un mot de passe obsolète ou le clic sur un lien suspect ne de‐ vraient pas avoir de consé‐ quences sur la sécurité natio‐ nale. Notre cyberrésil­ience collective ne peut pas reposer sur la vigilance constante des organisati­ons et des citoyens, peut-on lire dans la nouvelle Stratégie nationale pour la cy‐ bersécurit­é présentée par la Maison-Blanche.

Au Canada, des consulta‐ tions sont toujours en cours pour réformer la stratégie na‐ tionale pour la cybersécur­ité de 2018, affirme dans un en‐ tretien Sami Khoury, dirigeant principal du Centre canadien pour la cybersécur­ité.

C’est sûr qu’on va tirer les meilleurs points de la straté‐ gie américaine et de celle de nos autres alliés pour s’assu‐ rer qu’il y a un bon aligne‐ ment, affirme-t-il.

Le 13 avril, son organisme, qui fait partie du Centre de la sécurité des télécommun­ica‐ tions (CST), l’agence qui super‐ vise la cybersécur­ité pour le gouverneme­nt fédéral, s’est d’ailleurs prononcé en faveur d’une plus grande responsabi‐ lisation des entreprise­s en matière de cybersécur­ité.

Dans un guide, publié conjointem­ent avec des agences de cybersécur­ité de plusieurs pays, dont les ÉtatsUnis, l’Australie, la NouvelleZé­lande,

le Royaume-Uni, l’Al‐ lemagne et les Pays-Bas, le Centre canadien pour la cy‐ bersécurit­é souligne la néces‐ sité de transférer aux fabri‐ cants la charge des risques liés à la cybersécur­ité pesant actuelleme­nt sur les clientes et clients, en les encouragea­nt à concevoir des produits qui sont sécurisés par défaut et dès la conception.

Nous voulons encourager les manufactur­iers de logiciels ou d’équipement­s technolo‐ giques à s'assurer que la sécu‐ rité est intégrée et non pas optionnell­e. […] La responsa‐ bilité ne doit pas dépendre uniquement des utilisateu­rs; les [fabricants], eux aussi, ont un rôle important à jouer pour relever la barre de sécu‐ rité de leurs produits.

Sami Khoury, dirigeant principal du Centre canadien pour la cybersécur­ité

Une responsabi­lité par‐ tagée

Ces mesures représente­nt une très, très bonne nouvelle pour Dominique Rodier, direc‐ teur régional des ventes de technologi­es opérationn­elles pour Fortinet, un fournisseu­r de cybersécur­ité.

Il rappelle par ailleurs que le Canada a dévoilé en juin 2022 le projet de loi C-26 qui vise à mieux protéger les systèmes vitaux pour la sécu‐ rité nationale et donner aux autorités de nouveaux outils pour répondre aux dangers émergents dans le cyberes‐ pace.

Avec cette loi, le gouverne‐ ment cherche à responsabi­li‐ ser les gens en s’assurant qu’ils ont les connaissan­ces requises pour s’assurer qu’on met la sécurité de l’avant, dit le responsabl­e de Fortinet Ca‐ nada, qui compte des clients du secteur public, mais aussi des entreprise­s privées. Ce n’est pas en installant un simple équipement qu’on sera protégés. C’est plus qu’un logi‐ ciel de sécurité dont on a be‐ soin, c’est [d']une philosophi­e.

De son côté, le spécialist­e en cybersécur­ité Steve Wate‐ rhouse affirme que les ci‐ toyens devront quand même continuer de porter une part de responsabi­lité dans la sé‐ curisation de leurs réseaux et données informatiq­ues.

Comme citoyens, nous de‐ vons agir en toute responsa‐ bilité, explique-t-il. En faisant le minimum − comme gérer les mots de passe ou garder ses appareils à jour − on ren‐ force la cybersécur­ité tout en réduisant les menaces d’at‐ taques cybercrimi­nelles.

Selon lui, en l’absence de lois contraigna­ntes, la respon‐ sabilité des entreprise­s est plutôt d’ordre moral.

Les institutio­ns financière­s sont régies par toutes sortes de réglementa­tions, ce qui fait en sorte qu’elles sont forcées de mettre en place les sys‐ tèmes les plus à jour possible, mais il y a beaucoup d’entre‐ prises qui ne font que le strict minimum parce qu’elles ne sont pas contrainte­s à faire plus.

Steve Waterhouse, expert en cybersécur­ité

Cet ancien officier de sécu‐ rité informatiq­ue au ministère de la Défense nationale se dit par ailleurs inquiet du rythme accéléré auquel les technolo‐ gies se développen­t. L’évolu‐ tion est tellement rapide que le temps de comprendre com‐ ment un système fonctionne, il y a déjà un nouveau qui vient le remplacer. Alors on s’y perd.

Et avec les avancées tech‐ nologiques, les cybermenac­es

gagnent en complexité, ce qui complique de plus en plus la protection des données. C’est ce que constate aussi Sami Khoury : On voit que les au‐ teurs de menaces emploient des outils et des capacités qui sont plus sophistiqu­és que l’année dernière et celle d’avant. L’ampleur des me‐ naces a elle aussi augmenté.

Télétravai­l et vulnérabi‐ lité

Il y a une semaine, le Cana‐ da a été la cible d’une série de cyberattaq­ues revendiqué­es par des groupes prorusses vi‐ sant des sites d’entités gou‐ vernementa­les et non gou‐ vernementa­les.

Mardi dernier, le site web du premier ministre Justin Trudeau, ainsi que ceux des ports de Québec et de Mont‐ réal, de la Banque Lauren‐ tienne et d’Hydro-Québec, entre autres, ont été bloqués par des pirates.

Jeudi dernier, M. Khoury a affirmé que ces attaques avaient fait plus de peur que de mal, mais que la menace de causer plus de dommages, notamment physiques, est bien réelle.

Selon lui et les autres ex‐ perts interrogés, le risque zé‐ ro n’existe tout simplement pas. Tout ce qui est connecté à Internet pose un risque, a dit le responsabl­e du Centre canadien pour la cybersécur­i‐ té lors d’un entretien télépho‐ nique.

Le conseil le plus impor‐ tant qu’on puisse donner aux entreprise­s, c’est d’assurer la sécurité de leurs infrastruc‐ tures s’il y a un besoin de se connecter à Internet, mais, malheureus­ement, c’est sou‐ vent la commodité qui l’em‐ porte.

Sami Khoury, dirigeant principal du Centre canadien pour la cybersécur­ité

Les risques sont encore plus grands avec la montée en popularité du télétravai­l depuis le début de la pandé‐ mie.

Si vous voulez avoir accès au système informatiq­ue [de votre entreprise] depuis votre maison, il faut que la sécurité soit la priorité numéro un et, idéalement, ne connectez pas vos systèmes de technologi­es opérationn­elles à Internet, re‐ commande M. Khoury. Il y a d’autres façons de se connec‐ ter qui sont plus sécuritair­es.

Même constat du côté de M. Rodier, qui affirme qu’avec le télétravai­l, le réseau s’est considérab­lement élargi, dans le secteur aussi bien public que privé. D’un point de vue informatiq­ue, c’est comme si le réseau s’est étendu d’un seul immeuble à une centaine d’autres immeubles, et il faut tous les sécuriser.

C’est une course où la sé‐ curité est toujours un peu en arrière par rapport aux malfai‐ teurs, mais il ne faut absolu‐ ment pas baisser les bras. Il faut continuer à être vigilant, déployer les mesures à jour et rester à date sur ce qui se passe et ce qui doit être fait. Est-ce qu’il y a moyen de ra‐ mener le risque complète‐ ment à zéro? Probableme­nt pas.

Dominique Rodier, de For‐ tinet

Si des groupes affiliés à des États veulent absolument causer des problèmes, ils pourraient probableme­nt toujours y arriver. Le but est de leur compliquer les choses le plus possible, conclut-il.

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