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Armes à feu : Ottawa présente de nouvelles mesures jugées décevantes par des groupes

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Après des semaines de né‐ gociation en coulisses, le gouverneme­nt fédéral a annoncé lundi de nou‐ veaux amendement­s pour formaliser l’interdicti­on des armes d’assaut dans le cadre du projet de loi C-21. Des mesures qualifiées de « recul important » et de « trahison » par des défen‐ seurs du contrôle des armes à feu au pays.

En février, le gouverne‐ ment de Justin Trudeau avait renoncé à modifier le Code criminel pour y inclure une définition exhaustive des armes prohibées accompa‐ gnée d’une liste des modèles interdits, initiative qui avait suscité des craintes chez des chasseurs et des membres de communauté­s autochtone­s.

Lundi, le ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino, est revenu à la charge avec une nouvelle mouture d’amendement­s vi‐ sant à apaiser ces inquié‐ tudes.

Cette fois, le gouverne‐ ment va se contenter d'établir une définition technique. Cela inclut les armes semi-automa‐ tiques et celles qui sont conçues, originelle­ment, avec des chargeurs détachable­s pouvant contenir six car‐ touches ou plus.

Cette définition technique couvrirait les armes à feu conçues et fabriquées après l’entrée en vigueur du projet de loi C-21; elle n’aurait pas d’impact sur la classifica­tion du marché existant des armes à feu au Canada.

Extrait du breffage tech‐ nique du ministère fédéral de la Sécurité publique

Lors d’une conférence de presse, M. Mendicino a affir‐ mé que cette définition ap‐ porte la clarté dont les pro‐ priétaires d'armes ont besoin et la protection que les mili‐ tants de contrôle des armes réclament depuis longtemps.

De la déception

Quelques minutes plus tard, des survivants de fu‐ sillades et des défenseurs du resserreme­nt du contrôle des armes à feu ont taillé en pièces les changement­s pro‐ posés par M. Mendicino.

Nathalie Provost, qui a survécu à la fusillade de Poly‐ technique, à Montréal, s'est dite extrêmemen­t fâchée. Au‐ jourd'hui, on a un recul im‐ portant, complet, a-t-elle tran‐ ché.

Je suis extrêmemen­t en co‐ lère, extrêmemen­t déçue et je me sens trahie.

Nathalie Provost du collec‐ tif PolySeSouv­ient

Le collectif PolySeSouv­ient critique sévèrement le fait que la définition proposée s'appliquera aux armes qui ne sont pas encore sur le mar‐ ché, mais pas à celles qui y sont déjà.

Donc, les armes qui existent, qui sont sur le mar‐ ché et qui n'ont pas été cap‐ tées par la liste de 2020, conti‐ nuent d'être en vente et ac‐ cessibles, a soutenu Mme Provost.

Une personne va être ca‐ pable de revendre l’arme qui est sur la liste [déjà prohibée], prendre l’argent et acheter une autre arme qui n’est pas sur la liste, a-t-elle expliqué. Dites-moi comment ça pro‐ tège les Canadiens et ditesmoi comment est-ce une in‐ terdiction permanente et complète des armes de style d’assaut au Canada?

Sur ce point, M. Mendicino a indiqué que le Comité consultati­f canadien des armes à feu sera de retour. Ce groupe, qui avait été mis sur pied en 2017 pour aider Otta‐ wa à réformer ses politiques en matière d'armes à feu, de‐ vra conseiller le gouverne‐ ment sur le processus de clas‐ sification des différents mo‐ dèles.

Mme Provost, qui a fait partie de ce comité-là en 2017, a affirmé avoir claqué la porte en 2019 parce que ça ne don‐ nait rien. Elle se questionne notamment sur la pertinence de le remettre en place.

De son côté, Boufeldja Be‐ nabdallah, cofondateu­r de la Mosquée de Québec qui a été visée par une attaque meur‐ trière en janvier 2017, s'est dit déçu et triste par les nou‐ velles mesures annoncées par le ministre.

On retourne à la case dé‐ part. Le plus dur, c’est qu’on a été le dindon de la farce des partis politiques. [...] On est perdants. Je suis triste et j’au‐ rais aimé pleurer aussi pour exprimer l’émotion d’écoeure‐ ment qui est toujours là.

Boufeldja Benabdalla­h, co‐ fondateur de la Mosquée de Québec

Autres mesures

Parmi les autres amende‐ ments annoncés par le mi‐ nistre Mendicino, figurent aussi de nouvelles mesures contre les armes qui ont des chargeurs à grande capacité, ainsi que les armes dites fan‐ tômes, ou ghost guns, en an‐ glais.

Il s’agit d’armes à feu non répertorié­es, difficiles à retra‐ cer, puisqu'elles n'ont pas de numéro de série et qu'elles peuvent être assemblées à partir de pièces achetées en ligne.

La semaine dernière, M. Mendicino avait signalé que les nouveaux amende‐ ments à C-21 forceront les fa‐ bricants d'armes à jouer leur rôle quand ils mettent, par exemple, de nouveaux mo‐ dèles sur le marché.

Je pense qu’il y a moyen d’étudier un amendement qui va resserrer le projet de loi C21 de façon à ce que les ma‐ nufacturie­rs soient obligés de travailler avec les autorités dans la classifica­tion d'armes, y compris celles qui pour‐ raient être visées par la défini‐ tion des armes prohibées, avait-il expliqué en témoi‐ gnant devant le comité de la sécurité publique.

D'ailleurs, c'est devant ce comité que les amendement­s présentés lundi par M. Mendi‐ cino seront déposés par des députés libéraux. L'étude ar‐ ticle par article du projet de loi C-21 y avait été interrom‐ pue quand, il y a plus de deux mois, le gouverneme­nt Tru‐ deau avait fait marche arrière sur ces amendement­s à la

source d'un tollé.

Un « manque de cohé‐ rence »

Les dispositio­ns retirées avaient pour objectif de ren‐ forcer l'interdicti­on décrétée en 2020 pour environ 1500 modèles et variantes de ce type d'armes. Les libéraux ont promis d'inclure dans le projet de loi C-21 une défini‐ tion des armes d'assaut qui empêchera les fabricants de contourner cette interdicti­on.

Le projet de loi C-21 pré‐ voit aussi des mesures qui renforcera­ient le gel sur la vente des armes de poing.

La législatio­n permettrai­t également de retirer les per‐ mis d'armes à feu des per‐ sonnes commettant de la vio‐ lence conjugale ou se livrant à du harcèlemen­t criminel, ainsi que d'augmenter les peines maximales pour la contre‐ bande et le trafic d'armes à feu de 10 à 14 ans.

Dans un entretien avec l’émission L’Heure du monde diffusée sur ICI Première, Francis Langlois, chercheur associé à l’Observatoi­re sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, affirme qu’il faut juger le projet de loi en fonction de l’objectif visé par le gouverneme­nt [qui est de] réduire les probabilit­és d’une future tuerie de masse.

Cependant, selon lui, ces amendement­s manquent de cohérence, affirmant que le gouverneme­nt libéral cherche à ménager la chèvre et le chou.

On passe des règlements sans que cela n’affecte les pro‐ priétaires d’armes à feu ac‐ tuels. [...] C’est sûr que si l’ob‐ jectif est vraiment d'éliminer ces armes-là, il n’y a pas de lo‐ gique là-dedans, déclare-t-il.

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