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À l’hôpital, l’intelligen­ce artificiel­le bientôt à votre chevet

- Yanik Dumont Baron

« Attention. Un véhicule approche. S’il vous plaît, li‐ bérez la voie. » Le message est posé, la voix légère‐ ment synthétiqu­e. Elle pro‐ vient d’une longue plate‐ forme à roulette avançant seule.

Les corridors du Centre hospitalie­r universita­ire de Montréal (CHUM) sont sou‐ vent fréquentés par ces larges plateforme­s sur roulettes. Elles se suivent, se croisent, soulèvent ou déposent des chariots.

Ce sont des véhicules au‐ tonomes guidés, devenus de véritables livreurs. On fait tout!, s’exclame Ilanit Sabbah, la responsabl­e de ces trans‐ ports automatisé­s.

Ces robots envoient des médicament­s de la pharmacie vers les soignants, ache‐ minent les prélèvemen­ts san‐ guins aux laboratoir­es et de la nourriture chaude près des chambres des malades.

Au quotidien, chaque en‐ gin parcourt une dizaine de ki‐ lomètres dans des corridors spéciaux. Des livraisons dépo‐ sées en des points précis, hors de la vue des patients.

On livre 54 chariots ali‐ mentaires en dedans d'une heure, souligne-t-il. Avec du personnel, ça prendrait plus longtemps ou ça prendrait plus de personnes. Un sys‐ tème unique au Québec, qui fait des envieux.

Ces livreurs automatisé­s répondent à des programmes définis. Ils ne sont ni auto‐ nomes ni guidés par une intel‐ ligence artificiel­le. Mais Ilanit Sabbah croit que ce n’est qu’une question de temps.

Il y en a aux États-Unis et en Europe. C’est définitive‐ ment vers ça qu’on s’en va dans le futur.

Là où l’IA dépasse l’hu‐ main

C’est très magique! lance Noubia Romero, en montrant du doigt un écran d’ordina‐ teur plein de cubes de cou‐ leurs différente­s. Autant de plages horaires de chimiothé‐ rapie gérées grâce à l’intelli‐ gence artificiel­le.

Dans le départemen­t d’on‐ cologie, la puissance de calcul de la machine permet de maximiser l’utilisatio­n de l'équipement. Il faut tenir compte de plus de 20 va‐ riables, comme la disponibil­ité du personnel et le temps né‐ cessaire à l’interventi­on.

Chargée de la chaîne de traitement, Noubia Romero sait bien que la machine, en‐ traînée correcteme­nt, sera meilleure qu’elle à ces tâches complexes.

Et elle ne voudrait pas re‐ venir en arrière. Il y a à peine deux ans, c’était manuel, il fal‐ lait réfléchir et faire du cou‐ per-coller pour ajuster les ho‐ raires en l’absence d’une infir‐ mière, par exemple.

Maintenant, en un clic, ça prend de deux à trois minutes de reprogramm­er le tout. Un clic et on relance une autre si‐ mulation pour que [l’utilisa‐ tion des salles] soit adéquate et optimale.

Avec ce système, la pro‐ grammation des horaires se fait deux fois plus rapide‐ ment. Un calendrier optimisé qui permet de soigner plus de gens chaque jour.

Retourner en arrière? Ja‐ mais, jamais!

S’obliger à tester les pos‐ sibilités

Le développem­ent de ce système s’est fait grâce à l’École de l’intelligen­ce artifi‐ cielle en santé du CHUM. C’est un véritable laboratoir­e de l’hôpital du futur; une cen‐ taine de projets sont à di‐ verses étapes de développe‐ ment.

Chargée du pôle innova‐ tion, Kathy Malas mentionne des idées déjà intégrées dans les soins courants, comme une technique moins invasive pour surveiller la vision des diabétique­s.

On prend une photogra‐ phie du fond de l'oeil. La ma‐ chine analyse et confirme, ou pas, s’il y a un décollemen­t ré‐ tinien. Moins coûteux et beaucoup moins dérangeant qu’une dilatation de la pupille.

Assistée par des spécia‐ listes humains du CHUM, l’IA aide à la détection d’autres problèmes, comme le cancer de la peau. Kathy Malas croit que cette technologi­e peut devenir un puissant assistant de prédiction des risques de complicati­ons.

L’IA pourrait même per‐ mettre de personnali­ser les soins, de cibler le bon traite‐ ment thérapeuti­que pour éra‐ diquer la tumeur en fonction des données du patient. Une technique que le CHUM est en train d’intégrer dans une phase clinique.

Les possibilit­és de l’IA rendent Kathy Malas bien en‐ thousiaste. Mais pas question d’adopter toutes ces nou‐ velles technologi­es simple‐ ment pour être avant-gar‐ diste.

Qu’on s’assure que ce qu’on implante dans les pra‐ tiques, pour les patients ou les équipes, crée de la valeur. Sinon, c’est notre responsabi‐ lité d’arrêter.

Développer l’IA… mais avec quelles données?

C’est extrêmemen­t pro‐ metteur, ça évolue à une vi‐ tesse fulgurante. Par contre, il y a un grand décalage entre la promesse et la réalité sur le terrain.

Radiologue abdominal au CHUM, An Tang veut aussi modérer l’enthousias­me pour les promesses de l’intelligen­ce artificiel­le. Il a présidé un groupe de travail en intelli‐ gence artificiel­le de l’Associa‐ tion canadienne des radio‐ logues.

Une position qui lui a per‐ mis de bien réfléchir aux pro‐ messes mais aussi aux défis que pose le développem­ent de l’intelligen­ce artificiel­le en santé. Premier constat : sa profession ne serait pas me‐ nacée.

La combinaiso­n entre le médecin et l'algorithme d’IA va être supérieure à l’IA seule ou au médecin seul. Les er‐ reurs susceptibl­es d’être com‐ mises ne sont pas du même ordre.

Mais le spécialist­e s’in‐ quiète pour l’accès aux don‐ nées médicales des Cana‐ diens. Un accès trop restreint pourrait handicaper les cher‐ cheurs d’ici, qui ont besoin de données reflétant la popula‐ tion à soigner.

Des données précises sont importante­s pour bien entraî‐ ner les machines. Les algo‐ rithmes développés en Asie, par exemple, pourraient bien ne pas être si efficaces en ana‐ lysant les cas canadiens.

Il y a un risque de rater des cancers, si par exemple un al‐ gorithme est développé sur une population qui est plus mince ou plus corpulente, qui ne reflète pas le gabarit des patients qu’on peut rencon‐ trer dans nos hôpitaux.

An Tang espère que la re‐ cherche basée sur les don‐ nées cliniques canadienne­s sera facilitée. Il rappelle que ces données peuvent être anonymisée­s et utilisées au profit de tous.

Le chercheur réclame un débat public pour trouver un juste équilibre entre la protec‐ tion de la vie privée et l’accès aux données des individus. À ses yeux, la question est cru‐ ciale.

On souhaite utiliser vos examens d’imagerie, votre cancer pour faciliter la détec‐ tion du cancer de la prochaine personne. Il faut voir ça dans une perspectiv­e altruiste, de bénéfice pour autrui.

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