La rivière du Gouffre, une menace oubliée au coeur du cratère de Charlevoix
Fierté des saumoniers et oasis de paix au coeur de Charlevoix, la rivière du Gouffre a durement rappe‐ lé sa force en sortant brus‐ quement de son lit, lundi, emportant avec elle la vie de deux hommes et ava‐ lant les berges sur plu‐ sieurs kilomètres.
Profitant d'un calme relatif au cours des dernières an‐ nées, les riverains de la vallée du Gouffre avaient peut-être oublié la menace qu'elle pou‐ vait être. Ça et là, des signes des humeurs passées de la ri‐ vière et de ses affluents étaient pourtant visibles. Digues, murs de protection, enrochements et traces d'éro‐ sion témoignaient déjà de son caractère imprévisible.
Quand on regarde [les données de relief], on voit très bien que la rivière a bou‐ gé dans le passé. C'est pour ça qu'on peut dire sans l'ombre d'un doute que c'est une ri‐ vière très dynamique, sou‐ ligne Pascale Biron, géomor‐ phologue et professeure à l'Université Concordia.
Par bouger, elle entend que le lit de la rivière peut se déplacer au gré des phéno‐ mènes météorologiques, des crues et des modifications du terrain qui l'entoure.
En fouillant dans les ar‐ chives des stations de jau‐ geage du débit, Pascale Biron a compilé des événements majeurs durant lesquels la ri‐ vière du Gouffre a connu des crues similaires à celle obser‐ vée cette semaine. Le débit d'eau a oscillé autour des 400 m3/s à trois reprises, entre 1968 et 1976, dont une fois à 437 m3/s.
Lundi, le débit maximal a atteint 419 m3/s.
Du déjà vu
Depuis lundi, nombre de sinistrés et de résidents de Charlevoix ont rapporté ne ja‐ mais avoir vu la rivière en pa‐ reille tourmente. Considérant les décennies séparant le der‐ nier événement enregistré et le coup d'eau de 2023, il est bien possible que plusieurs personnes n'aient pas vu la ri‐ vière en crue comme ça, convient Mme Biron.
Le dernier sinistre de cette envergure était survenu en plein été, le 13 juillet 1976.
Après des pluies dilu‐ viennes, rapportait alors La Presse, la rivière du Gouffre et l'un de ses af‐ fluents, le Bras du NordOuest,
étaient sortis de leurs lits, provoquant des dégâts considérables et forçant l'éva‐ cuation de 400 ménages seulement qu'à Baie-SaintPaul. Comme cette année, la municipalité de Saint-Urbain, à quelques kilomètres au nord, avait été le théâtre de glissements de terrain au cours du même épisode.
Dès l'année suivante, les autorités comptaient implan‐ ter un nouveau plan de pro‐ tection pour Charlevoix.
Au coeur du cratère
Si des événements ex‐ trêmes ne se produisent pas chaque année, le risque, lui, est toujours présent. Dans le cas du bassin versant de la ri‐ vière du Gouffre, tous les in‐ grédients sont en effet réunis pour générer des inondations soudaines.
Serpentant au coeur du cratère de l'astroblème de Charlevoix, vestige de l'impact d'une météorite avec la Terre, la rivière tire sa source sur le territoire de la ZEC des Martres, dans les hauts pla‐ teaux charlevoisiens. Bon an mal an, la neige y est en moyenne plus abondante en raison de l'altitude.
Au printemps, tel qu'atten‐ du, la fonte de la neige fait gonfler progressivement le ni‐ veau de la rivière du Gouffre et de ses affluents. Mais à ce phénomène naturel s'est ajouté la fin de semaine der‐ nière un système de précipita‐ tions majeur.
Selon Environnement Ca‐ nada, de 100 à 140 millimètres de pluie sont tombés au nord de Baie-Saint-Paul, de samedi à lundi.
Sans être un hiver excep‐ tionnel, on savait qu'on avait un couvert neigeux assez abondant cette année, sur‐ tout dans la région au nord de Québec, dans le secteur de Charlevoix, analyse Pascale Bi‐ ron. Quand on combine ça avec les pluies intenses qu'on a connues, c'est là que les sols sont saturés. Quand il pleut, l'eau ne peut pas facilement pénétrer dans les sols et se di‐ rige rapidement dans les ri‐ vières. À ce moment-là, ça monte très vite.
Qui plus est, la rivière du Gouffre et l'ensemble des pe‐ tits cours d'eau qui la nour‐ rissent sont particulièrement réactifs au ruissellement. Cette situation est due à l'im‐ portant dénivelé entre les montagnes et les plaines au creux de la vallée.
Outre la rivière du Gouffre, des affluents comme la rivière des Mares et Le Gros Bras ont