Radio-Canada Info

La minière Teck Resources, à la frontière de la discorde

- Camille Vernet

Des mines de charbon ex‐ ploitées par l’entreprise Teck Resources libèrent du sélénium dans les eaux partagées entre le Canada et les États-Unis. En grande quantité, cet élément nuit à la reproducti­on des pois‐ sons.

Voyage le long du par‐ cours de ce polluant, de la val‐ lée Elk en Colombie-Britan‐ nique à la rivière Kootenai en Idaho, à la rencontre de scien‐ tifiques qui étudient son im‐ pact sur les écosystème­s, et des communauté­s autoch‐ tones qui luttent pour proté‐ ger un poisson menacé.

L’esturgeon blanc en pé‐ ril en Idaho

Cette rivière est un peu comme notre source de vie. C'est notre pouls. C'est notre peuple. [...] C'est mon coeur, dit David R Weaselhead Jr., membre de la Kootenai Tribe of Idaho. Le bateau sur lequel il se trouve avance rapide‐ ment sur les eaux de la rivière Kootenai, aux États-Unis.

David travaille depuis près de dix ans comme technicien à l’écloserie d’esturgeons blancs et de lottes de Bonners Ferry. Il espère restaurer les population­s de poissons dans cette rivière. Cette année, 3000 petits esturgeons blancs y seront relâchés.

L’esturgeon blanc de la ri‐ vière Kootenai est le plus grand poisson d'eau douce en Amérique du Nord. Il est considéré comme une espèce en péril par le service améri‐ cain de la pêche et de la faune ainsi que par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada.

Les zones humides ont été asséchées, puis la rivière a été contrôlée par le barrage de Libby dans le Montana, ce qui a vraiment modifié tout l'ha‐ bitat aquatique, explique Shawn Young, directeur du départemen­t de la pêche et de la faune pour la Kootenai Tribe of Idaho.

L'écloserie s'occupe égale‐ ment de la lotte. Dans les an‐ nées 90, le poisson avait presque disparu dans cette ri‐ vière. Le programme a permis de faire remonter la popula‐ tion à environ 50 000 adultes.

Shawn Young pointe vers des conteneurs en verre où des milliers de minuscules particules se déplacent vers la surface. Un nouvel enjeu l’in‐ quiète : un polluant invisible, le sélénium. En forte concen‐ tration, il peut entraîner des malformati­ons chez les pois‐ sons juvéniles.

Les oeufs de ces jeunes fe‐ melles ont une concentrat­ion de sélénium plus élevée que ce que la science a démontré être sécuritair­e. Il est donc probable que les lottes su‐ bissent déjà des effets physio‐ logiques négatifs, ce qui est très préoccupan­t, affirme-t-il.

Des données terrifiant­es pour le vice-président de la Kootenai Tribe of Idaho, Gary Aitken Jr.

Nous allons assister à des déclins [des poissons] catas‐ trophiques et très rapides si nous ne prenons pas des me‐ sures pour inverser cette ten‐ dance.

L’exploitati­on du char‐ bon en Colombie-Britan‐ nique

Pour trouver le point d'ori‐ gine du sélénium, il faut re‐ monter la rivière Kootenai sur 200 km vers le nord-est, puis la rivière Elk, en Colombie-Bri‐ tannique, où l’exploitati­on mi‐ nière se fait depuis 120 ans. Dans la région, des milliers de personnes dépendent de l'in‐ dustrie pour leur gagne-pain, selon le gouverneme­nt de la Colombie-Britanniqu­e.

Wyatt Petryshen pointe vers une pile de roches sombres de la mine Green Hil‐ ls. Le sélénium continuera à s’écouler de ces roches pen‐ dant des centaines de milliers d’années à venir, affirme le spécialist­e des politiques mi‐ nières au sein de l’organisme environnem­ental Wildsight.

L’entreprise canadienne qui exploite la vallée Elk, Teck Resources, exploite du char‐ bon métallurgi­que qui sert à la fabricatio­n de l’acier. Son extraction génère de grandes quantités de roches rési‐ duelles qui contiennen­t du sé‐ lénium.

Le sélénium est un élé‐ ment naturel qui en petite quantité n’est pas nocif pour la santé des êtres humains ou de la vie aquatique. Teck a in‐ diqué par courriel avoir inves‐ ti au cours des années 1,2 mil‐ liard de dollars pour le traite‐ ment des eaux et prévu dé‐ penser 750 millions de dollars supplément­aires.

La surveillan­ce montre que le bassin versant semble sain et stable, sans indication d'effets néfastes sur les inver‐ tébrés ou de risque pour les poissons, affirme dans le courriel la société minière.

Les niveaux de sélénium continuent toutefois de dé‐ passer les recommanda­tions jugées sécuritair­es pour la santé des écosystème­s aqua‐ tiques fixés par la ColombieBr­itannique et celles de l’État du Montana.

En 2021, Teck Resources a été condamnée à 60 millions de dollars d’amendes après que les population­s de pois‐ sons se soient presque effon‐ drées en Colombie-Britan‐ nique.

En février dernier, le gou‐ vernement provincial a égale‐ ment infligé plus de 16 mil‐ lions de dollars d'amende à l’entreprise pour ne pas avoir mis en place des installati­ons de traitement des eaux re‐ quises pour limiter les émis‐ sions de nitrate et de sélé‐ nium. Une amende contestée par la minière.

Si l'on considère que les profits qu'ils réalisent ici se chiffrent en milliards de dol‐ lars, 16 millions de dollars, c'est vraiment très peu af‐ firme Wyatt Petryshen.

Sa confiance envers le gouverneme­nt provincial s’est érodée lorsqu'il a appris que l'ex-premier ministre de la Co‐ lombie-Britanniqu­e, John Hor‐ gan, avait rejoint le conseil d’administra­tion de la compa‐ gnie minière Elk Valley Re‐ sources, une filiale de Teck Re‐ sources responsabl­e des acti‐ vités de charbon métallur‐ gique.

Dans un courriel, le minis‐ tère de l'Environnem­ent de la Colombie-Britanniqu­e a indi‐ qué qu'il travaille sur de mul‐ tiples modificati­ons au permis de décharge de Teck à l'échelle de la vallée, ce qui permettra de faire avancer d'importants projets de trai‐ tement de l'eau. Une décision sur ces amendement­s est at‐ tendue dans les prochaines semaines.

Des concentrat­ions alarmantes

La rivière Kootenai trans‐ porte le sélénium vers les États-Unis où elle se jette dans le lac Koocanusa, un ré‐ servoir situé entre la Colom‐

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada