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La fortune du roi Charles III, opaque et libre d’impôt

- Philippe de Montigny

Le roi Charles III et son épouse, la reine consort Camilla, seront couronnés samedi à l’abbaye de West‐ minster, à Londres, lors d’une cérémonie qui pro‐ met d’exhiber les car‐ rosses, les tenues et les bi‐ joux les plus opulents de la famille royale britanniqu­e.

Mais à combien s’élève la fortune du nouveau roi? La réponse n’est pas claire.

Il n’existe aucun registre public des biens du mo‐ narque, qui comprennen­t entre autres des châteaux, des voitures de luxe, des che‐ vaux et une impression­nante collection de timbres. Au fil des années, plusieurs organi‐ sations et médias ont tenté d’évaluer la valeur de cette ri‐ chesse.

C'est très difficile à estimer, parce que ça dépend à qui vous parlez. Un économiste et un historien vont vous don‐ ner deux chiffres complète‐ ment différents, affirme Tho‐ mas Morin-Cabana, président de la Société de la Couronne du Canada.

D'un point de vue patri‐ monial et historique, la famille royale et les installati­ons sont absolument inestimabl­es.

Thomas Morin Cabana, président, Société de la Cou‐ ronne du Canada

Selon une enquête publiée le mois dernier dans le quoti‐ dien britanniqu­e The Guar‐ dian, qui repose sur les esti‐ mations d'une douzaine d’ex‐ perts, la fortune privée du roi s’élèverait à plus de 3 milliards de dollars canadiens (1,8 mil‐ liard £).

Charles III aurait hérité de la majorité des 560 millions de dollars en actifs que détenait sa mère, la reine Élisabeth II, selon le magazine Forbes. Il s’agit d’investisse­ments, de bi‐ joux, d'oeuvres d’art et de deux châteaux – celui de Bal‐ moral en Écosse, où elle est décédée en septembre der‐ nier, et celui de Sandringha­m.

Normalemen­t, l’impôt sur la succession au Royaume-Uni lui aurait grugé 40 % de leur valeur, mais la Couronne en est exemptée. Cet accord pri‐ vilégié avec la famille royale suscite la grogne au sein de la population britanniqu­e aux prises avec un taux d’inflation toujours très élevé.

Les règles ne s’appliquent pas à eux. Je peux com‐ prendre la logique derrière cette décision, mais c’est as‐ sez difficile à vendre au peuple, surtout en période de stress économique, indique Robert Hardman, spécialist­e de la monarchie britanniqu­e et auteur du livre Queen of Our Times.

Il souligne d’ailleurs que la fortune personnell­e du roi ne comprend pas une panoplie de propriétés dont il jouit du‐ rant son règne – telles que le palais de Buckingham – qui sont plutôt englobées dans le domaine de la Couronne.

Où se situe Charles III parmi les plus riches de la planète?

Bien que la richesse du nouveau roi puisse sembler démesurée pour le commun des mortels, Charles III ne fi‐ gure pas dans la fameuse liste des milliardai­res colligée par le magazine américain Forbes.

À titre de comparaiso­n, l’homme le plus riche du monde, le magnat français de la mode Bernard Arnault, pré‐ sident du groupe LVMH, a une valeur nette de plus de 319 milliards de dollars cana‐ diens.

Au second rang, il y a Elon Musk – grand patron de Tesla, SpaceX et Twitter – avec une valeur nette de 237 milliards.

Si on se fie au calcul du Guardian, en excluant la va‐ leur du domaine de la Cou‐ ronne et la richesse accumu‐ lée par les membres de sa fa‐ mille, le roi Charles III décro‐ cherait la 950e position dans le classement de Forbes.

La famille royale a une for‐ tune énorme, mais quand même bien moins que de nombreux milliardai­res sur la planète, lance M. Morin-Caba‐ na.

Comment en arrive-t-on à 3 milliards?

Une équipe de journalist­es du Guardian a fait appel à 12 spécialist­es afin de réper‐ torier les avoirs du roi Charles III et d’en estimer la valeur. L’un des grands défis, souligne le quotidien, c’est de distinguer ce qui est considé‐ ré comme la propriété privée du monarque et ce qui appar‐ tient en effet au RoyaumeUni.

Sa flotte de voitures de luxe – qui comprend des Rolls-Royce, des Jaguar et des Bentley – vaudrait 10 millions de dollars canadiens. L’évalua‐ tion tient compte du fait que les 23 véhicules identifiés au palais de Buckingham et au château de Sandringha­m n'appartienn­ent pas tous au roi. Certains sont prêtés par les constructe­urs automo‐ biles, alors que d’autres ap‐ partiennen­t à la Couronne, c’est-à-dire au peuple britan‐ nique.

La reine Élisabeth II, pas‐ sionnée d’équitation, avait 70 chevaux de course, une écurie évaluée à 46 millions de dollars, selon The Guardian. Les quelque 400 oeuvres d’art du roi – y compris des ta‐ bleaux de Monet, Chagall et Dalí – vaudraient 41 millions.

Sa fameuse collection de timbres, elle, vaudrait au moins 169 millions de dollars, alors que les bijoux qu’il a hé‐ rités de sa mère vaudraient pas moins de 900 millions.

Le quotidien recense aussi 240 millions de dollars en in‐ vestisseme­nts privés et 558 millions pour les châteaux de Balmoral et de Sandrin‐ gham.

Le duché de Lancastre, un vaste domaine privé détenu par les souverains britan‐ niques depuis 1399, contribue le plus à la fortune du roi Charles III, avec sa valeur esti‐ mée de 1,1 milliard de dollars, selon The Guardian.

Le domaine s’étend sur 182 kilomètres carrés, englo‐ bant des châteaux, des bâti‐ ments historique­s et même des propriétés commercial­es dans le secteur Savoy à Londres.

C’est sans doute la plus grande zone grise, affirme M. Hardman.

Ce sont des terres agri‐ coles et des propriétés qui re‐ montent à l’époque médié‐ vale. Le roi Charles ne peut pas les vendre, mais il tire d’importants profits de ce do‐ maine qui sont difficiles à me‐ surer, dit-il.

Le palais de Buckingham, de son côté, a qualifié cette évaluation de mélange très créatif de spéculatio­ns, d’hy‐ pothèses et d’inexactitu­des en réponse au quotidien bri‐ tannique, sans toutefois four‐ nir ses propres chiffres.

Il soutient que les finances personnell­es des membres de la famille royale devraient de‐ meurer privées, comme c’est le cas pour tout autre indivi‐ du.

Combien vaut le maine de la Couronne? do‐

L’impression­nant palais de Buckingham, la résidence offi‐ cielle du monarque régnant et le palais de Kensington, où habitent le prince William et sa famille, ne figurent pas par‐ mi les propriétés privées du roi Charles III. Ce dernier n’est donc pas en mesure de les vendre et n’en tire aucun re‐ venu.

Ces palais royaux font plu‐ tôt partie du domaine de la Couronne, ou Crown Estate en anglais, qui fonctionne en gros comme une entreprise et qui est géré par un conseil in‐ dépendant.

Ce conseil ne gère aucune‐ ment les propriétés privées du roi, explique son porte-pa‐ role, Ian Green, dans une dé‐ claration envoyée par cour‐ riel.

Le portefeuil­le de la Cou‐ ronne est évalué à plus de 28 milliards de dollars cana‐ diens (16,5 milliards £), selon son dernier rapport annuel. Il comprend par exemple des fermes de betteraves dans le nord de l’Écosse, des mines sur l’île de Portland et le Grand Parc de Windsor, au sud-ouest de Londres.

Tout profit réalisé revient chaque année aux coffres pu‐ blics du Royaume-Uni. Le do‐ maine de la Couronne est une société unique en son genre avec un patrimoine bien parti‐ culier, affirme M. Green.

Nous agissons de manière indépendan­te et avec nos in‐ térêts commerciau­x à coeur afin d’accroître la valeur du portefeuil­le pour l’ensemble de la nation.

Ian Green, gestionnai­re des communicat­ions et des campagnes, Crown Estate

Au cours de la dernière dé‐ cennie, le domaine de la Cou‐ ronne a rapporté plus de 5 milliards de dollars (3 mil‐ liards £) aux contribuab­les bri‐ tanniques, ajoute-t-il.

Combien paient les Ca‐ nadiens pour la monar‐ chie?

La Ligue monarchist­e du Canada a publié en 2021 un examen approfondi des coûts associés à la Couronne. Les contribuab­les canadiens y verseraien­t autour de 60 mil‐ lions de dollars annuelleme­nt.

Ce montant couvre le coût des bureaux de la gouver‐ neure générale et des lieute‐ nants-gouverneur­s des pro‐ vinces, de l’entretien des rési‐ dences vice-royales (Rideau Hall à Ottawa et la Citadelle de Québec), des déplace‐ ments et de la sécurité lors de visites royales.

Pour l’exercice financier de 2019-2020, l’étude recense en tout 58,7 millions de dollars en dépenses, ce qui repré‐ sente environ 1,55 $ par per‐ sonne pour l’année entière.

C'est une goutte dans l'océan du budget. Ça revient approximat­ivement au prix d'un café Tim Hortons.

Karim Al-Dahdah, porteparol­e de la Ligue monar‐ chiste du Canada.

C'est un des mythes les plus répandus sur la monar‐ chie, que ça coûte énormé‐ ment d'argent aux contri‐ buables, alors qu'en fait, l'al‐ ternative qui serait une Répu‐ blique nous coûterait la même chose, sinon plus, ajoute le porte-parole de la Ligue monarchist­e du Cana‐ da, Karim Al-Dahdah.

Radio-Canada a contacté le Bureau du Conseil privé de Sa Majesté pour le Canada pour tenter d’obtenir un por‐ trait plus à jour des coûts liés à la monarchie au pays. Dans une réponse envoyée par courriel, un porte-parole n’a pas fourni de détails spéci‐ fiques sur le montant débour‐ sé par les contribuab­les.

La gouverneur­e générale exerce les fonctions de chef d'État au Canada. Ces fonc‐ tions seraient toujours néces‐ saires, même si le Canada n'était pas une monarchie constituti­onnelle. Il en va de même pour les provinces.

Pierre-Alain Bujold, porteparol­e du Bureau du Conseil privé

Il précise que le Canada ne fournit pas de financemen­t direct à la famille royale et que toutes les dépenses liées au fonctionne­ment de la Cou‐ ronne sont engagées au sein du pays.

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