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En Alberta, trouver un médecin de famille peut être une longue quête

- Tiphanie Roquette

À Red Deer, ville de plus de 100 000 habitants, aucun médecin de famille n’ac‐ cepte de nouveaux pa‐ tients. En dehors de Calga‐ ry et d’Edmonton, un grand nombre de municipali­tés font face à cette pénurie.

Karine Desmarais ne s’at‐ tendait pas à cette difficulté. La Québécoise a déménagé avec son mari et ses quatre plus jeunes enfants dans les environs de Red Deer il y a neuf mois.

Ce que faisaient miroiter les gens sur les forums [de discussion], c’était que l’acces‐ sibilité [en Alberta] était quand même assez facile et rapide. Mais ce n’est pas né‐ cessaireme­nt le cas.

La famille n’a toujours pas trouvé de médecin. Les en‐ fants sont en bonne santé, mais la plus jeune a seule‐ ment deux ans.

C’est important d’avoir un suivi au niveau de sa crois‐ sance pour être sûre qu’elle se développe bien. C’est aussi une tranquilli­té d’esprit, ne pas avoir cette inquiétude-là d’être capable d’avoir un mé‐ decin s’il arrive un accident ou une maladie.

Karine Desmarais s’est ré‐ solue à s’inscrire sur la liste d’attente d’un nouveau mé‐ decin francophon­e à Edmon‐ ton, à 1 h 45 de route.

La même réaction de sur‐ prise revient régulièrem­ent dans les bureaux de l’orga‐ nisme Francophon­ie alber‐ taine plurielle, qui aide les nouveaux arrivants à s’instal‐ ler à Red Deer. Après le loge‐ ment et l’emploi, la santé est souvent sa troisième priorité.

Je pense que dans leur tête, ils se disent qu’ils ont eu [la carte santé] en deux se‐ maines, donc c’est facile d’avoir les soins. Mais ça ne fonctionne pas comme ça. C’est vraiment l’attente, constate la conseillèr­e en éta‐ blissement Sophie Simard.

Si tu as seulement six mois d’attente, compte-toi chan‐ ceux parce qu’il y a des per‐ sonnes qui attendent un an, deux ans.

Sophie Simard, conseillèr­e en établissem­ent

Elle croit que la situation s’est empirée depuis le mois de septembre lorsque l’Alber‐ ta a commencé à attirer de plus en plus de migrants.

La conseillèr­e en établisse‐ ment décroche son téléphone pour faire le tour des cliniques médicales. Son rayon de re‐ cherche s’élargit maintenant jusqu’à Calgary et Edmonton.

C’est frustrant, vraiment frustrant. Je continue d’appe‐ ler toutes les deux, trois se‐ maines une dizaine de cli‐ niques, mais ce n’est pas évident.

Sans autre possibilit­é, ses clients sont envoyés vers les cliniques sans rendez-vous ou les urgences de l’hôpital.

On a besoin d’un suivi dans les soins. Les patients en clinique sans rendez-vous n’y font pas leurs tests de dépis‐ tage comme les mammogra‐ phies, les frottis ou les prises de sang. Ils ne voient jamais deux fois le même médecin, remarque le docteur Peter Bouch, médecin de famille gé‐ néraliste à Red Deer et porteparol­e du réseau de soins pri‐ maires de la région.

Nous sommes à un stade critique.

Dr Peter Bouch, médecin de famille

La situation risque même d’empirer puisque, selon Dr Bouch, quatre médecins prendront leur retraite dans les prochains mois.

Statistiqu­es versus réali‐ té

Red Deer n’est pas la seule ville dans cette situation. Le‐ thbridge, ville de plus de 100 000 habitants aussi, n’a pas de généralist­e qui accepte de nouveaux patients. Même chose pour Grande Prairie et Medicine Hat, avec plus de 60 000 habitants.

Selon le réseau de soins primaires de l'Alberta, le nombre de médecins qui ac‐ ceptent de nouveaux patients est passé de 907 en mai 2020 à 250 en janvier 2023.

Le nombre de praticiens enregistré­s en médecine fami‐ liale a pourtant augmenté de près de 13 % entre fin 2019 et fin 2022, plus que la crois‐ sance de la population. Les données de l’Institut canadien d’informatio­n sur la santé montrent également que l’Al‐ berta est loin d’être la pire province en matière de pénu‐ rie de fournisseu­rs de soins.

Selon Dr Bouch, la hausse cache toutefois la réalité com‐ plexe du système de santé. Tous ces nouveaux inscrits ne veulent pas forcément s’éta‐ blir en dehors des grands centres urbains.

Un jeune médecin peut également difficilem­ent assu‐ mer la charge de travail d’un confrère à la retraite. Avec ses 24 ans d’expérience, le doc‐ teur Bouch a par exemple 3200 patients à sa clinique, le double d’un panel normal.

Être généralist­e est un mé‐ tier difficile, probableme­nt le plus difficile de la médecine parce que vous pouvez aller d’une pièce avec un nouveauné à une autre avec une per‐ sonne de 95 ans aux multiples pathologie­s. Le montant de paperasser­ie est énorme, ex‐ plique-t-il.

Il pointe aussi du doigt la difficile relation entre l’Asso‐ ciation médicale de l’Alberta et le gouverneme­nt provin‐ cial. En 2020, le ministre de la Santé de l’époque, Tyler Shan‐ dro, avait mis fin unilatéral­e‐ ment à l’entente-cadre avec les médecins, créant une dé‐ térioratio­n du climat au sein du monde médical.

Un accord a depuis été si‐ gné, mais des séquelles de‐ meurent selon plusieurs mé‐ decins.

Des solutions en marche

Quelles que soient les rai‐ sons, la médecine familiale su‐ bit un certain désamour, ob‐ serve le doyen de l’École de médecine Cumming de l’Uni‐ versité de Calgary, Todd An‐ derson.

Le gouverneme­nt provin‐ cial a accru le financemen­t des places de médecine pour que les deux principale­s uni‐ versités forment de plus larges cohortes.

Seul un quart des étu‐ diants à l’École de médecine de Calgary choisissen­t toute‐ fois la médecine familiale, alors que ce taux approchait plutôt les 40 % par le passé.

Nous examinons la mise en place d’un nouveau pro‐ gramme d’études en juillet en‐ seigné par plus de généra‐ listes et de médecins de fa‐ mille pour qu’ils deviennent des modèles pour les étu‐ diants et pour leur montrer qu’une carrière en médecine familiale est cool, explique le Dr Anderson.

Les formations sont égale‐ ment délocalisé­es en milieu rural pour retenir les docteurs dans les zones en besoin. À plus court terme, l’Université souhaite aussi combler la pé‐ nurie en acceptant un plus grand nombre de diplômés étrangers.

Selon une étude de Ser‐ vices de santé Alberta citée par le doyen, la province aura besoin de 3000 médecins de famille supplément­aires au cours de la prochaine décen‐ nie.

Le Dr Anderson souligne toutefois que le gouverne‐ ment doit aussi faire sa part pour donner envie aux méde‐ cins de rester en Alberta parce que la compétitio­n entre les provinces est féroce.

Le gouverneme­nt doit mettre en place une structure de paiement qui fonctionne. Il faut apporter [aux médecins] le soutien nécessaire, ajoutet-il.

Il est toutefois optimiste que les actions en marche produiront rapidement des résultats.

Quelques promesses du PCU

Garantie de ne pas faire payer les Albertains pour les

services médicaux essentiels 86 M$ pour accroître le nombre de places de forma‐ tion en santé 243 M$ sur trois ans pour l’améliorati­on des soins de santé primaires 196 M$ sur trois ans pour ajouter des ambulances et des ambulancie­rs 80 M$ pour accroître le nombre de chirur‐ gies de 20 000 en 2023-2024

Quelques promesses du NPD

350 M$ pour établir 40 cli‐ niques de soins pour la famille

400 M$ pour recruter 4000 profession­nels de la san‐ té

Lancer la plus large cam‐ pagne de recrutemen­t de pro‐ fessionnel­s de la santé

Accélérer la constructi­on d’un hôpital dans le sud d’Ed‐ monton, l’agrandisse­ment de l’Hôpital de Red Deer, l’instal‐ lation de l’Hôpital Stollery dans un bâtiment distinct (40 M$) et 20 M$ pour les ser‐ vices cardiaques de l’Hôpital de Lethbridge

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