Les savoirs autochtones au service de l’IA
Souvent associés à des cultures passéistes, les Au‐ tochtones sont pourtant bien ancrés dans la moder‐ nité. Une équipe de cher‐ cheurs travaille d’ailleurs à intégrer des connaissances autochtones dans les nou‐ veaux outils d’intelligence artificielle.
Le projet a obtenu une subvention de près de 23 mil‐ lions de dollars et va englober plus de 30 chercheurs de plu‐ sieurs universités du Canada, des États-Unis et même de Nouvelle-Zélande. Il s’intitule Abundant intelligences : ex‐ panding artificial intelligence through indigenous know‐ ledge systems (intelligences fondées sur l’abondance : élargir la portée de l’intelli‐ gence artificielle au moyen des systèmes de savoirs au‐ tochtones).
Le projet cherchera no‐ tamment à tenir compte des valeurs et des priorités des communautés autochtones. Par exemple, il est possible de penser l’IA sous un angle moins individualiste et explo‐ rer des alternatives plus col‐ lectives; ou encore de mettre l’emphase sur des valeurs telles que la coopération au lieu de l’optimisation, détaille Karim Jerbi, membre associé à l'Institut québécois d’intelli‐ gence artificielle (MILA) et professeur de psychologie à l’Université de Montréal.
Rappelons que l’idée de sa‐ voirs autochtones est très large et dépend de chaque nation.
Pour les Haudenosaunee [les Mohawks, NDLR], cela in‐ clut généralement tous les as‐ pects de notre vie sociale, po‐ litique, culturelle et spirituelle, détaille Jackson Tékeniyáhsen Ohkwá:ri (Two Bears), membre de la communauté mohawk de Tyendinaga, en Ontario.
Ce professeur associé et ti‐ tulaire de la Chaire de re‐ cherche du Canada en re‐ cherche et technologie des arts autochtones à l'Universi‐ té de Lethbridge en Alberta est partie prenante du projet.
Il estime qu’il est essentiel que les Autochtones, qui ont été trop souvent mis à l’écart dans le milieu de la recherche en général, puissent participer à ce programme.
Ce projet est important parce qu'il associe les peuples autochtones à cette conver‐ sation sur la façon dont l'intel‐ ligence artificielle transforme‐ ra notre avenir - socialement, culturellement, politiquement et (peut-être) même spirituel‐ lement, détaille-t-il.
Pour une IA moins biai‐ sée
Par ailleurs, le fait d’inté‐ grer les Autochtones dans cette recherche va également permettre de lutter contre certains biais. Il est bien connu aujourd’hui que l’IA, développée essentiellement par des hommes blancs, de culture occidentale, continue de véhiculer les biais conscients ou inconscients de ces mêmes développeurs.
L'intégration des systèmes de connaissances autoch‐ tones dans l'IA est impor‐ tante, car elle nous permettra [d’élargir] ces cadres concep‐ tuels pour inclure d'autres vi‐ sions du monde, poursuit
M. Tékeniyáhsen Ohkwá:ri.
Une idée que soutient d’ailleurs Karim Jerbi.
Ce programme de re‐ cherche contribuera au déve‐ loppement d’une IA moins biaisée, et moins sujette aux préjugés que nous observons. Il est important de rappeler que les données utilisées pour entraîner et développer des algorithmes en IA ne sont malheureusement souvent pas représentatives de la di‐ versité de nos sociétés.
Karim Jerbi, membre asso‐ cié à l'Institut québécois d’in‐ telligence artificielle
Dans ce projet, les Autoch‐ tones ont une place impor‐ tante d’après le groupe de chercheurs. En effet, M. Jerbis assure que les membres des communautés autochtones ont mené la conceptualisa‐ tion du projet et la rédaction de la demande de subvention depuis le tout début. La majo‐ rité de l’équipe de recherche est en effet autochtone, de même que les professeurs Ja‐ son Lewis (Kanaka Maoli) et Hēmi Whaanga (Māori) qui co‐ dirigent ce programme.
Le but est aussi de per‐ mettre l’intégration d’Autoch‐ tones dans le milieu universi‐ taire et donc de faciliter leur implication dans les différents programmes de développe‐ ment.
Plus concrètement encore, M. Tékeniyáhsen Ohkwá:ri croit que le développement d’une IA qui tient compte des savoirs autochtones pourra être utilisée à des fins qui servent les communautés.
Il évoque notamment la contribution de l’IA à la revita‐ lisation des langues autoch‐ tones. Parce que beaucoup de nos langues sont en dan‐ ger, il est difficile de trouver des locuteurs qui les parlent couramment et qui peuvent transmettre leurs connais‐ sances. L'IA peut peut-être contribuer à cette tâche, croit le chercheur.
Et qui dit langue autoch‐ tone, dit aussi vision du monde différente. L'IA pour‐ rait donc se servir de cela pour élargir ses systèmes de pensée et de représentation.
Bientôt des robots qui parlent l'innu-aimun, le cri ou l'inuktitut pourraient donc voir le jour.