Radio-Canada Info

Des mains rouges qui font polémique sur TikTok

- Julie Roy

Une nouvelle tendance sur TikTok, qui détourne le symbole de la main rouge associé aux femmes au‐ tochtones disparues et as‐ sassinées, soulève l’indi‐ gnation chez des adeptes de ce réseau social issus des Premières Nations. Plu‐ sieurs militants ont d’ailleurs répliqué et de‐ mandent aux auteurs de ces vidéos de les retirer im‐ médiatemen­t de la plate‐ forme.

La tendance provient des États-Unis et évoque à la blague le meurtre de filles. Les vidéos sont l'oeuvre de jeunes femmes qui portent à leur bouche une main enduite de peinture rouge, devant la ca‐ méra. L’empreinte rouge qu’elles laissent symbolise le sort qu’elles souhaitent à celles qui flirtent avec leur co‐ pain.

Des militantes autoch‐ tones américaine­s n’ont pas tardé à réagir et à rappeler ce que le symbole représente pour elles.

Ça signifie nos voix qui sont réduites au silence et c’est nuisible de mal l’utiliser, a expliqué sur TikTok Jessica Gi‐ dagaakoons Smith, une membre de la tribu Chippewa, au Minnesota, qui a été vic‐ time de trafic humain.

Ça ressemble beaucoup trop à la main rouge sur la bouche associée au mouve‐ ment MMIWG [femmes et filles autochtone­s disparues et assassinée­s], a réagi Toni Lee, une militante dénée. On est déjà ciblées et muselées. Ce trend enterre nos voix, il parle par-dessus nous.

Certains utilisateu­rs ont compris le message et ont re‐ tiré leur vidéo. Néanmoins, la tendance reste forte et a tra‐ versé la frontière canadienne.

Lorsqu’elle a vu l'une de ces vidéos il y a une dizaine de jours, Catherine Boivin a été piquée au vif. Je me deman‐ dais qu’est-ce que j’étais en train de regarder et si elles comprenaie­nt ce qu’elles fai‐ saient. Ça m'a un peu dégoû‐ tée. Déjà de plaisanter sur le fait de tuer des gens, car c’est ça le trend, mais en plus d’uti‐ liser un symbole qui repré‐ sente nos soeurs disparues et assassinée­s... Ça fait mal!

Ce n’est pas la première fois que l’artiste atikamekw remarque l’usage de la main rouge sur la plateforme Tik‐ Tok pour dénoncer autre chose que la violence faite aux femmes autochtone­s. Des membres de la commu‐ nauté LGBTQ l’ont déjà utili‐ sée pour dénoncer le silence qu’on leur impose, et certains ont mal réagi lorsque des Au‐ tochtones ont expliqué que ce symbole était lié à leur cause.

Je comprends qu’on cherche des symboles forts, mais ce symbole-là, ça fait longtemps qu’on essaie de le diffuser. On voit qu’il y a en‐ core une méconnaiss­ance et c’est ça qui est frustrant, ex‐ plique Catherine Boivin.

Ça représente tellement le mouvement des femmes au‐ tochtones disparues et assas‐ sinées. On vit encore ça en ce moment. C’est encore très présent dans nos communau‐ tés, et la justice, c’est encore récent. On minimise encore ce fléau et ce que vivent les femmes autochtone­s.

Catherine Boivin

La difficulté d’éduquer

Xavier Watso avait vu une tendance similaire il y a un an et demi sur TikTok, qui avait aussi créé un tollé. Ce qui est dommage, c’est que c’est presque cyclique et que les gens n'ont pas nécessaire‐ ment appris.

Alors que la première ten‐ dance démontrait clairement l’ignorance des créateurs de contenu, la plus récente le dé‐ range davantage, puisqu’elle utilise spécifique­ment la main rouge pour représente­r le meurtre de filles.

Si tu connais le symbole et que tu décides de l’utiliser dé‐ libérément pour l’invalider, pour te moquer de la dispari‐ tion de nos femmes autoch‐ tones, c’est vraiment grave. Xavier Watso

Ce professeur abénakis dans une école secondaire de Montréal est un adepte des réseaux sociaux. Depuis des années, il utilise différente­s plateforme­s pour faire de la pédagogie, éduquer les gens à la réalité des Autochtone­s et dénoncer l’appropriat­ion culturelle.

Beaucoup de trends partent des États-Unis, où il y a beaucoup de gens qui ont voté pour Trump qui sont ra‐ cistes et qui s’en foutent. Ces gens-là, qui ne s’intéressen­t pas aux autres et qui n’ont au‐ cune empathie, ils vont gar‐ der leurs vidéos.

Mais, selon M. Watso, ces gens ne sont pas les princi‐ paux utilisateu­rs de TikTok.

TikTok, c’est des copycat : ce sont des gens qui vont voir un trend et qui vont le repro‐ duire. Il y en a sûrement plu‐ sieurs qui ne sont pas au cou‐ rant [de la significat­ion de la main rouge]. C’est à toi de faire ta recherche. Les gens doivent être responsabl­es de

leurs publicatio­ns.

Du bon usage des ré‐ seaux sociaux

Malgré tout, Xavier Watso a vu une nette améliorati­on du ton sur les réseaux sociaux au cours des dernières an‐ nées. J’ai grandi avec les ré‐ seaux sociaux et c’est beau‐ coup moins le far west qu’avant. Les plateforme­s ont des outils pour faire enlever les vidéos qui sont probléma‐ tiques, qui sont racistes. Elles progressen­t et trouvent des façons de nous protéger.

Il est même persuadé que les réseaux sociaux ont plus aidé que desservi la cause au‐ tochtone. Comme toute chose, ils viennent avec un mauvais côté, mais ils contri‐ buent grandement à véhicu‐ ler les messages des Pre‐ mières Nations.

Ça a changé le MMIWG et la vie de plusieurs commu‐ nautés qui étaient discrimi‐ nées. Ça nous a permis d’avoir une voix, de reconnecte­r, de nous retrouver entre nous et de bâtir quelque chose, nuance-t-il.

Ces plateforme­s donnent une voix. Avant, c’était très difficile pour les communau‐ tés marginalis­ées de trouver cet espace-là pour s’exprimer.

Pour moi, c’est très positif, même si on voit à l’occasion des trends comme celui-là. En fin de compte, c’est un élé‐ ment qu’on va utiliser pour

sensibilis­er et éduquer.

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