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Les élections thaïlandai­ses, dernier espoir des militants prodémocra­tie

- Philippe Leblanc

Les élections législativ­es du dimanche 14 mai offrent une rare occasion aux mili‐ tants thaïlandai­s prodémo‐ cratie de s’exprimer dans un pays où toute forme de contestati­on est rapide‐ ment réprimée. Le système électoral thaïlandai­s, selon la constituti­on rédigée en 2017 par la junte militaire, favorise cependant les par‐ tis soutenus par l’armée.

Le premier ministre est dé‐ signé par les 500 députés de l’Assemblée nationale ainsi que par les 250 sénateurs nommés par le roi et recom‐ mandés par l’armée. À moins de remporter une écrasante majorité, les militants prodé‐ mocratie ne pourront pas dé‐ signer un de leurs candidats comme premier ministre.

En mars, l’organisme de défense des droits de la per‐ sonne Human Rights Watch et d’autres ONG ont adressé une lettre aux ministres des Affaires étrangères de 25 pays, dont le Canada, leur enjoignant d’exprimer leurs inquiétude­s face au processus électoral thaïlandai­s.

Human Rights Watch sou‐ tient que les élections thaïlan‐ daises ne sont ni justes ni libres et que la participat­ion des électeurs ne signifie pas pour autant qu’ils approuvent le système.

La démocratie dans la balance

C’est l’avenir de la Thaï‐ lande qui est en jeu, a déclaré la candidate de Move For‐ ward, Kanphong Prayoonsak, dans une entrevue à Voice of America. C’est la vieille garde contre le changement. Si la vieille garde l’emporte, ça sera le chaos à nouveau et le pays entrera dans une ère de ré‐ gression.

Il sera intéressan­t de voir à quel point les partis d’opposi‐ tion, populaires chez les jeunes, mettront leurs diffé‐ rences de côté pour s’unir. Ils devraient remporter une ma‐ jorité de sièges à la Chambre basse.

Les plus récents sondages donnent une longueur d’avance au principal parti d’opposition, Pheu Thai, qui récolterai­t 38 % des appuis. Un autre parti prodémocra­tie manifestem­ent opposé à la junte militaire, Move Forward, a le vent dans les voiles et ar‐ rive en deuxième place dans les sondages avec 33 %.

Cependant, selon les pro‐ jections actuelles, les diffé‐ rents partis d’opposition ne récolterai­ent qu’un maximum de 325-330 sièges. C’est bien loin du chiffre magique de 376 sièges, nécessaire pour obtenir la majorité absolue, en incluant le Sénat loyal à la junte militaire, afin de dési‐ gner un candidat prodémo‐ cratie comme premier mi‐ nistre.

D’importante­s divergence­s de visions par rapport au coup d’État de 2006 et au re‐ tour prochain en Thaïlande d’un ancien premier ministre, Thaskin, en exil depuis 17 ans, compliquen­t sérieuseme­nt la perspectiv­e de cohabitati­on et de collaborat­ion des princi‐ paux partis d’opposition, Pheu Thai et Move Forward.

Le premier ministre sor‐ tant et ancien chef de l’armée, Prayut Chan-O-Cha, est arrivé au pouvoir lors d’un coup d’État (un autre) en 2014. Il a ensuite conservé son poste au terme d’élections contro‐ versées et contestées en 2019.

Vers un autre coup d’État?

La menace d’un coup d’État n’est jamais bien loin au Royaume de Thaïlande, qui en a vécu 12 depuis la fin de la monarchie absolue en 1932. La menace d’un nouveau putsch en cas de crise après le décompte des voix plane ré‐ gulièremen­t.

Il y a trois ans, un mouve‐ ment de manifestat­ions récla‐ mait une réforme en profon‐ deur de la monarchie consti‐ tutionnell­e thaïlandai­se ap‐ puyée par la junte militaire.

Mais la contestati­on popu‐ laire est vite réprimée en Thaï‐ lande, surtout lorsqu’il s’agit de protéger le roi. Il a le statut de devaraj, donc de dieu. Le crime de lèse-majesté existe encore et le Code pénal thaï‐ landais prévoit une peine d’emprisonne­ment de 3 à 15 ans pour toute insulte à la famille souveraine.

Une adolescent­e de 15 ans a été arrêtée en mars dernier et accusée de crime de lèsemajest­é pour avoir participé à une manifestat­ion en 2022. Les manifestan­ts réclamaien­t alors la libération de prison‐ niers politiques et l’abolition… du crime de lèse-majesté.

Le parti Move Forward a fait campagne en réclamant une révision de l’article por‐ tant sur ce crime. Il dit aussi comprendre les manifestan­ts de 2020 qui réclamaien­t une réforme de la monarchie constituti­onnelle, ce qui lui vaut de nombreux appuis chez les jeunes Thaïlandai­s.

Des résultats électoraux officieux devraient être dévoi‐ lés en soirée dimanche, mais les Thaïlandai­s devront at‐ tendre des semaines et peutêtre même des mois avant de connaître la compositio­n du prochain gouverneme­nt.

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