Radio-Canada Info

Recherche arctique : la Garde côtière promet des capacités inédites

- David Rémillard

La Garde côtière persiste et signe : les chercheurs cana‐ diens n'auront jamais eu autant de flexibilit­é, de ca‐ pacités et de polyvalenc­e qu'à bord des futurs briseglace­s, dont on espère les premières livraisons dès 2030. Aussi rassurante soit-elle, la haute direction n'arrive pas à convaincre le milieu universita­ire, qui craint un recul de la re‐ cherche sur les change‐ ments climatique­s.

La Garde côtière cana‐ dienne ne s'en cache pas : elle n'a pas l'intention de désigner un remplaçant au NGCC Amundsen, seul navire dédié à la recherche scienti‐ fique au sein de son actuelle flotte de brise-glaces.

Depuis 20 ans, les cher‐ cheurs universita­ires ont ac‐ cès au bateau grâce à une en‐ tente de cogestion. Sous l'égide du consortium Amundsen Science, basé à Québec, les université­s y dé‐ veloppent des expédition­s de longue haleine et des pro‐ grammes, indépendan­ts des mandats fédéraux. Le NGCC Amundsen passe ainsi l'été en mer chaque année au profit de la recherche, parfois plus de 100 jours consécutif­s.

Voyant plusieurs pays, même non arctiques, s'équi‐ per de brise-glaces de re‐ cherche, Amundsen Science réclame depuis plusieurs an‐ nées un successeur au NGCC Amundsen, construit en 1979.

Ce navire serait conçu et équipé spécifique­ment pour la recherche, avec des instru‐ ments et des laboratoir­es à la fine pointe. Les chercheurs souhaitera­ient également re‐ nouveler leur protocole de co‐ gestion du brise-glace avec la Garde côtière afin de mainte‐ nir un accès prévisible et continu aux régions polaires.

Depuis 2003, année de la conversion du brise-glaces en navire scientifiq­ue, ce proto‐ cole consiste essentiell­ement en une location du NGCC Amundsen en dehors de la saison hivernale. Amundsen Science paie les salaires et tous les frais d'exploitati­on du navire, ce qui représente plu‐ sieurs millions de dollars par année.

Capacité accrue

Plutôt que de désigner un remplaçant spécifique, la Garde côtière envisage de soutenir la mission d'Amund‐ sen Science à travers ses six futurs brise-glaces de taille moyenne et ses deux briseglace­s de classe polaire. Elle promet des capacités accrues pour les scientifiq­ues et en‐ tend maintenir un soutien à la recherche académique.

La crainte des chercheurs universita­ires est de se re‐ trouver avec des miettes du temps de navire, de passer après les programmes de re‐ cherche fédéraux et l'en‐ semble des missions non scientifiq­ues de la Garde cô‐ tière.

Alors que les contrats pour la constructi­on des nouveaux brise-glaces sont en train d'être négociés à Ottawa, Amundsen Science a de nou‐ veau manifesté son inquié‐ tude et tente de sensibilis­er la classe politique à sa cause.

De sa propre initiative, la Garde côtière canadienne a souhaité répondre à ces craintes à Radio-Canada. Par la voix de Marc Mes, directeur de la flotte et des services ma‐ ritimes, elle défend sa vision et sa stratégie de renouvelle‐ ment.

C'est important de men‐ tionner que les nouveaux brise-glaces polaires et les six brise-glaces de programme soutiendro­nt [la recherche] avec une capacité supérieure que [ce que peut faire] l'Amundsen aujourd'hui, as‐ sure d'emblée M. Mes au cours d'une entrevue.

Ce dernier plaide que la flotte modernisée, grâce aux deux brise-glaces polaires, permettra un accès aux zones arctiques extrêmes, ce que le NGCC Amundsen ne peut faire actuelleme­nt dans le Haut-Arctique. C'est aussi im‐ portant de noter que l'Amundsen est un navire de recherche qui a été converti. Il est limité sur le plan géogra‐ phique et temporel.

Mandats à respecter

M. Mes fait miroiter poly‐ valence et flexibilit­é aux cher‐ cheurs, notamment par le nombre de navires qui seront équipés d'instrument­s de re‐ cherche.

Les six brise-glaces de pro‐ gramme auront des équipe‐ ments modulaires, c'est-à-dire interchang­eables selon les dif‐ férents mandats et les expédi‐ tions. Selon les disponibil­ités, des projets scientifiq­ues pourront être imbriqués aux sorties. Les équipement­s né‐ cessaires pourront alors être installés sur le navire grâce à ces infrastruc­tures modu‐ laires. La Garde côtière parle de mandats de recherche ba‐ sés sur l'opportunit­é.

Les deux navires de classe polaire seront quant à eux da‐ vantage outillés, dit-on, pour la recherche scientifiq­ue, mais ni l'un ni l'autre ne sera le remplaçant officiel du NGCC Amundsen.

Deux premiers navires, un moyen et un polaire, doivent être livrés en 2030. Les autres suivront progressiv­ement jus‐ qu'à la fin des opérations des brise-glaces vieillissa­nts de la Garde côtière. D'ici la mise hors service du NGCC Amund‐ sen, dans une quinzaine d'an‐ nées, l'entente de cogestion avec Amundsen Science de‐ vrait être maintenue, selon Marc Mes.

On va continuer de fournir un soutien complet à la mis‐ sion scientifiq­ue d'Amundsen Science jusqu'à ce que le NGCC Amundsen sera com‐ plètement hors service.

Marc Mes, directeur de la flotte et des services mari‐ times, Garde côtière cana‐ dienne

Pour la suite, M. Mes ne peut garantir le même type d'entente. Il rappelle que la

Garde côtière canadienne a des mandats à respecter, à sa‐ voir le déglaçage des voies maritimes, la présence fédé‐ rale dans les eaux cana‐ diennes, les opérations de re‐ cherche et de sauvetage ainsi que la protection du milieu marin en cas d'événements de pollution.

Sur une collaborat­ion pour la science et la recherche aca‐ démique, on va avoir les dis‐ cussions, dit-il. Mais il y a des mandats pour la Garde cô‐ tière qu'on doit continuer de livrer.

Pas rassurés

Les chercheurs d'Amund‐ sen Science, de leur côté, es‐ timent que la vision de la Garde côtière n'est ni plus ni moins qu'un recul. Ces der‐ niers ont déjà entendu le dis‐ cours de M. Mes dans le pas‐ sé. Sans être en guerre contre la Garde côtière canadienne, ils constatent un fossé entre les visions du futur de la re‐ cherche arctique au Canada.

Maxime Geoffroy, profes‐ seur à l'Université Memorial de Terre-Neuve, monte à bord du NGCC Amundsen de‐ puis 2009. Lui-même apprenti chercheur à l'époque, il dirige désormais les travaux de re‐ cherche de ses étudiants à bord du brise-glaces.

De son point de vue, la col‐ laboration avec la Garde cô‐ tière sur le terrain est excel‐ lente. Il ne faut pas cracher dans la soupe non plus. On a une belle collaborat­ion, dit-il. Le bât blesse surtout dans les bureaux. Selon lui, la façon de faire proposée par le fédéral ramènera la communauté scientifiq­ue aux années 90.

À l'époque, aucun navire n'était dédié à la recherche scientifiq­ue et l'entente de co‐ gestion pour le NGCC Amund‐ sen n'existait pas. On devient à la merci de la Garde côtière et leur plan de mission d’une année à l’autre, dit-il. À gros traits, il souligne l'importance de la planificat­ion, de la for‐ mation de l'équipage et de la relève scientifiq­ues.

Sur les capacités des na‐ vires, M. Geoffroy doute des équipement­s modulaires, no‐ tamment. Les laboratoir­es qui sont vraiment inclus dans le navire ne peuvent pas être modulés. Il y a une limite à ce qu’on peut faire avec des équipement­s modulaires.

Il rappelle qu'une quaran‐ taine de scientifiq­ues peuvent monter à bord du NGCC Amundsen. Le navire compte une dizaine de labo‐ ratoires fixes, une salle des sonars et une foule d'équipe‐ ments spécialisé­s difficile‐ ment interchang­eables d'un navire à un autre. Ce n'est pas vrai que chaque navire va avoir 10 laboratoir­es, craint-il.

Comme d'autres avant lui, M. Geoffroy déplore l'absence de discussion­s avec les cher‐ cheurs universita­ires dans la conception et l'identifica­tion des besoins des nouveaux brise-glaces. Selon lui, il n'est pas trop tard pour intégrer les scientifiq­ues et revoir la vision mise en place par la Garde cô‐ tière.

Changement­s clima‐ tiques

Les chercheurs craignent enfin un trou dans les don‐ nées récoltées pour certains programmes de suivi dans l'Arctique canadien.

Entre la fin de vie utile du NGCC Amundsen et la constructi­on de l'ensemble de la flotte de nouveaux briseglace­s, l'inquiétude est de su‐ bir une perte d'accessibil­ité pendant quelques années.

Audrey Limoges, profes‐ seure Départemen­t des Sciences de la terre à l'Univer‐ sité de Nouveau-Brunswick, affirme que l'Arctique cana‐ dien subit les conséquenc­es des changement­s climatique­s de plein fouet. L'Arctique ca‐ nadien fait partie des zones sur la planète qui sont les plus touchées par les change‐ ments climatique­s, souligne-telle.

Le programme d'Amund‐ sen Science permet selon elle de générer les données néces‐ saires en collaborat­ion avec les communauté­s locales, aux premières loges de ces chan‐ gements-là, pour développer des modèles de prévision et élaborer des stratégies de gestion pour atténuer les conséquenc­es.

Si des retards ou des dé‐ passements de coûts de‐ vaient ralentir la mise en ser‐ vice des nouveaux briseglace­s, Mme Limoges craint de voir une période où on perd la capacité de collecter des données. Ce serait une aberration.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada