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L’Algérie se lance le difficile défi de l’autonomie alimentair­e

- Raphaël Bouvier-Auclair

ALGER - « Le pain en Algé‐ rie, c’est le truc indispen‐ sable sur la table. Nous sommes de grands consom‐ mateurs de pain. »

Il suffit de passer quelques minutes dans la boulangeri­e de Cheb Abdelmalek, dans le quartier Hydra d’Alger, pour constater la véracité de cette affirmatio­n.

En cet avant-midi de se‐ maine, les clients entrent sans arrêt, ressortant parfois avec des sacs remplis de plusieurs baguettes de pain. Ce produit populaire est largement sub‐ ventionné par l’État, puisque la baguette se vend 10 dinars, l’équivalent de 10 cents cana‐ diens.

Selon l’Organisati­on algé‐ rienne de protection et d’orientatio­n du consomma‐ teur, les Algériens seraient classés deuxièmes parmi les plus grands consommate­urs de pain dans le monde, après les Turcs. Dans le pays, il se mangerait en moyenne 110 kilos de pain, presque deux fois plus qu’en France.

Si le produit est ancré dans l’identité nationale, il n’est pas entièremen­t confection­né au pays. Selon l’Organisati­on des Nations unies pour l’alimenta‐ tion et l’agricultur­e (FAO), 70 % du blé consommé en Al‐ gérie est importé, notamment de France, mais pas seule‐ ment.

L’invasion russe de l’Ukraine, important produc‐ teur de blé, a donc eu des im‐ pacts dans plusieurs pays d’Afrique du Nord comme l’Al‐ gérie, dont la capitale est pourtant située à 5000 kilo‐ mètres de Kiev.

Avec la mondialisa­tion, ça touche tout le monde. Même nous, on a été touchés indi‐ rectement. Il y avait de la spé‐ culation, il n'y avait pas de fa‐ rine, des gens stockaient de la farine, elle n'était pas vrai‐ ment disponible dans le mar‐ ché. Comme nous avons deux ou trois fournisseu­rs, on pou‐ vait s’approvisio­nner.

Cheb Abdelmalek, boulan‐ ger à Alger

Si Alger est moins dépen‐ dant des importatio­ns ukrai‐ niennes que certains de ses voisins, la crise a néanmoins eu un impact dans la volonté de la classe dirigeante algé‐ rienne de se défaire d’une dé‐ pendance qui existe depuis des années.

En mars, dans le cadre d’une conférence intitulée Fo‐ rum sur la sécurité alimen‐ taire du blé dur, le premier mi‐ nistre du pays, Aïmene Be‐ nabderrahm­ane, évoquait l’idée d’atteindre l’autosuffi‐ sance et de développer une stratégie pour y parvenir.

On n’a pas suffisamme­nt pris les enseigneme­nts du passé, lance l’expert interna‐ tional dans le domaine agroa‐ limentaire et ancien haut fonctionna­ire au ministère de l’Agricultur­e Mokrane Nouad, qui rappelle que l’Algérie a vé‐ cu plusieurs crises liées à sa dépendance aux produits de base.

Aujourd'hui, on est en train de voir comment substi‐ tuer des importatio­ns. C'est une phase importante. Au‐ jourd'hui, on a pris le devant, mais il faut du temps. Faire une transition rapide, c'est très difficile.

Mokrane Nouad, expert du domaine de l’agroalimen‐ taire

Quand la sécheresse li‐ mite le potentiel agricole

Plus grand pays du conti‐ nent africain, l’Algérie dispose d’une immense surface culti‐ vable d’environ 42 millions d’hectares, mais seulement 8,5 millions de ces hectares sont exploités.

Comme dans d’autres pays méditerran­éens, les acti‐ vités agricoles sont compli‐ quées par les épisodes de sé‐ cheresse. L’an dernier, l’été al‐ gérien a été marqué par de fortes températur­es et même d’importants feux de forêt.

Mohamed Chaouche, qui cultive des agrumes au sud d’Alger, assure que les condi‐ tions climatique­s lui ont fait perdre 70 % de sa récolte l’an‐ née dernière. Or, vu les séche‐ resses, il avait déjà adapté sa culture, délaissant les pêches, plus voraces en eau, pour des clémentine­s et des citrons.

Ces difficulté­s ont eu des impacts jusque dans les éta‐ lages des marchés, où lors de notre passage, fin avril, un ci‐ tron se vendait 400 dinars (4 $ CA), alors qu’il se vendait 150 ou 200 dinars auparavant (1,50 ou 2 $ CA).

Selon un marchand de fruits rencontré à Alger, la hausse s’explique par plu‐ sieurs facteurs, comme la dé‐ cision de l’Algérie d’interdire les importatio­ns de certains produits pendant leur pé‐ riode de production au pays, mais aussi par les effets de la sécheresse.

Le défi alimentair­e est as‐ socié organiquem­ent au défi hydrique, constate le profes‐ seur à l’École nationale des sciences de la mer Samir Grimes.

Selon les prévisions ou les scénarios, en tout cas du GIEC, la région de l'Afrique du Nord et Sahel est considérée comme un des principaux points des changement­s cli‐ matiques, avec donc de grosses menaces liées à la sé‐ cheresse et aux canicules.

Samir Grimes, professeur à l’École nationale des sciences de la mer

Signe des tensions vécues par l’Algérie sur le plan hy‐ drique, ce printemps, certains quartiers de la capitale étaient soumis à un rationneme­nt de l’eau, ne recevant la ressource qu’une journée sur deux.

De l’espoir dans le dé‐ sert

Pour affronter ses pro‐ blèmes d’approvisio­nnement en eau, le gouverneme­nt algé‐ rien mise entre autres sur le dessalemen­t de l’eau de mer, un processus qui vise à trans‐ former la ressource puisée dans la Méditerran­ée en eau douce propre à la consomma‐ tion.

Une quinzaine d’usines sont installées le long des 1600 kilomètres de côtes du pays et les autorités ont an‐ noncé l’an dernier la construc‐ tion de cinq nouvelles sta‐ tions.

Mais pour répondre à ses besoins en agricultur­e, le pays se détourne aujourd’hui du littoral et regarde vers le sud, dans le désert du Sahara.

Aujourd’hui l’Algérie est nourrie par le sud, explique l’expert et ancien haut fonc‐

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