L’Algérie se lance le difficile défi de l’autonomie alimentaire
ALGER - « Le pain en Algé‐ rie, c’est le truc indispen‐ sable sur la table. Nous sommes de grands consom‐ mateurs de pain. »
Il suffit de passer quelques minutes dans la boulangerie de Cheb Abdelmalek, dans le quartier Hydra d’Alger, pour constater la véracité de cette affirmation.
En cet avant-midi de se‐ maine, les clients entrent sans arrêt, ressortant parfois avec des sacs remplis de plusieurs baguettes de pain. Ce produit populaire est largement sub‐ ventionné par l’État, puisque la baguette se vend 10 dinars, l’équivalent de 10 cents cana‐ diens.
Selon l’Organisation algé‐ rienne de protection et d’orientation du consomma‐ teur, les Algériens seraient classés deuxièmes parmi les plus grands consommateurs de pain dans le monde, après les Turcs. Dans le pays, il se mangerait en moyenne 110 kilos de pain, presque deux fois plus qu’en France.
Si le produit est ancré dans l’identité nationale, il n’est pas entièrement confectionné au pays. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimenta‐ tion et l’agriculture (FAO), 70 % du blé consommé en Al‐ gérie est importé, notamment de France, mais pas seule‐ ment.
L’invasion russe de l’Ukraine, important produc‐ teur de blé, a donc eu des im‐ pacts dans plusieurs pays d’Afrique du Nord comme l’Al‐ gérie, dont la capitale est pourtant située à 5000 kilo‐ mètres de Kiev.
Avec la mondialisation, ça touche tout le monde. Même nous, on a été touchés indi‐ rectement. Il y avait de la spé‐ culation, il n'y avait pas de fa‐ rine, des gens stockaient de la farine, elle n'était pas vrai‐ ment disponible dans le mar‐ ché. Comme nous avons deux ou trois fournisseurs, on pou‐ vait s’approvisionner.
Cheb Abdelmalek, boulan‐ ger à Alger
Si Alger est moins dépen‐ dant des importations ukrai‐ niennes que certains de ses voisins, la crise a néanmoins eu un impact dans la volonté de la classe dirigeante algé‐ rienne de se défaire d’une dé‐ pendance qui existe depuis des années.
En mars, dans le cadre d’une conférence intitulée Fo‐ rum sur la sécurité alimen‐ taire du blé dur, le premier mi‐ nistre du pays, Aïmene Be‐ nabderrahmane, évoquait l’idée d’atteindre l’autosuffi‐ sance et de développer une stratégie pour y parvenir.
On n’a pas suffisamment pris les enseignements du passé, lance l’expert interna‐ tional dans le domaine agroa‐ limentaire et ancien haut fonctionnaire au ministère de l’Agriculture Mokrane Nouad, qui rappelle que l’Algérie a vé‐ cu plusieurs crises liées à sa dépendance aux produits de base.
Aujourd'hui, on est en train de voir comment substi‐ tuer des importations. C'est une phase importante. Au‐ jourd'hui, on a pris le devant, mais il faut du temps. Faire une transition rapide, c'est très difficile.
Mokrane Nouad, expert du domaine de l’agroalimen‐ taire
Quand la sécheresse li‐ mite le potentiel agricole
Plus grand pays du conti‐ nent africain, l’Algérie dispose d’une immense surface culti‐ vable d’environ 42 millions d’hectares, mais seulement 8,5 millions de ces hectares sont exploités.
Comme dans d’autres pays méditerranéens, les acti‐ vités agricoles sont compli‐ quées par les épisodes de sé‐ cheresse. L’an dernier, l’été al‐ gérien a été marqué par de fortes températures et même d’importants feux de forêt.
Mohamed Chaouche, qui cultive des agrumes au sud d’Alger, assure que les condi‐ tions climatiques lui ont fait perdre 70 % de sa récolte l’an‐ née dernière. Or, vu les séche‐ resses, il avait déjà adapté sa culture, délaissant les pêches, plus voraces en eau, pour des clémentines et des citrons.
Ces difficultés ont eu des impacts jusque dans les éta‐ lages des marchés, où lors de notre passage, fin avril, un ci‐ tron se vendait 400 dinars (4 $ CA), alors qu’il se vendait 150 ou 200 dinars auparavant (1,50 ou 2 $ CA).
Selon un marchand de fruits rencontré à Alger, la hausse s’explique par plu‐ sieurs facteurs, comme la dé‐ cision de l’Algérie d’interdire les importations de certains produits pendant leur pé‐ riode de production au pays, mais aussi par les effets de la sécheresse.
Le défi alimentaire est as‐ socié organiquement au défi hydrique, constate le profes‐ seur à l’École nationale des sciences de la mer Samir Grimes.
Selon les prévisions ou les scénarios, en tout cas du GIEC, la région de l'Afrique du Nord et Sahel est considérée comme un des principaux points des changements cli‐ matiques, avec donc de grosses menaces liées à la sé‐ cheresse et aux canicules.
Samir Grimes, professeur à l’École nationale des sciences de la mer
Signe des tensions vécues par l’Algérie sur le plan hy‐ drique, ce printemps, certains quartiers de la capitale étaient soumis à un rationnement de l’eau, ne recevant la ressource qu’une journée sur deux.
De l’espoir dans le dé‐ sert
Pour affronter ses pro‐ blèmes d’approvisionnement en eau, le gouvernement algé‐ rien mise entre autres sur le dessalement de l’eau de mer, un processus qui vise à trans‐ former la ressource puisée dans la Méditerranée en eau douce propre à la consomma‐ tion.
Une quinzaine d’usines sont installées le long des 1600 kilomètres de côtes du pays et les autorités ont an‐ noncé l’an dernier la construc‐ tion de cinq nouvelles sta‐ tions.
Mais pour répondre à ses besoins en agriculture, le pays se détourne aujourd’hui du littoral et regarde vers le sud, dans le désert du Sahara.
Aujourd’hui l’Algérie est nourrie par le sud, explique l’expert et ancien haut fonc‐