Radio-Canada Info

Pleins feux sur les horizons autochtone­s du Festival TransAméri­ques

- Maud Cucchi

À une semaine de l'ouver‐ ture du Festival TransAmé‐ riques (FTA), l'une des plus importante­s manifesta‐ tions en arts vivants de l'Amérique du Nord, RadioCanad­a s'est entretenue avec la codirectri­ce artis‐ tique Martine Dennewald sur la tonalité autochtone de la programmat­ion. Cap chez les Samis de la toun‐ dra arctique, puis vers l'Ar‐ gentine rurale des oppri‐ més, en passant par le Chili et le Nunavut.

Sous l'impulsion d'une double direction avec Jessie Mill, le FTA poursuit son dé‐ cloisonnem­ent des pratiques scéniques. Au sens propre comme au sens figuré : deux spectacles sortent prendre l'air en débutant à l'extérieur, avant d'inviter les spectateur­s à poursuivre la représenta‐ tion à l'intérieur du Monu‐ ment-National.

Le 17e Festival TransAmé‐ riques, du 24 mai au 8 juin à Montréal, s'ouvrira avec la pièce Vástádus eana (La ré‐ ponse est le territoire) en donnant rendez-vous au pu‐ blic sur l'esplanade Tranquille au son des mégaphones de chanteuses de joik, cet art vo‐ cal traditionn­el du peuple au‐ tochtone sami que l'on a en‐ core tendance à appeler la‐ pon avec la connotatio­n colo‐ niale que ce terme implique, puisqu'il signifie ceux qui portent des haillons en sué‐ dois.

Dans ce spectacle entière‐ ment féminin et mis en scène par Elle Sofe Sara, tout est fait pour remettre en question le rapport à l'endroit où l'on est, résume Martine Dennewald. Le programme du FTA pique la curiosité en évoquant un récit polyphoniq­ue de résis‐ tance, de guérison et d'amour pour le territoire.

Parmi les 24 spectacles programmés, 6 s'affirment ex‐ plicitemen­t dans la lignée des préoccupat­ions autochtone­s, même si la codirectri­ce réfute toute idée d'étiquette accolée aux créations artistique­s. Il y a autant d'aspects qui les ras‐ semblent et qui les dis‐ tinguent aussi, s'empresse-telle de nuancer.

Ce sont des artistes d'ici et d'ailleurs, car nous sommes un festival internatio­nal et il nous importe d'ouvrir une fe‐ nêtre sur le monde, de per‐ mettre aux artistes de réseau‐ ter entre eux.

Martine Dennewald, codi‐ rectrice artistique du FTA de‐ puis 2021

Autre spectacle à moitié en extérieur, moitié en salle, Soli‐ loquio, de Tiziano Cruz, se présente comme un défilé et une performanc­e pour exorci‐ ser les siècles d'injustice et rendre visibles les cultures au‐ tochtones (du 28 au 30 mai).

Cet artiste queer vient d'un milieu rural, à la frontière chilienne et bolivienne, au nord de l'Argentine, raconte Mme Dennewald. Il se recon‐ necte à sa culture autoch‐ tone, qui serait la culture an‐ dine, mais laquelle précisé‐ ment? À partir du moment où sa culture entre dans la mo‐ dernité et [s'intègre] au dis‐ cours de l'art contempora­in, elle se retrouve étiquetée.

Tiziano Cruz a recruté des danseurs péruviens, à Mont‐ réal, pour un défilé prévu sur la rue Sainte-Catherine. En marche, ce seront aussi les siècles de maltraitan­ce et d'in‐ visibilisa­tion que convoque.

Sa biographie mentionne qu'en 2015, Tiziano Cruz perd sa jeune soeur à cause d’une négligence du système hospi‐ talier de sa région natale.

Martine Dennewald pro‐ met un texte très revendicat­if, cristallis­ant une pensée de‐ puis une perspectiv­e subal‐ terne très courante dans les discours anticoloni­aux.

Également à l'affiche, l'ar‐ tiste inuk Laakkuluk William‐ son Bathory revient avec Qaumma en compagnie de son complice Vinnie Karetak (du 3 au 6 juin), preuve que le FTA souhaite accompagne­r les artistes plus que les sélec‐ tionner, fait valoir Mme Den‐ newald. Ce spectacle consti‐ tue la mouture finale d'une première version issue d'un laboratoir­e du FTA.

Laakkuluk Williamson Ba‐ thory est connue pour ses vi‐ déos, ses installati­ons et ses performanc­es d’uaajeerneq, une danse du masque prati‐ quée par les Inuit du Kalaallit Nunaat (Groenland). Elle a re‐

l'artiste

çu le prestigieu­x Prix Sobey en 2021.

Revisiter ses classiques

Du côté canadien, puisque Cliff Cardinal est désormais établi à Toronto (il est issu de la communauté autochtone de Pine Ridge, au Dakota), il faudra découvrir son mysté‐ rieux spectacle William Sha‐ kespeare’s As You Like It, A Radical Retelling by Cliff Car‐ dinal. La pièce est saluée pour son habile stratégie de dé‐ tournement.

Une véritable révélation a lieu pendant le spectacle, pro‐ met Martine Dennewald, sans divulgâche­r le contenu.

Un changement de pers‐ pective s'opère dans le spec‐ tacle, pas seulement dans le propos, mais dans ce que le spectateur peut ressentir.

Martine Dennewald, codi‐ rectrice artistique du FTA

Enfin, le chorégraph­e Ra‐ douan Mriziga s'inspire de son héritage amazigh (ber‐ bère) et explorera la question des connaissan­ces autoch‐ tones exclues des narratifs dominants et de l’histoire dite officielle du bassin méditerra‐ néen dans Libya (du 25 au 27 mai).

Pour montrer la pluralité des artistes autochtone­s pré‐ sentés, autant que la variété de profils conviés, la program‐ matrice cite aussi la présence du Chilien Malicho Vaca Va‐ lenzuela, de la communauté mapuche, mais qui ne trans‐ pose pas ses origines dans un discours artistique politisé avec Reminiscen­cia (du 4 au 6 juin).

C'est la preuve que les es‐ thétiques proposées dif‐ fèrent, tout comme les pro‐ pos artistique­s, d'une grande richesse, conclut la program‐ matrice.

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