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Troisième lien : Legault a demandé à ses députés de ne pas exprimer leur désaccord

- Alexandre Duval

Des députés de la Coalition avenir Québec (CAQ) ne sont pas seulement déçus par l’abandon du troisième lien : ils sont en profond désaccord. Or, ils ne peuvent pas le dire tout haut : François Legault a demandé à ses élus de ne pas exprimer publique‐ ment leur « dissidence », a appris Radio-Canada.

Selon nos informatio­ns, confirmées par diverses sources bien au fait du dos‐ sier, cette consigne a été don‐ née le 25 avril dernier, lors du caucus spécial auquel partici‐ paient tous les députés de la CAQ élus dans les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches.

Peu de temps après l’ou‐ verture de la réunion, Fran‐ çois Legault a fait comprendre à la quinzaine d’élus présents qu’ils ne pourraient pas étaler leur désapproba­tion sur la place publique, par exemple lors d'entrevues médiatique­s.

Les députés ont compris qu’ils devaient se rallier à la décision prise par le premier ministre d’abandonner la por‐ tion autoroutiè­re du futur tunnel Québec-Lévis pour ne conserver qu’un seul tube ré‐ servé au transport collectif.

Cette consigne a été don‐ née sur un ton cordial et non pas comme une menace, in‐ dique une source. Toutefois, le premier ministre n’a pas in‐ diqué à quelles conséquenc­es s'exposerait un député qui oserait défier la ligne de parti.

Pris entre et l’écorce l’arbre

À leur sortie de ce caucus spécial, certains députés ont réitéré qu’ils étaient déçus de la décision du gouverneme­nt mais qu’ils la comprenaie­nt mieux au terme de la ren‐ contre.

Or, selon nos informa‐ tions, des députés ont lu les études rendues publiques par la ministre des Transports, Ge‐ neviève Guilbault, et estiment que l’argumentai­re du gou‐ vernement contient des inco‐ hérences.

Certains admettent même ne pas croire au discours de leur formation politique, car les études mentionnen­t qu’il serait prématuré de trancher avant 2024 et que la circula‐ tion routière est revenue presque au même niveau qu’avant la pandémie.

Des députés se sentent ainsi coincés entre leur désir de défendre la volonté des ci‐ toyens à qui ils ont promis le projet de bitube en campagne électorale et la nécessité de préserver l’unité au sein de la CAQ.

C’est d’autant plus vrai qu’un mois après le recul du gouverneme­nt, leurs bureaux de circonscri­ption continuent de recevoir des messages amers de la part de nom‐ breux citoyens.

Des bénévoles claquent la porte

Cette colère citoyenne a d’ailleurs entraîné le départ d’organisate­urs et de béné‐ voles caquistes dans certaines circonscri­ptions de la grande région de Québec, confirment nos sources.

Des députés redoutent aussi que le recul sur le troi‐ sième lien ait des répercus‐ sions sur leur financemen­t politique.

À la CAQ, les élus ont pour objectif d’accumuler des dons équivalent­s à la limite maxi‐ male des dépenses autorisées lors des prochaines élections générales. Ce montant varie d’une circonscri­ption à l’autre, mais il oscille grosso modo entre 25 000 $ et 55 000 $, en fonction du nombre d’élec‐ teurs.

Le chef du Parti conserva‐ teur du Québec, Éric Du‐ haime, tente depuis des se‐ maines de capitalise­r sur la frustratio­n de certains dépu‐ tés de la CAQ afin qu’ils se joignent à sa formation. Jus‐ qu’ici, toutefois, ses efforts de maraudage n’ont pas porté fruit.

La semaine dernière, Fran‐ çois Legault a défendu l'exis‐ tence de la ligne de parti après la publicatio­n d'un texte dans lequel l'ex-députée caquiste Émilie Foster s'in‐ quiétait de voir les élus d'ar‐ rière-ban réduits au silence complet dans notre démocra‐ tie.

C'est important pour la so‐ lidité du parti et c'est comme ça dans tous les partis, a no‐ tamment répondu M. Legault

lorsqu'interrogé à ce sujet.

Frustrant

S’il n’y a rien de surprenant au fait qu'une ligne de parti soit imposée pour éviter les perception­s d’un manque d’unité au sein du gouverne‐ ment, le politologu­e Philippe Dubois affirme que le poids de cette consigne est lourd à porter, particuliè­rement pour les députés qui n’ont pas de fonction ministérie­lle.

On dit souvent que dans notre système politique, la pire position qu'un député peut occuper, c'est celle de député d'arrière-ban du gou‐ vernement, résume M. Du‐ bois.

On est tenu d'être solidaire de la décision du gouverne‐ ment, mais en même temps, on n'est pas à la table du Conseil des ministres, donc on n'a pas voix au chapitre de la même façon que nos col‐ lègues qui sont ministres, ex‐ plique-t-il.

Ça peut devenir parfois frustrant, notamment lors‐ qu'il y a une distorsion entre les intérêts de notre base électorale [...] et les intérêts ou les décisions du gouverne‐ ment.

Philippe Dubois, profes‐ seur en communicat­ion pu‐ blique et politique à l’ENAP

M. Dubois juge que le dos‐ sier du troisième lien est inté‐ ressant à analyser puisque c’est probableme­nt la pre‐ mière crise de fond au sein du caucus caquiste au moment où le deuxième mandat de François Legault commence à peine.

Les conséquenc­es de cette saga restent difficiles à mesu‐ rer à ce stade-ci, dit M. Du‐ bois, qui rappelle au passage que si M. Legault a pris le blâme, ce sont les députés qui en subissent les consé‐ quences quotidienn­ement sur le terrain.

C'est politiquem­ent inté‐ ressant à suivre [mais] proba‐ blement moins à gérer du cô‐ té des stratèges, affirme le po‐ litologue.

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