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Meurtre dans un salon de massage à Toronto : les incels sont-ils des terroriste­s?

- Jean-Philippe Nadeau

À Toronto, l'auteur de la tuerie dans un salon de massage en 2020 était de retour devant les tribu‐ naux, mardi, pour la suite de son audience sur la dé‐ terminatio­n de la peine. L'individu de 20 ans ne peut être nommé que par ses initiales O. S., parce qu'il était mineur au moment des faits qu'il a avoués en plaidant coupable.

O. S., qui avait 17 ans à l'époque, est entré dans la salle d'audience les menottes aux poignets vêtu de sa tenue de prisonnier de couleur bourgogne. Ses cheveux et sa barbe avaient allongé depuis sa dernière comparutio­n il y a neuf mois.

Il est aujourd'hui adulte et il a plaidé coupable, en sep‐ tembre, de deux accusation­s de meurtre et de tentative de meurtre.

À l'époque, le 24 fé‐ vrier 2020, la police de Toron‐ to avait répondu à un appel au 911 concernant une at‐ taque au couteau au salon de massage Spa Crown.

En arrivant sur les lieux, elle avait trouvé la victime de 24 ans, Ashley Noell Arzaga. Un homme et une femme, présents au salon, avaient survécu à l'attaque. La femme avait été gravement blessée.

À l'époque, la police avait qualifié l'attaque dans l'éta‐ blissement de mouvement extrémiste violent à motiva‐ tion idéologiqu­e. O. S. ne fait toutefois face à aucune accu‐ sation liée au terrorisme.

Problème de terminolo‐ gie

L'article 83.2 du Code cri‐ minel est au centre des plai‐ doiries.

Les procureure­s fédérales de la Couronne avancent qu'O. S. est un membre des incels (involuntar­y celibate en anglais), ces hommes absti‐ nents malgré eux qui s'en prennent aux femmes à cause de leurs frustratio­ns sexuelles.

Attention : la lecture de ce texte pourrait choquer cer‐ tains lecteurs.

La procureure Lisa Ma‐ thews souligne que le terro‐ risme est une idéologie qui cherche à créer la crainte dans le public et à intimider des groupes de la société, comme des femmes dans ce cas-ci.

La mouvance des incels est un système de croyances et d'idées violentes, hai‐ neuses et misogynes, dit-elle.

Elle soutient que le meur‐ trier répond en ce sens à la définition d'un terroriste au sens du Code criminel. Il se voyait comme un fantassin qui avait épousé l'idéologie des incels, poursuit-elle.

Me Mathews rappelle la déclaratio­n commune des faits et la reconnaiss­ance de culpabilit­é de l'accusé.

O. S. avait dit aux policiers qu'il était heureux d'avoir tué l'une des victimes. Une note avait en outre été trouvée dans son manteau sur la‐ quelle on pouvait lire que la rébellion des incels a com‐ mencé.

Article 83.2 du Code cri‐ minel

Est coupable d’un acte cri‐ minel passible d’un empri‐ sonnement à perpétuité qui‐ conque commet un acte cri‐ minel prévu par la présente loi ou par une autre loi fédé‐ rale au profit ou sous la di‐ rection d’un groupe terro‐ riste, ou en associatio­n avec lui.

Elle accuse le meurtrier d'avoir voulu créer un pays d'incels dans lequel les prosti‐ tuées n'existent plus et de rappeler au monde que les in‐ cels sont injustemen­t traités par la société.

Son geste était un appel aux armes pour punir les femmes et les hommes, parce qu'il haïssait les féministes, déclare-t-elle.

La procureure Mathews ré‐ pète que le meurtrier portait en outre un long imper‐ méable noir comme dans le film The Matrix et qu'il avait un poignard long de 17 pouces sur lequel était gra‐ vé les mots chasseur de putes.

Il voulait par ailleurs se faire tuer sur place par la po‐ lice, ce qui est conforme à la volonté des incels de mourir en martyres, signale-t-elle à la cour.

Elle cite également la survi‐ vante de l'attaque, qui avait dit à la police que le meurtrier criait à tue-tête : Vous allez tous périr, sales putes en en‐ trant dans le salon de mas‐ sage.

Plaidoyer de la défense

L'avocat de la défense, Maurice Mattis, affirme au contraire que son client n'est pas un terroriste, que la mou‐ vance Incel n'est pas une idéologie et que la conduite de son client n'avait pas pour but d'intimider le public, en‐ core moins les femmes.

Il explique que le groupe des incels n'est ni organisé, ni structuré, ni hiérarchis­é comme les groupes terro‐ ristes. Son client n'est pas non plus un loup solitaire au sens du Code criminel.

Le législateu­r a omis de clairement définir dans la loi ce qu'est un terroriste et un loup solitaire, dit-il. Il précise qu'il revient au juge de fixer la limite entre un terroriste et un meurtrier.

Me Mattis rappelle d'ailleurs à ce titre qu'Alexandre Bissonnett­e et Alek Minassian n'ont jamais été inculpés pour des accusa‐ tions de nature terroriste par le ministre de la Justice du Québec ou le Procureur géné‐ ral de l'Ontario à l'époque de la tuerie de la mosquée de Québec en 2017 et du carnage de la rue Yonge à Toronto en 2018.

La Couronne avait plus tôt fait valoir qu'O. S. était inspiré des crimes de Minassian ou d'Elliot Rodger lorsqu'il est en‐ tré dans le salon du 3938 de la rue Dufferin, parce qu'il les compare à des héros et à des saints.

Me Mattis assimile plutôt le geste de son client à un acte meurtrier gratuit commis au hasard dans un salon de massage. Il n'est pas un terro‐ riste au sens politique ou idéologiqu­e du terme, pour‐ suit-il.

Il explique qu'il n'existe au‐ cune similarité entre le crime d'O. S. et le complot de terro‐ ristes qui s'attaquerai­ent à un avion ou à un train.

L'avocat cite d'ailleurs à titre de comparaiso­n l'atten‐ tat manqué contre un train de VIA Rail en 2012 en Ontario et dont les auteurs ont été ju‐ gés et condamnés comme des terroriste­s.

Me Mattis souligne enfin que l'expert de la Couronne sur l'incel qui a témoigné l'au‐ tomne dernier n'est pas quali‐ fié en la matière.

À ce sujet, la Couronne soutient au contraire que son expert a étudié le mouve‐ ment Incel durant neuf ans et que son curriculum vitae en fait foi.

Ajournemen­t des plai‐ doiries

Le juge Suhail Akhtar, de la Cour supérieure de l'Ontario, a mis la cause en délibéré jus‐ qu'au 12 juin, date de la se‐ conde partie de l'audience portant sur les observatio­ns sur la peine.

Il pourrait néanmoins re‐ mettre par écrit sa décision en privé aux deux parties d'ici là, mais sans ses raisons, qui se‐ ront données à une date ulté‐ rieure.

Si le magistrat juge qu'O. S. est un terroriste, il s'agira d'une victoire pour la Cou‐ ronne, puisqu'aucun individu n'a été condamné au pays en tant que membre des incels.

La notion de terrorisme ne s'est appliquée jusqu'ici qu'à des idéologies religieuse­s au Canada.

Si le juge statue au contraire que le meurtrier n'est pas un terroriste, le dos‐ sier sera alors remis aux pro‐ cureurs de la province, qui ont déjà fait savoir qu'ils al‐ laient réclamer une peine pour adulte.

L'audience portera sur la possibilit­é dans cette cause d'infliger une peine pour adulte à un adolescent. On s'attend à ce que la défense du meurtrier s'y oppose.

En tant que mineur, le jeune O. S. risque une peine maximale de 10 ans de prison, contre une peine à perpétuité s'il est condamné comme adulte.

La perpétuité est aussi la peine maximale pour une ac‐ cusation de terrorisme au Ca‐ nada.

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