Commission Rouleau : le sénateur Carignan porte plainte pour des entorses au français
Le sénateur Claude Cari‐ gnan a formulé une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles du Canada, la semaine der‐ nière, après avoir constaté plusieurs entorses au fran‐ çais de la part de la Com‐ mission sur l’état d’ur‐ gence.
Plus de trois mois après que Paul Rouleau a déposé le rapport de l’Enquête publique sur l’état d’urgence déclaré en 2022, celle-ci continue de faire parler.
En cause, des délais de tra‐ duction des témoignages en français jugés déraisonnables et l’absence de traduction française de plusieurs docu‐ ments clés fournis par le gou‐ vernement pour justifier sa décision de recourir à Loi sur les mesures d'urgence pour mettre fin aux convois des ca‐ mionneurs.
Et ce, malgré les près de 324 000 dollars consacrés à la traduction sur le budget total de 21,6 millions de dollars ap‐ prouvé pour la Commission sur l’état d’urgence pour l’an‐ née financière 2022-2023.
Membre du Comité mixte spécial sur la déclaration de si‐ tuation de crise, le sénateur conservateur Claude Carignan estime que ces problèmes lin‐ guistiques ont affecté sa capa‐ cité et celle de son équipe à bien faire leur travail, en plus de brimer leurs droits.
C'est plusieurs journées d'audience, plusieurs docu‐ ments rédigés en anglais seulement…. Ce n'est pas tout le monde qui est bilingue et on a le droit de travailler dans la langue de notre choix. Moi, c'est le français, mon équipe, c'est le français, et j'ai des em‐ ployés qui n’ont pas nécessai‐ rement le même niveau de bi‐ linguisme. Il y a des nuances, c'est quand même des textes juridiques dans certaines si‐ tuations, des témoignages… On veut voir les contradic‐ tions. Alors c'est important d'avoir le même sens des mots en anglais et en français, et qu’on n'est pas à perdre ces subtilités de la langue, fustiget-il.
On est des francophones. On n'a pas à faire de compro‐ mis sur notre langue lors‐ qu’on travaille pour une insti‐ tution fédérale, et particuliè‐ rement à Ottawa.
Claude Carignan, sénateur conservateur du Québec
Le sénateur déplore égale‐ ment l’absence de traduction en anglais des témoignages faits en français devant la Commission, ce qui réduit la portée de ceux-ci, dit-il.
Les anglophones ne peuvent pas en prendre connaissance, donc le franco‐ phone est désavantagé dans la portée de son message du fait qu'il a parlé en français plutôt qu'en anglais. Et ça ex‐ plique peut-être pourquoi Jus‐ tin Trudeau a témoigné presque exclusivement en an‐ glais lors de la Commission Rouleau. On lui a reproché, mais clairement, la technique à la Commission Rouleau - en tout cas si tu voulais avoir le plus grand impact possible [c’était de parler] en anglais.
M. Carignan espère que sa démarche fera bouger les choses, aussi bien au niveau de la Commission Rouleau que de possibles futures com‐ missions.
Je m'attends à ce que le commissaire [aux langues of‐ ficielles] accueille la plainte, fasse enquête et fasse des re‐ commandations pour le futur, pour éviter que ça ne se re‐ produise. Et j'espère que la Commission [Rouleau] pourra corriger et faire en sorte que les documents [et] [...] les té‐ moignages [...] pourront être traduits en anglais ou en fran‐ çais, selon le cas, pour qu'ils demeurent dans les archives.
Un problème récurrent
Le sénateur conservateur, qui siège à la Chambre haute depuis 14 ans, juge que le pro‐ blème soulevé n’est pas nou‐ veau.
C'est tout le temps compli‐ qué de pouvoir travailler en français à Ottawa. Ce n'est pas la première fois que ça ar‐ rive. [...] Ça arrive dans des rencontres avec les ministres, ça arrive à plusieurs étapes à Ottawa… C'est une question de culture. Il faut que la culture change. Et c'est impor‐ tant de revendiquer pour que ça change.
Il y a trop souvent des évé‐ nements, particulièrement à Ottawa, où la langue française est désavantagée par rapport à l'anglais.
Claude Carignan, sénateur conservateur du Québec
La plainte du sénateur n’est pas la première concer‐
nant la Commission sur l’état d’urgence.
Questionné par Radio-Ca‐ nada, le Commissariat aux langues officielles a indiqué avoir reçu deux autres plaintes, il y a quelques mois, au sujet de l’absence de fran‐ çais aux audiences, ce que le premier ministre Justin Tru‐ deau avait lui-même admis.
Radio-Canada a tenté de joindre l’équipe de la Commis‐ sion sur l’état d’urgence, mais son travail étant terminé, celle-ci n’a pas répondu à une demande d’entrevue.
Du côté du gouvernement, aucun des ministres concer‐ nés - que ce soit ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, le ministre de la
Protection civile et président du Conseil privé, Bill Blair, la ministre des Langues offi‐ cielles, Ginette Petitpas Taylor ou le bureau du premier mi‐ nistre - n’a répondu aux de‐ mandes de Radio-Canada au moment de publier ce texte.
Le commissaire mènerat-il une enquête?
Reste à savoir si le com‐ missaire enquêtera bel et bien sur la plainte du sénateur Ca‐ rignan.
Bien que jugées rece‐ vables, les deux premières re‐ çues concernant la Commis‐ sion Rouleau sont restées lettre morte, a indiqué le com‐ missaire Raymond Théberge dans un échange de courriels.
Puisque la Commission prenait fin en février 2023, il ne m’était pas possible de me‐ ner une enquête en bonne et due forme avant sa dissolu‐ tion. En effet, selon la Loi, je dois être en mesure de com‐ muniquer mes rapports et mes conclusions, et de don‐ ner un droit de réponse aux parties, ce qui n’était pas pos‐ sible dans ce cas-ci. La fin de la commission faisait en sorte que celle-ci ne constituait plus une institution fédérale au sens de la Loi, a-t-il expliqué.
Le commissaire aux langues officielles dit toute‐ fois avoir écrit à la greffière du Conseil privé et secrétaire du Cabinet, Janice Charette, le 9 février, afin de lui rappeler l’importance que les pro‐ chaines commissions in‐ tègrent davantage la dualité linguistique du pays dans leurs communications.
Cette lettre a aussi été adressée à la ministre Petit‐ pas Taylor et au ministre Men‐ dicino, a précisé M. Théberge.
Il faut se rappeler que la Loi sur les langues officielles permet aux gens de traiter avec le gouvernement fédéral en français ou en anglais là où la Loi l’exige, à l’échelle du pays.
Raymond Théberge, com‐ missaire aux langues offi‐ cielles du Canada
La plainte de M. Carignan soulève toutefois de nou‐ veaux éléments, a ajouté le Commissariat. Une analyse est en cours afin d’en déter‐ miner la recevabilité.
De son côté, le sénateur n’envisage en aucun cas que sa requête ne fasse pas l’objet d’un suivi.
Ça serait une déception, mais j'aurais sûrement une conversation assez vigou‐ reuse à cet effet là, parce que ce n'est pas le genre d'excuses que je vais accepter pour pas‐ ser outre à des manquements de cette nature-là, promet-il. C'est le Bureau du Conseil pri‐ vé, c'est le premier ministre Justin Trudeau, qui a créé cette commission, qui l'a nommée, donc il devait lui donner tous les outils et s'as‐ surer qu'elle respecte la Loi sur les langues officielles. [...] Ultimement, je pense que le gouvernement devra ré‐ pondre.
Avec les informations de Daniel Leblanc