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Horaires variables et travail déprimant, difficile pour le secteur funéraire de recruter

- Frédéric Cammarano

Il est 1 h 30 du matin et le téléphone de Léonce Du‐ puis sonne. Ce sont des po‐ liciers qui demandent au directeur de funéraille­s de la Maison funéraire Dupuis à Memramcook de s’occu‐ per du corps d’une per‐ sonne décédée.

Je savais que c’était un em‐ baumement, puis un cercueil. Je suis venu [à la maison funé‐ raire]. Je suis sorti d’ici à 5 h du matin , raconte celui qui compte presque 50 ans d’ex‐ périence dans le domaine.

Toujours passionné par son travail, l’homme de 74 ans se passerait néanmoins de ces appels au milieu de la nuit. Mais, ces derniers mois, il a dû être de garde environ une fin de semaine sur deux, même s’il a entamé une retraite par‐ tielle il y a une dizaine d’an‐ nées. Son fils est maintenant à la tête de l’entreprise fami‐ liale qui a perdu en août le seul employé capable de rem‐ placer le directeur. Et, depuis, l’entreprise n’a pas pu trouver de remplaçant.

430 postes au pays

Au pays, bien d’autres mai‐ sons funéraires se retrouvent dans une situation semblable, à un tel point que les ren‐ contres entre les associatio­ns provincial­es comprennen­t souvent des discussion­s sur le recrutemen­t.

Le 9 mai, on a eu une ren‐ contre avec toutes les diffé‐ rentes associatio­ns provin‐ ciales au Canada et, puis, lors de cette rencontre-là, c’était le sujet numéro un, explique Si‐ mon Dubé, directeur pour la région centrale au conseil d’administra­tion de l’Associa‐ tion des services funéraires du Canada.

À la fin de 2022, 430 postes au pays étaient vacants, ce qui comprend les maisons fu‐ néraires, les cimetières et les crématoriu­ms selon Statis‐ tique Canada. Avant la pandé‐ mie de COVID-19, le recrute‐ ment n’était pas plus facile se‐ lon l’associatio­n. Mais, le nombre de postes vacants a rarement dépassé la barre des 300 au pays entre 2015 et 2020. Depuis la pandémie, c’est devenu la norme, attei‐ gnant même un sommet de 995 postes vacants au troi‐ sième trimestre de 2022.

C’est pas une job de 8 à 5

Léonce Dupuis a commen‐ cé à travailler profession­nelle‐ ment dans ce domaine en 1974, parce qu’il l’a fait un peu toute sa vie.

C’est son père qui avait ou‐ vert la Maison funéraire Du‐ puis et enfant, il restait près du téléphone à ligne fixe lorsque son père sortait la fin de semaine. Et, lorsqu’il rece‐ vait un appel, il appelait les commerces de la région pour tenter de joindre son père.

C’est pas une job de 8 à 5 , résume-t-il.

C’est d’ailleurs selon lui l’un de deux aspects qui com‐ plique le recrutemen­t, l’autre étant la nature même du tra‐ vail.

Léonce Dupuis se souvient d’une époque où il se char‐ geait des évaluation­s finales pour devenir embaumeur.

Il dit avoir vu plusieurs jeunes talentueux et il pensait qu’ils allaient mener une longue carrière dans le do‐ maine.

Deux, trois mois après ça, je voyais le directeur. "Com‐ ment que ton gars s’arrange? Il est pu avec moi. Il a laissé. Il voulait plus le faire", racontet-il en ajoutant que, souvent, c’est l’absence d’horaire qui était en cause.

Un travail parfois dépri‐ mant

L’autre élément qui com‐ plique le recrutemen­t, c’est la nature même du travail.

À l’école secondaire, on dit pas qu’on veut devenir direc‐ teur de funéraille­s ou tra‐ vailler dans une maison funé‐ raire à moins qu’on a vécu une expérience et qu’on a vu comment que le directeur de funéraille­s a fait une diffé‐ rence, explique, pour sa part, Simon Dubé de l’Associatio­n des services funéraires du Ca‐ nada.

L’associatio­n a lancé une campagne depuis quelques années pour tenter plutôt d’attirer les anciens combat‐ tants, qui possèdent des com‐ pétences semblables selon lui.

Léonce Dupuis reconnaît que c’est de l’ouvrage dépri‐ mant, mais il assure qu’il est aussi possible d’en tirer une certaine satisfacti­on, ce qui lui fait apprécier son métier.

Par exemple, il explique que c’est lui qui s’est chargé des funéraille­s d’état réser‐ vées à l’ex-gouverneur général Roméo LeBlanc en 2009.

Ce jour-là, je suis venu creuser ici , dit-il en pointant la pierre tombale du natif de Memramcook dans le cime‐ tière de l’église Saint-Thomas. C’est un honneur. Qui est-ce qui aurait pensé que nous autres à Memramcook, un pe‐ tit salon, aurait fait la funé‐ raille à Roméo.

Il se souvient aussi d’avoir reçu une lettre d’une femme du Québec venue à la Maison funéraire Dupuis pour rendre hommage à un proche il y a plusieurs années.

Elle dit : "j’aurais jamais cru que j’aurais vu l’image d’un di‐ recteur de funéraille­s." [...] Elle dit : "j'ai le plus beau souvenir de toi. Quand tu parlais avec nous autres, tu riais, tu étais pas sérieux", raconte-t-il.

Léonce Dupuis espère au‐ jourd’hui que plusieurs autres perçoivent ainsi les directeurs de funéraille­s et que certains choisiront comme lui d’en faire leur gagne-pain.

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