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Les catastroph­es naturelles placent les assureurs sous pression

- Jean-François Thériault

Verglas, inondation­s et maintenant feux de forêt : les événements météo ex‐ trêmes s'enchaînent à une vitesse étourdissa­nte ces derniers mois. Chaque fois, ce sont des maisons, des quartiers, voire des com‐ munautés entières qu’il faut rebâtir. Et c’est bien souvent aux compagnies d’assurance de payer la note.

Et cette note est de plus en plus salée. Il y a une tren‐ taine d'années, la moyenne au niveau canadien pour les pertes assurées liées aux ca‐ tastrophes naturelles était de quelques centaines de mil‐ lions de dollars, selon Pierre Babinsky, directeur des com‐ munication­s et des affaires publiques pour le Bureau d'assurance du Canada (BAC), qui collige des statistiqu­es à ce sujet. On a dépassé le mil‐ liard au tournant des an‐ nées 2000. Depuis une dizaine d'années, la moyenne est d'environ 2 milliards par an‐ née.

Si on regarde 2022, qui a été l'une des années les plus coûteuses dans l'histoire ca‐ nadienne en termes de catas‐ trophes naturelles, on était à 3,2 milliards de dollars, ajoute M. Babinsky.

C'est une tendance à la hausse, et on ne croit pas qu'elle va se stabiliser. Plutôt, elle va continuer d'augmen‐ ter.

Pierre Babinsky, directeur des communicat­ions et des affaires publiques pour le Bu‐ reau d'assurance du Canada

Premiers au banc des ac‐ cusés : les changement­s cli‐ matiques, qui augmentent la fréquence mais aussi la vi‐ gueur des événements météo extrêmes.

C'est un énorme cassetête pour les compagnies d'assurance, soutient Martin Boyer, professeur de finances à HEC Montréal. Le plus grand défi, c'est qu'elles ne savent pas quels seront les impacts des changement­s climatique­s sur les catastroph­es qui vont frapper le Canada, les ÉtatsUnis ou l'Europe. C'est un pro‐ blème d'incertitud­e scienti‐ fique.

Sortir des marchés à risque?

Mais voilà que certains as‐ sureurs en ont assez. C'est le cas du géant de l’assurance aux États-Unis State Farm, qui a pris la décision cette se‐ maine de cesser de vendre de nouvelles polices d'assurance en Californie.

Les catastroph­es natu‐ relles répétées arrivent en

tête des raisons citées par l'entreprise pour justifier cette décision. Les pertes causées entre autres par les feux de forêt qui ravagent le territoire de l'État année après année auront eu le dessus sur les profits potentiels de la com‐ pagnie.

L'année dernière seule‐ ment, la Californie a recensé tout près de 7500 brasiers, qui ont emporté avec eux des centaines de milliers d'hec‐ tares de territoire et tué neuf personnes.

Une décision qui a de quoi surprendre, State Farm étant le principal joueur du marché de cet État, où il assure plus d’une propriété sur cinq. Mais une décision nécessaire, selon l'assureur, pour protéger le bien être financier de l'entre‐ prise.

Des pans du territoire ca‐ nadien pourraient-ils être dé‐ sertés par des compagnies d'assurance? Ce serait contre nature, assure Pierre Babins‐ ky. Il prévient toutefois que les clients dans des zones ju‐ gées à risque doivent s'at‐ tendre à payer plus cher leur police d'assurance, notam‐ ment parce que les compa‐ gnies cherchent à protéger leur rentabilit­é, ajoute M. Ba‐ binsky.

Martin Boyer fait une mise en garde contre les comparai‐ sons rapides. Le cas de la Cali‐ fornie est bien différent, sou‐ tient le professeur. On se re‐ trouve dans un moment où le nombre de feux augmente, mais la densité de population continue elle aussi d'augmen‐ ter... et la valeur des proprié‐ tés construite­s dans des zones à risque augmente aus‐ si!

Les compagnies d'assu‐ rance se disent : "Il y a peutêtre un risque ici que je ne comprends pas. Et comme je ne le comprends pas, je ne peux pas le tarifer, et si je ne peux pas le tarifer, je préfère sortir du marché."

Martin Boyer, professeur en finances à HEC Montréal

La dynamique au Canada est complèteme­nt différente, avance M. Boyer. Oui, il y a une recrudesce­nce des pertes liées aux catastroph­es natu‐ relles, mais pas de manière as‐ sez grande et assez systé‐ mique pour qu'un grand as‐ sureur décide de quitter une province dans son ensemble.

Un cadre pour protéger les assurés

Si un assureur comme State Farm choisit de se reti‐ rer d'un marché, c'est qu'il est habité par une crainte : celle que les réclamatio­ns s'accu‐ mulent à une telle vitesse que l'entreprise ne soit plus en mesure d'honorer ses obliga‐ tions auprès des assurés, et d'être ainsi poussée vers une faillite inévitable.

Ce scénario s'est entre autres produit en Floride et en Louisiane après le passage de tempêtes dévastatri­ces. La pression était alors telle sur les assureurs que ce sont leurs assurés ou les gouverne‐ ments qui, en fin de compte, ont dû payer la note.

Le Canada est bien proté‐ gé contre ce type de scénario, avance Pierre Babinsky. L'in‐ dustrie de l'assurance est as‐ sujettie à un encadremen­t ré‐ glementair­e et législatif très très sophistiqu­é, dit-il. Les as‐ sureurs doivent entre autres maintenir des réserves dans le but de remplir leurs obliga‐ tions en termes de règlement de sinistre.

L'un des rôles des autori‐ tés des marchés financiers des provinces et du surinten‐ dant des institutio­ns finan‐ cières à Ottawa, c'est d'assu‐ rer les assurés, ajoute Martin Boyer.

Oui, ça peut arriver que les compagnies d'assurance dis‐ paraissent, nuance-t-il.

Est-ce que ça va nous tou‐ cher comme assuré? La pro‐ babilité est extrêmemen­t faible. Mais ça vaut quand même la peine de s'assurer avec une compagnie qui a les reins solides plutôt qu'avec la compagnie qui vient tout juste d'être créée par notre beau-frère.

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