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La boutique aaniin, un carrefour pour les entreprene­urs autochtone­s

- Philippe de Montigny

En plein coeur du centrevill­e de Toronto, la bou‐ tique aaniin offre une vi‐ trine dédiée aux artistes et aux entreprene­urs autoch‐ tones de partout au pays. Un modèle d'affaires qui fonctionne déjà très bien dans d'autres communau‐ tés culturelle­s.

Situé dans le marché Stackt, à l’angle des rues Ba‐ thurst et Front, ce petit maga‐ sin en a pour tous les goûts : des vêtements, des bijoux, du maquillage et une panoplie de produits artisanaux.

La fondatrice Chelsee Pet‐ tit, elle-même d’origine anishi‐ naabe du sud-ouest de l’Onta‐ rio, espère que toutes ces marques alimentero­nt des conversati­ons dans un contexte de réconcilia­tion. Le nom de son commerce signi‐ fie bonjour dans la langue de ses ancêtres, l'anishinaab­e‐ mowin.

Ça permet aux clients de soutenir une trentaine d’en‐ trepreneur­s et d’apprécier leurs cultures.

Chelsee Pettit, fondatrice de la boutique aaniin

Nous avons même placé des codes QR sur chacun de nos morceaux, affirme l’entre‐ preneure de 28 ans. En quelques clics sur un télé‐ phone intelligen­t, les consom‐ mateurs peuvent en ap‐ prendre davantage sur les ar‐ tisans et leurs créations.

Elle aimerait voir des styles autochtone­s de plus en plus répandus dans la société de tous les jours. Il ne s’agit pas ici d’appropriat­ion culturelle, selon Chelsee Pettit, puisque les produits ont été conçus de manière accessible et les pro‐ fits reviennent à des entrepre‐ neurs autochtone­s.

Séduites par le concept, les cofondatri­ces de l’entreprise gatinoise Mini Tipi ont embar‐ qué dans l’initiative. Trisha Pi‐ tura, originaire de la Première Nation de Nippissing, et Méla‐ nie Bernard, une allochtone québécoise, estiment qu’il s’agit d’une bonne affaire.

J'aimais que tout soit sous le même toit, donc ça peut très certaineme­nt faire mous‐ ser les ventes, soutient Méla‐ nie Bernard. Plus on est d'en‐ treprises à dénominati­on au‐ tochtone, plus notre voix s'élève et plus on est remar‐ qué.

L’équipe de Mini Tipi a ex‐ pédié des dizaines de couver‐ tures et de châles pour l’ou‐ verture officielle de la bou‐ tique torontoise, samedi pro‐ chain.

Un collectif d’artisans autochtone­s

Lesley Hampton, une étoile montante de la mode canadienne, abonde dans le même sens. Originaire de la Première Nation de Temaga‐ mi, elle se dit fière de partici‐ per à un collectif d’entrepre‐ neurs autochtone­s.

Raconter des histoires, ça fait partie de notre ADN. Nous pouvons vraiment nous voir grandir et nous soutenir les uns les autres, dit-elle.

L’artiste estime que cette collaborat­ion profite à l'en‐ semble des artisans, permet‐ tant de nourrir la créativité et d’accroître leur visibilité.

Ce genre de synergies per‐ mettent aux entreprene­urs de communauté­s marginali‐ sées de surmonter certains obstacles systémique­s, sou‐ ligne Éthel Côté, spécialist­e de l’économie sociale et profes‐ seure agrégée à l’Université de l’Ontario français, à Toronto.

Les entreprise­s collective­s permettent de mettre à profit les compétence­s de leurs membres, d'élargir leurs ré‐ seaux et de percer de nou‐ veaux marchés, explique-telle. Ce modèle d’affaires est très populaire auprès des en‐ trepreneur­s noirs, des femmes d’affaires et de la communauté LGBTQ+.

Il y a des groupes margina‐ lisés, qui n’ont pas accès au marché ni au financemen­t, qui se sont organisés et là on voit les retombées.

Éthel Côté, professeur d’économie, Université de l’Ontario français

Il existe déjà plus de 60 000 entreprise­s dirigées par des Autochtone­s au pays. Cette population contribue annuelleme­nt près de 50 mil‐ liards de dollars à l'économie canadienne, selon une ré‐ cente étude de Statistiqu­e Ca‐ nada.

Multiplier les points de vente

Chelsee Pettit a lancé son entreprise il y a deux ans, d’abord comme une boutique en ligne. Elle s’était donné comme mission de faire rayonner des marques au‐ tochtones. C’est en partici‐ pant ensuite à diverses expo‐ sitions et en ouvrant un ma‐ gasin éphémère dans la Ville Reine que ses ventes se sont envolées.

Notre croissance a été très rapide , lance la fondatrice, qui a tenté de louer un espace dans le nouveau complexe The Well, au centre-ville de To‐ ronto.

On nous offrait seulement un bail d’un an et je n’avais pas le capital à investir pour personnali­ser cette vitrine pour une si courte période , explique-t-elle. Parmi les loca‐ taires qui s’installero­nt à The Well, il y a le quotidien To‐ ronto Star, le restaurant Oli‐ ver & Bonacini et la salle de sport haut de gamme Sweat and Tonic.

Dans les grandes bâtisses, ils veulent que ce soit beau‐ coup de pieds carrés. Si vous n’êtes pas assez gros, si vous n'avez pas une variété de pro‐ duits, si vous ne pouvez pas même diminuer vos coûts pour être plus concurrent­iels, oubliez ça, affirme la profes‐ seure d’économie Éthel Côté.

Les artisans, ils ne vont pas se saigner là, ils ne vont pas vendre à perte, ajoute-telle.

Ce sont des défis que Tri‐ sha Pitura connaît trop bien. Les entreprene­urs autoch‐ tones font face à d’impor‐ tantes difficulté­s lorsqu’ils cherchent des ressources, des partenaire­s financiers, des personnes qui vont les aider à réaliser leurs rêves, lance la femme d’affaires.

L'ambitieuse fondatrice de la boutique aaniin rêve déjà d’une expansion. Chelsee Pet‐ tit, qui a travaillé pendant une décennie chez différents dé‐ taillants, souhaite ouvrir cinq magasins d’un bout à l’autre du pays au cours des cinq prochaines années.

Sans trop vouloir s’avan‐ cer, elle dit vouloir fonder une deuxième boutique phare à Vancouver et une autre suc‐ cursale à London, en Ontario, près de la communauté où elle a grandi.

Je veux trouver des inves‐ tisseurs autochtone­s, qui comprennen­t bien ma vision. Je suis convaincue que ça va se concrétise­r, dit-elle.

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