La boutique aaniin, un carrefour pour les entrepreneurs autochtones
En plein coeur du centreville de Toronto, la bou‐ tique aaniin offre une vi‐ trine dédiée aux artistes et aux entrepreneurs autoch‐ tones de partout au pays. Un modèle d'affaires qui fonctionne déjà très bien dans d'autres communau‐ tés culturelles.
Situé dans le marché Stackt, à l’angle des rues Ba‐ thurst et Front, ce petit maga‐ sin en a pour tous les goûts : des vêtements, des bijoux, du maquillage et une panoplie de produits artisanaux.
La fondatrice Chelsee Pet‐ tit, elle-même d’origine anishi‐ naabe du sud-ouest de l’Onta‐ rio, espère que toutes ces marques alimenteront des conversations dans un contexte de réconciliation. Le nom de son commerce signi‐ fie bonjour dans la langue de ses ancêtres, l'anishinaabe‐ mowin.
Ça permet aux clients de soutenir une trentaine d’en‐ trepreneurs et d’apprécier leurs cultures.
Chelsee Pettit, fondatrice de la boutique aaniin
Nous avons même placé des codes QR sur chacun de nos morceaux, affirme l’entre‐ preneure de 28 ans. En quelques clics sur un télé‐ phone intelligent, les consom‐ mateurs peuvent en ap‐ prendre davantage sur les ar‐ tisans et leurs créations.
Elle aimerait voir des styles autochtones de plus en plus répandus dans la société de tous les jours. Il ne s’agit pas ici d’appropriation culturelle, selon Chelsee Pettit, puisque les produits ont été conçus de manière accessible et les pro‐ fits reviennent à des entrepre‐ neurs autochtones.
Séduites par le concept, les cofondatrices de l’entreprise gatinoise Mini Tipi ont embar‐ qué dans l’initiative. Trisha Pi‐ tura, originaire de la Première Nation de Nippissing, et Méla‐ nie Bernard, une allochtone québécoise, estiment qu’il s’agit d’une bonne affaire.
J'aimais que tout soit sous le même toit, donc ça peut très certainement faire mous‐ ser les ventes, soutient Méla‐ nie Bernard. Plus on est d'en‐ treprises à dénomination au‐ tochtone, plus notre voix s'élève et plus on est remar‐ qué.
L’équipe de Mini Tipi a ex‐ pédié des dizaines de couver‐ tures et de châles pour l’ou‐ verture officielle de la bou‐ tique torontoise, samedi pro‐ chain.
Un collectif d’artisans autochtones
Lesley Hampton, une étoile montante de la mode canadienne, abonde dans le même sens. Originaire de la Première Nation de Temaga‐ mi, elle se dit fière de partici‐ per à un collectif d’entrepre‐ neurs autochtones.
Raconter des histoires, ça fait partie de notre ADN. Nous pouvons vraiment nous voir grandir et nous soutenir les uns les autres, dit-elle.
L’artiste estime que cette collaboration profite à l'en‐ semble des artisans, permet‐ tant de nourrir la créativité et d’accroître leur visibilité.
Ce genre de synergies per‐ mettent aux entrepreneurs de communautés marginali‐ sées de surmonter certains obstacles systémiques, sou‐ ligne Éthel Côté, spécialiste de l’économie sociale et profes‐ seure agrégée à l’Université de l’Ontario français, à Toronto.
Les entreprises collectives permettent de mettre à profit les compétences de leurs membres, d'élargir leurs ré‐ seaux et de percer de nou‐ veaux marchés, explique-telle. Ce modèle d’affaires est très populaire auprès des en‐ trepreneurs noirs, des femmes d’affaires et de la communauté LGBTQ+.
Il y a des groupes margina‐ lisés, qui n’ont pas accès au marché ni au financement, qui se sont organisés et là on voit les retombées.
Éthel Côté, professeur d’économie, Université de l’Ontario français
Il existe déjà plus de 60 000 entreprises dirigées par des Autochtones au pays. Cette population contribue annuellement près de 50 mil‐ liards de dollars à l'économie canadienne, selon une ré‐ cente étude de Statistique Ca‐ nada.
Multiplier les points de vente
Chelsee Pettit a lancé son entreprise il y a deux ans, d’abord comme une boutique en ligne. Elle s’était donné comme mission de faire rayonner des marques au‐ tochtones. C’est en partici‐ pant ensuite à diverses expo‐ sitions et en ouvrant un ma‐ gasin éphémère dans la Ville Reine que ses ventes se sont envolées.
Notre croissance a été très rapide , lance la fondatrice, qui a tenté de louer un espace dans le nouveau complexe The Well, au centre-ville de To‐ ronto.
On nous offrait seulement un bail d’un an et je n’avais pas le capital à investir pour personnaliser cette vitrine pour une si courte période , explique-t-elle. Parmi les loca‐ taires qui s’installeront à The Well, il y a le quotidien To‐ ronto Star, le restaurant Oli‐ ver & Bonacini et la salle de sport haut de gamme Sweat and Tonic.
Dans les grandes bâtisses, ils veulent que ce soit beau‐ coup de pieds carrés. Si vous n’êtes pas assez gros, si vous n'avez pas une variété de pro‐ duits, si vous ne pouvez pas même diminuer vos coûts pour être plus concurrentiels, oubliez ça, affirme la profes‐ seure d’économie Éthel Côté.
Les artisans, ils ne vont pas se saigner là, ils ne vont pas vendre à perte, ajoute-telle.
Ce sont des défis que Tri‐ sha Pitura connaît trop bien. Les entrepreneurs autoch‐ tones font face à d’impor‐ tantes difficultés lorsqu’ils cherchent des ressources, des partenaires financiers, des personnes qui vont les aider à réaliser leurs rêves, lance la femme d’affaires.
L'ambitieuse fondatrice de la boutique aaniin rêve déjà d’une expansion. Chelsee Pet‐ tit, qui a travaillé pendant une décennie chez différents dé‐ taillants, souhaite ouvrir cinq magasins d’un bout à l’autre du pays au cours des cinq prochaines années.
Sans trop vouloir s’avan‐ cer, elle dit vouloir fonder une deuxième boutique phare à Vancouver et une autre suc‐ cursale à London, en Ontario, près de la communauté où elle a grandi.
Je veux trouver des inves‐ tisseurs autochtones, qui comprennent bien ma vision. Je suis convaincue que ça va se concrétiser, dit-elle.