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Feux de forêt : Pessamit accueille « ses frères et soeurs » de Mani-utenam

- Delphine Jung

La petite Jasmine devait fê‐ ter son anniversai­re avec ses amis, entourée de ca‐ deaux. Mais la nature en a décidé autrement.

Les feux de forêt qui font rage à quelques kilomètres à peine de la communauté in‐ nue de Mani-utenam (la com‐ munauté de Uashat mak Ma‐ ni-utenam étant divisée en deux, de part et d’autre de Sept-Îles, seul le côté le plus à l’est, Mani-utenam, a dû être évacué, NDLR) ont forcé le conseil de bande à ordonner l’évacuation de quelque 300 personnes.

Jasmine a donc fêté ses 10 ans dans la salle commu‐ nautaire de Pessamit, qui a ouvert ses portes à ses frères et soeurs de la Côte-Nord.

Dans la grande salle, des ballons bonne fête volent en‐ core en fin d’après-midi. Un gâteau a été partagé, mais les cadeaux sont restés à Maniutenam. Le plus important, c’est qu’elle souffle ses bou‐ gies le jour de sa fête, dit sa mère, Magalie Fontaine.

Comme des centaines d’autres, elle a dû faire ses va‐ lises et fuir. Certains sont arri‐ vés en bus vendredi soir, d’autres ont pris leur propre véhicule. Beaucoup ont trou‐ vé refuge chez des amis ou de la famille. Une autre trentaine dort sur des lits de camp ins‐ tallés dans l’aréna de Pessa‐ mit.

L’organisati­on est bien ro‐ dée. En un temps record, le conseil de bande a pu prévoir cet accueil massif. Des brace‐ lets leur ont été donnés pour être identifiés, des douches sont à dispositio­n, ainsi qu’une buanderie.

On fait aussi des com‐ mandes de nourriture, on fait des courses à Baie-Comeau, et tout est cuisiné sur place, ajoute Christian Rock, agent de communicat­ion.

Une trentaine de béné‐ voles prête aussi main-forte pour le service et l’organisa‐ tion d’activités. Dimanche après-midi, c’était bingo. Les jeunes ont pu faire une sortie en canot, louer du matériel de sport.

On a déjà organisé un grand rassemblem­ent des aî‐ nés et on a accueilli les Jeux autochtone­s… Donc ce n’est pas la première fois qu’on a autant de monde chez nous, poursuit M. Rock.

Le conseil de bande le sen‐ tait venir. Marielle Vachon, la cheffe, raconte que quelques jours avant, toute son équipe était déjà sur le qui-vive, prête à héberger les gens de Maniutenam.

J’avais anticipé leur venue, tout s’organise très bien. Ça se déroule très bien. C’est sûr que ce sont des lits de for‐ tune, mais dans les circons‐ tances, on n’a pas le choix et on le fait avec un grand coeur.

Marielle Vachon, la cheffe du conseil de bande de Pessa‐ mit

Pessamit a été choisie comme destinatio­n pour les évacués pour plusieurs rai‐ sons d’ailleurs. En plus de liens évidents entre les fa‐ milles des deux communau‐ tés, Pessamit dispose de plu‐ sieurs infrastruc­tures qui rend l’accueil possible, ce qui est moins le cas d’une autre com‐ munauté innue plus proche de Uashat mak Mani-utenam, Ekuanitshi­t.

En plus, rappelons que le pont Touzel, à hauteur de Sheldrake, est actuelleme­nt coupé. La Minganie est isolée en ce moment. On voulait aussi que les gens aillent plus vers l’ouest, pour être proches des grands centres comme Québec, indique Djavan Ha‐ bel-Thurton, chargé des com‐ munication­s au conseil de bande de Uashat.

Loin de Mani-utenam, les Innus commencent à prendre place pour profiter d’un repas chaud. Ce soir, c’est fettucine au poulet.

Dans les cuisines, une invi‐ tée que tout le monde re‐ marque s’active à couper du poulet en lanière. Michèle Au‐ dette, la sénatrice originaire de Uashat mak Mani-utenam est venue apporter son sou‐ tien. Charlotte sur la tête, elle explique la solidarité qui existe entre les deux commu‐ nautés.

Il faut dire que sa mère, Evelyne St-Onge, fait partie des habitants de Mani-ute‐ nam. Comme quelques aînés, elle a eu une place au centre de santé. J’étais incapable de rester sur place, de rester im‐ puissante, alors je suis venue de Québec. Je devais trouver ma mère, raconte-t-elle.

Dans la cuisine, la bonne humeur règne. Pourtant, dans les esprits, tous ont la tête à Mani-utenam. Quand on te retire de chez toi, tu te sens un peu ébranlé, tu vois toute ta famille déracinée, c’est assez déstabilis­ant psy‐ chologique­ment, j’étais à fleur de peau, explique Virginie Mi‐

chel.

Personne ne sait dans quel état ils vont retrouver leur maison. Ça reste matériel, même si ce sont des souve‐ nirs. Mais le plus important, c’est notre sécurité, que nos enfants soient en sécurité, dit de son côté Simon Pilot.

Lui est parti sans oublier sa guitare. Il va dormir dans l’aréna ce soir. Comme Tange‐ rine Malleck et Philippe Rock. Le couple s’installe dans ce qui sera leur chambre pour un temps encore indétermi‐ né.

Ils ont collé leurs lits de camp et s’affairent à créer un endroit le plus douillet pos‐ sible. C’est vraiment confor‐ table finalement. Je suis sur‐ pris par la qualité du matelas, lance en riant Philippe. On a de la bouffe, de l’eau, des ser‐ viettes…, ajoute-t-il.

En montrant son bracelet bleu d’identifica­tion, Tange‐ rine ajoute : je me sens comme au manège !

Ils ne manqueront pas de nourriture , rassure la cheffe

Vachon en montrant un énorme camion réfrigéré qui a été requestion­né pour sto‐ cker des denrées périssable­s.

Les Innus ont cette capaci‐ té incroyable de garder le sou‐ rire, de trouver le positif dans toutes les situations, et de faire preuve d’une résilience impression­nante.

L’élan de solidarité a aussi réchauffé le coeur de beau‐ coup d’Innus de Mani-ute‐ nam. Comme Virginie Michel, venue avec son conjoint, ori‐ ginaire de Pessamit, Pipan Fontaine.

C’est dans ces moments-là qu’on voit la force des Autoch‐ tones. La solidarité. On s’est senti très bien accueilli dès qu’on est arrivé.

Virginie Michel, évacuée Beaucoup de Pessamiul‐ nuat se sentent aussi honorés de pouvoir rendre la pareille à leurs frères et soeurs qui, il y a un peu plus de 30 ans, les avaient alors accueillis lorsque des feux de forêt faisaient rage dans le secteur de Pessa‐ mit.

Il y a beaucoup d’entraide entre les Autochtone­s. Les communauté­s avoisinant­es d’Essipit et Mashteuiat­sh nous ont offert leur aide aus‐ si.

Marielle Vachon, cheffe de Pessamit

Personne ne sait quand ils pourront revenir chez eux. Ni l’état dans lequel ils retrouve‐ ront la maison. Mais la plu‐ part ont choisi de vivre ce grand moment de réunion – forcée – comme une grande réunion de famille. Et demain, on verra.

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