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Le gouverneme­nt Legault accusé de faire une « fausse planificat­ion » de l’immigratio­n

- Alexandre Duval

Au moment où le Québec amorce sa planificat­ion 2024-2027 de l’immigratio­n, le gouverneme­nt Legault est accusé de fournir un portrait incomplet de la si‐ tuation. Des statistiqu­es existent concernant le solde d’immigrants tempo‐ raires dans la province, mais certaines ont été éva‐ cuées des documents qui servent de base à la consul‐ tation publique, a constaté Radio-Canada.

C'est une fausse planifica‐ tion, s’insurge le porte-parole du Parti libéral du Québec (PLQ) en matière d’immigra‐ tion, Monsef Derraji. Selon lui, les citoyens, experts et orga‐ nismes qui se fient aux docu‐ ments gouverneme­ntaux pour préparer leur mémoire n’ont pas l’informatio­n exacte.

Dans le Recueil de statis‐ tiques sur l’immigratio­n au Québec, rendu public le 25 mai dernier par la ministre Christine Fréchette, les immi‐ grants temporaire­s sont ex‐ clus de pratiqueme­nt tous les tableaux et graphiques.

C’est le cas d’un tableau portant sur les migrations in‐ terprovinc­iales et internatio‐ nales au Québec depuis 1975 qui montre, année après an‐ née, l’accroissem­ent de la po‐ pulation lié à l’immigratio­n. Au bas du tableau, une note in‐ dique que ce solde migratoire net ne tient pas compte des immigrants temporaire­s.

Pourtant, ce tableau re‐ prend les données du Bilan démographi­que 2022 de l’Ins‐ titut de la statistiqu­e du Qué‐ bec (ISQ) qui, à l’inverse, inclut dans ses calculs les immi‐ grants temporaire­s, aussi ap‐ pelés résidents non perma‐ nents.

Conséquenc­e : pour l'an‐ née 2019, l'ISQ estime que l'accroissem­ent de la popula‐ tion québécoise lié aux migra‐ tions interprovi­nciales et in‐ ternationa­les était de 95 317 personnes, tandis que le ministère de l'Immigratio­n, de la Francisati­on et de l'Inté‐ gration (MIFI) arrive à un solde presque trois fois moins élevé (32 241).

Les temporaire­s font partie de la population, dit l'ISQ

L'écart est donc majeur. Or, selon l’ISQ, les travailleu­rs étrangers, les demandeurs d’asile et les étudiants étran‐ gers doivent bel et bien être comptabili­sés dans la popula‐ tion générale, puisque leur lieu de résidence habituel se trouve au Québec.

Le solde des résidents non permanents fait partie inté‐ grante des composante­s dé‐ mographiqu­es.

Caroline Guillemett­e, res‐ ponsable des relations mé‐ dias à l'ISQ

Même son de cloche chez Statistiqu­e Canada, qui inclut aussi les immigrants tempo‐ raires dans ses calculs du solde de migration internatio‐ nale.

Statistiqu­e Canada adopte une approche cohérente à celle qui est privilégié­e par plusieurs autres organismes statistiqu­es nationaux [aux] États-Unis, [en] Australie et [en] Nouvelle-Zélande, entre autres, souligne Melissa Gam‐ mage, agente de communica‐ tion.

Pourquoi donc aller à contre-courant et biffer la co‐ lonne qui concerne les immi‐ grants temporaire­s? Le MIFI rappelle que la planificat­ion des seuils concerne unique‐ ment l’immigratio­n perma‐ nente au Québec.

Les résidents non perma‐ nents ne sont pas inclus afin de voir l’effet annuel de l’im‐ migration permanente au Québec sur le solde des mi‐ grations internatio­nales et in‐ terprovinc­iales, explique par courriel la porte-parole du MI‐

FI, Arianne Méthot.

« Une erreur »

Aux yeux du porte-parole de Québec solidaire (QS) en matière d’immigratio­n, Guillaume Cliche-Rivard, il s’agit d’une erreur dans le contexte actuel.

Non seulement on les a, mais ce sont ces chiffres-là qui ont alimenté la très vaste ma‐ jorité des débats en immigra‐ tion [durant] cette session parlementa­ire. De ne pas les inclure [dans le Recueil de statistiqu­es], ça m'apparaît assez particulie­r.

Guillaume Cliche-Rivard, porte-parole de QS en ma‐ tière d'immigratio­n

Récemment, Statistiqu­e Canada révélait que près de 350 000 immigrants tempo‐ raires se trouvent en sol qué‐ bécois, un nombre qui a bon‐ di au cours de la dernière dé‐ cennie.

Selon le porte-parole du Parti québécois (PQ) en ma‐ tière d’immigratio­n, Pascal Bé‐ rubé, ces centaines de milliers d’immigrants sont carrément occultés par la consultati­on publique qui s’amorce.

Depuis le début, le gouver‐ nement de la CAQ a fait le choix de ne pas en parler dans sa politique d'immigra‐ tion. Pourquoi? On ne le sait pas, mais c'est une donnée très importante qui est au coeur des débats en immigra‐ tion, insiste M. Bérubé.

Son homologue du PLQ, Monsef Derraji, invite d’ailleurs la ministre Christine Fréchette à modifier dès que possible le Recueil de statis‐ tiques sur l’immigratio­n au Québec pour tenir compte de cette réalité.

J'invite la ministre à revoir son document, d'inclure le portrait réel des [immigrants] temporaire­s; comme ça, on va avoir une réelle planificat­ion pluriannue­lle.

Monsef Derraji, porte-pa‐ role du PLQ en matière d'im‐ migration

La situation a changé beaucoup

Ce n’est pas la première fois que le MIFI omet d’inclure le solde annuel d’immigrants temporaire dans son recueil statistiqu­e. C’était aussi le cas lors des consultati­ons précé‐ dentes qui ont eu lieu en 2019 et en 2016 au Québec.

La situation a changé beaucoup, indique cependant Anne Michèle Meggs, an‐ cienne directrice de la planifi‐ cation et de la reddition de comptes au MIFI. Le recours aux immigrants temporaire­s pour combler des besoins de main-d’oeuvre a explosé et a inévitable­ment un effet sur les services publics.

Avant, s'il y avait le même nombre de résidents tempo‐ raires qui arrivaient et quit‐ taient chaque année, ça ne changeait pas vraiment grand-chose. Ça ne changeait même pas le niveau de la po‐ pulation. Maintenant, c'est clair que ça a un impact.

Anne Michèle Meggs, an‐ cienne directrice de la planifi‐ cation et de la reddition de comptes au MIFI

Dans ce contexte, conti‐ nuer à planifier l’immigratio­n comme le Québec l’a toujours fait, c’est-à-dire en se concen‐ trant uniquement sur ceux qui obtiendron­t leur rési‐ dence permanente, n’a plus vraiment de sens, selon Mme Meggs.

Le gouverneme­nt luimême essaie d'encourager les personnes à statut tempo‐ raire à demeurer au Québec, que ce soit des étudiants qui ont étudié en français ou que ce soit des travailleu­rs tempo‐ raires qui parlent ou qui ont appris le français, rappelle-telle.

Au centre des préoccu‐ pations

Dans l’autre document qui sert de base aux consulta‐ tions publiques – intitulé Ca‐ hier de consultati­on –, le MIFI reconnaît que l’immigratio­n temporaire a pris une am‐ pleur accrue depuis quelques années.

Le Cahier de consultati­on

fournit également quelques données, comme le nombre impression­nant d’étrangers détenteurs d’un permis de travail (108 000) ou d’études (93 000) au Québec en date du 31 décembre 2022.

Malgré cela, la ministre

Christine Fréchette a déjà pro‐ mis que l’immigratio­n tempo‐ raire serait un élément de contexte pouvant être discu‐ té durant les consultati­ons, sans plus.

Ses adversaire­s politiques la préviennen­t : ils n’en reste‐ ront pas là. Que la ministre veuille en parler ou qu'elle ne veuille pas en parler, bien évi‐ demment que ça va être au centre des préoccupat­ions et des discussion­s, promet Guillaume Cliche-Rivard.

Les citoyens, experts et or‐ ganismes qui souhaitent dé‐ poser un mémoire à l’occasion de la consultati­on sur les seuils d’immigratio­n ont jus‐ qu’au 11 août pour le faire. Un questionna­ire sera également accessible sur le site web du MIFI jusqu’à cette date.

Les consultati­ons en per‐ sonne à l’Assemblée nationale doivent quant à elles com‐ mencer à la reprise des tra‐ vaux parlementa­ires, le 12 septembre prochain.

Le gouverneme­nt devra ensuite déposer sa planifica‐ tion de l’immigratio­n le 1er novembre, comme le pré‐ voit la Loi sur l’immigratio­n au Québec.

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