Du gaz naturel fossile pour fabriquer des batteries vertes
La Vallée de la transition énergétique ne sera pas alimentée à 100 % par de l’électricité. Certaines bat‐ teries vertes nécessiteront du gaz naturel d’origine fos‐ sile, alors que le distribu‐ teur Énergir, ancienne‐ ment Gaz Métro, a l’inten‐ tion d’y installer son ré‐ seau et n’a toujours pas de client qui opterait pour le gaz renouvelable, a appris Radio-Canada.
Il y a quelques jours, le gouvernement caquiste a an‐ noncé l’aménagement de cette troisième zone d’innova‐ tion située entre Bécancour, Trois-Rivières et Shawinigan, là où Québec veut accélérer le développement de la filière batterie et l’électrification des transports.
Malgré l’intention de Qué‐ bec de décarboner ce secteur, les grandes usines pourraient s’alimenter avec du gaz natu‐ rel d’origine fossile.
En effet, le distributeur de gaz naturel Énergir a l’inten‐ tion de s’y établir. Le 4 avril dernier, cette entreprise a dé‐ posé une demande d’autori‐ sation à la Régie de l’énergie pour réaliser un projet d’ex‐ pansion de son réseau afin d'alimenter le parc industriel de Bécancour.
Le projet à l’étude com‐ prend l’installation d’environ 10,2 kilomètres de conduites. Il vise à alimenter les secteurs qui ne le sont pas à l'heure ac‐ tuelle dans le parc industriel, qui va accueillir les grands fa‐ bricants de composantes de batteries.
Il ne faut pas perdre de vue qu’Énergir répond à une demande de la Société du parc industriel et portuaire de Bécancour de fournir [de l']énergie aux entreprises qui iront s’[y] installer, a souligné le porte-parole d’Énergir, Lam‐ bert Gosselin, dans un cour‐ riel envoyé à Radio-Canada.
Pas d’obligation d'utili‐ ser du gaz renouvelable
Mais surtout, Énergir n’a pas l’intention d’obliger les fu‐ turs clients industriels à consommer du gaz naturel re‐ nouvelable (GNR), comme ce sera le cas avec les futurs rac‐ cordements dans le secteur résidentiel et d’affaires.
Énergir dit vouloir faire la promotion du GNR auprès des industriels, mais le prix demeure trois fois plus élevé que celui du gaz traditionnel, ce qui risque de rebuter les grands fabricants qui vont ve‐ nir s’y établir.
Si le surcoût du GNR pou‐ vait être subventionné ou compensé d’une certaine ma‐ nière, cela permettrait de le rendre encore plus accessible et d’accélérer la décarbona‐ tion de plusieurs entreprises.
Lambert Gosselin, porteparole d’Énergir
Actuellement, Énergir n’a conclu aucun contrat avec de nouveaux clients sur les ter‐ rains qui seront alimentés.
Cela étant dit, des discus‐ sions avec des clients poten‐ tiels sont en cours, selon les documents déposés à la Régie de l’énergie.
Québec appuie Énergir
Une chose est sûre, le gou‐ vernement caquiste est d'ac‐ cord avec l’implantation d’Énergir dans la Vallée de la transition énergétique.
Le 6 avril dernier, la sousministre adjointe à l’Énergie du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie a déposé une lettre d'appui au projet d’Énergir.
Questionné par Radio-Ca‐ nada, le cabinet du ministre Pierre Fitzgibbon dit estimer que le gaz naturel est implan‐ té dans la majorité des parcs industriels au Québec et que certains procédés ne peuvent pas être alimentés par de l’électricité.
Certains projets à Bécan‐ cour nécessitent d’autres sources énergétiques que de l’électricité pour des procédés industriels ou pour du chauf‐ fage et non pour la produc‐ tion d'électricité. La biénergie demeure une stratégie impor‐ tante dans l'arsenal de la tran‐ sition énergétique, a souligné le porte-parole du ministre, Mathieu St-Amand.
Cependant, le gouverne‐ ment affirme que les projets, comme celui de l’usine de Ge‐ neral Motors financée par Québec et Ottawa, seront ma‐ joritairement alimentés à l’hy‐ droélectricité. Nos batteries seront parmi les plus vertes au monde, a assuré M. StAmand en entrevue à RadioCanada.
Le gouvernement ne respecte pas son propre plan
Toutefois, l’implantation d’Énergir est dénoncée par le Regroupement des orga‐ nismes environnementaux en énergie (ROEÉ), qui demande à la Régie de l’énergie de faire preuve de prudence dans l’ap‐ préciation du rôle du gaz na‐ turel dans ce nouveau projet industriel.
Je trouve cela triste que le gouvernement ne soit même pas capable de respecter son propre plan pour une écono‐ mie verte, croit Jean-Pierre Fi‐ net, analyste en régulation économique de l'énergie au ROEÉ.
Dans ses documents dé‐ posés, le ROEÉ rappelle que dans son plan, le gouverne‐ ment a affirmé que les nou‐ veaux projets industriels sont pour le Québec une occasion à saisir afin de construire et d’établir des installations compétitives et vertes.
Ils disent quelque chose et ils font le contraire. C’est scan‐ daleux. Moi, je ne fais plus confiance à ce gouverne‐ ment-là sur la décarbonation.
Jean-Pierre Finet, analyste en régulation économique de l'énergie au ROEÉ
M. Finet croit que l’utilité du gaz naturel n’a pas été dé‐ montrée dans la Vallée de la transition énergétique.
Et s’il y a des usages qui sont plus difficilement électri‐ fiables, il faudrait réserver du gaz naturel renouvelable, ex‐ plique M. Finet.
Avec ce projet, Énergir croit pouvoir distribuer à terme quelque 30 millions de m3 de gaz naturel, ce qui re‐ présenterait l’ajout de plus de 50 000 tonnes de CO2 annuel‐ lement au bilan carbone de la province, selon les calculs du ROEÉ.
« Ce projet, tel que soumis, représente un risque environ‐ nemental qui contribuera à verrouiller le gaz naturel dans l’économie québécoise et ain‐ si à éloigner le Québec de l’at‐ teinte de ses cibles de réduc‐ tion [des émissions] de GES en 2030 et de décarbonation en 2050 », estime le groupe.
Au cours des derniers jours, Énergir a dû défendre son offre de gaz naturel re‐ nouvelable à ses clients, jugée trompeuse par des groupes environnementaux et de dé‐ fense des consommateurs.