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Une interventi­on, un suicide et des questions sans réponse

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Pierre Chapdelain­e de Montvalon Le dimanche 29 jan‐ vier 2023, une équipe de la Sûreté du Québec visite en soirée le domicile de Simon Delorme, 56 ans, infirmier à l’hôpital de Gaspé.

C’est sa fille, Sarah De‐ lorme, qui a décidé d’appeler les policiers, très inquiète parce que son père venait de lui faire ses adieux au télé‐ phone.

Une travailleu­se sociale ac‐ compagne les policiers et à la suite de son interventi­on, elle ne juge pas nécessaire d’hos‐ pitaliser Simon Delorme.

Sur place, les policiers ef‐ fectuent une saisie préventive de cinq armes à feu. Or, une sixième, un fusil de calibre 12, est inscrite au registre.

Celle que Simon Delorme dit aux policiers avoir vendue.

Celle qu’il retourne contre lui dans la nuit de dimanche à lundi.

Des questions sans ré‐ ponse

Depuis le mois d’oc‐ tobre 2022, Simon Delorme ne sortait presque plus de chez lui, note le coroner JeanPierre Chamberlan­d dans son rapport publié au début du mois de mai.

Il écrit qu’un conflit surve‐ nu au travail à l’automne avait occasionné chez l’infirmier un grand stress, mais aussi un sentiment d’injustice, ce qui est corroboré par les témoi‐ gnages de sa famille.

Celui-ci devait se rendre à Québec pour assister à une audience à propos de sa réin‐ tégration au travail le 30 jan‐ vier, quelques heures après la nuit au cours de laquelle l’in‐ firmier a mis fin à ses jours.

Cette perspectiv­e, selon ses proches, l'angoissait terri‐ blement. L’infirmier se sentait incompris, abandonné et hu‐ milié par l’ensemble du pro‐ cessus qui s’est mis en branle à la suite de ce conflit au tra‐ vail, selon les témoignage­s de la famille.

Plusieurs mois après l’évé‐ nement tragique, c’est une in‐ compréhens­ion teintée de co‐ lère qui habite sa fille Sa‐ rah Delorme et le frère de Si‐ mon Delorme, François De‐ lorme.

Pourquoi les policiers de la Sûreté du Québec n’ont-ils pas confisqué toutes les armes à feu ?

Pourquoi la travailleu­se sociale a-t-elle jugé inutile d’hospitalis­er Simon Delorme ?

Colère des proches

Ce sont ces questions qui continuent de hanter les proches de Simon Delorme, questions auxquelles le rap‐ port du coroner JeanPierre Chamberlan­d n'ap‐ porte que peu de réponses, selon la famille.

Quand je regarde le travail qui a été fait par la Sûreté du Québec et la travailleu­se so‐ ciale, très clairement tout le monde a failli dans cette his‐ toire, soutient, amer, Fran‐ çois Delorme.

Que les policiers n’aient pas poussé plus loin la re‐ cherche [de la sixième arme à feu], il y a un bogue, ça ne marche pas, déplore-t-il.

La Sûreté du Québec a re‐ fusé d’émettre tout commen‐ taire à ce sujet.

C'est une incompréhe­n‐ sion partagée par Sarah De‐ lorme. Pourquoi, se de‐ mande-t-elle, les policiers ontils cru son père lorsqu’il leur a dit avoir vendu la sixième arme qu’il possédait ?

Tu ne prends pas de chance, tu cherches jusqu’à ce que tu trouves la preuve que l’arme a été vraiment vendue!, s’indigne la jeune femme.

Visiblemen­t, on s’est fié sur la parole de Simon, mais on se fie sur la parole de quel‐ qu’un qui avait pour objectif de se suicider, ajoute Fran‐ çois Delorme.

Les policiers ont fait confiance à mon père parce qu’ils le connaissai­ent, puis c’est pour ça que d’une cer‐ taine façon mon père est mort, parce qu’ils auraient pu ne pas lui faire confiance et fouiller comme il faut , croit Sarah Delorme.

Par ailleurs, les proches de Simon Delorme ne com‐ prennent toujours pas la déci‐ sion de la travailleu­se sociale de ne pas l’hospitalis­er. Simon aurait dû être amené à l’hôpi‐ tal pour être surveillé, puis ça ne s’est pas fait, constate François Delorme.

Le CISSS de la Gaspésie n’a pas souhaité commenter di‐ rectement ce cas. Dans un courriel acheminé à Radio-Ca‐ nada, il dit néanmoins être empathique à la situation.

L'organisati­on rappelle aussi que [ses] intervenan­ts sont formés pour les crises suicidaire­s et munis d’une grille d’évaluation de la dange‐ rosité d’un passage à l’acte [...]. De la formation est aussi of‐ ferte en continu sur les bonnes pratiques dans les in‐ tervention­s de crise.

Une réaction normale

C’est très dur ce que je vais dire, parce que ce n’est pas ce que les familles veulent en‐ tendre, mais il y a beaucoup de questions qui n’auront pas de réponse, avertit Cécile Bar‐ don, professeur­e au départe‐ ment de psychologi­e de l’UQAM et directrice associée au Centre de recherche et d’interventi­on sur le suicide, les enjeux éthique et pratique de fin de vie.

Selon elle, cette réaction de choc et de colère exprimée par la famille de Simon De‐ lorme est tout à fait normale.

Beaucoup de gens cherchent des réponses à tra‐ vers des accusation­s qu’ils posent contre les interve‐ nants pour essayer de voir s’il y a des choses qui auraient pu être faites autrement, pour sauver leur proche.

La professeur­e mentionne qu’une grande partie du deuil vient avec le fait d'apprendre à composer avec cette ab‐ sence de réponse.

Il s'agit d'un constat parta‐ gé par Sabrina Chamberlan­dMercier, travailleu­se sociale et coordonnat­rice des interven‐ tions externes et des partena‐ riats au Centre de prévention du suicide et d’interventi­on de crise du Bas-Saint-Laurent.

Elle dit aussi comprendre la réaction de la famille de Si‐ mon Delorme.

La douleur va revenir à plusieurs occasions, lors d’an‐ niversaire­s ou durant la pé‐ riode des Fêtes. Il faut s’habi‐ tuer à vivre les événements sans la personne, prévientel­le.

Sabrina Chamberlan­dMercier rappelle qu’il existe des services de postventio­n. Il s’agit d’activités et de ren‐ contres qui visent le traite‐ ment et le rétablisse­ment des personnes exposées à un sui‐ cide.

Dans la pointe gaspé‐ sienne, ces services sont of‐ ferts par les CLSC locaux.

L’important, c’est d’avoir du soutien, d’utiliser les ser‐ vices de soutien aux en‐ deuillés, pour décortique­r pour soi, pour ses proches, les réponses qu’on est capable d’aller chercher et accompa‐ gner une acceptatio­n de ce qui s’est passé, ajoute Cé‐ cile Bardon.

Elle note par ailleurs que les intervenan­ts, dans ce casci l’équipe de la SQ et la tra‐ vailleuse sociale, sont généra‐ lement aussi très affectés par un tel événement.

Les silences du rapport du coroner

La professeur­e Cécile Bar‐ don et Me Patrick Martin-Mé‐ nard, un avocat en responsa‐ bilité médicale pour le cabinet Ménard, Martin Avocats constatent le peu de détails fournis par le rapport du co‐ roner à propos de l’interven‐ tion de la Sûreté du Québec et de la travailleu­se sociale.

Pour sa part, Me MartinMéna­rd soulève plusieurs questionne­ments auxquels ne répond pas ce rapport.

Si les policiers ont jugé le risque suicidaire suffisam‐ ment élevé pour effectuer une saisie préventive des

armes à feu, qu’est-ce qui ex‐ plique que M. Delorme n’ait pas été amené à l’hôpital pour qu’il puisse au moins être éva‐ lué par un psychiatre ?

C’est la question fonda‐ mentale à se poser, mais je n’ai malheureus­ement pas la réponse, explique-t-il.

Même si l’ensemble des armes à feu avait été saisi, ce‐ la ne réduit pas à zéro le risque suicidaire, mentionne par ailleurs Me Martin-Mé‐ nard.

Je ne pense pas que l'inter‐ vention des forces de l’ordre, ici, a véritablem­ent servi à contrôler le risque suicidaire, soutient l’avocat.

Me Martin Ménard rap‐ pelle que les agents de la paix peuvent amener contre son gré une personne à l'hôpital si son état mental présente un danger grave et immédiat.

C’est un pouvoir conféré en vertu de la Loi sur la pro‐ tection des personnes dont l’état mental présente un dan‐ ger pour elles-mêmes ou pour autrui.

De son côté, la professeur­e Bardon rappelle que les déci‐ sions des intervenan­ts sont prises en fonction des élé‐ ments observés au moment où l’intervenan­t est avec la personne.

On ne sait pas ce qui se passe après. Une fois que l’in‐ tervenant a quitté la per‐ sonne, il peut se passer quelque chose qui change complèteme­nt le niveau de danger, mais qui est complè‐ tement hors de contrôle de l’intervenan­t, explique Cé‐ cile Bardon.

Le pouvoir réel des inter‐ venants est dans la qualité de l’applicatio­n d’un processus d’évaluation du risque et de prise de décision basée sur cette évaluation.

Cécile Bardon, professeur­e au départemen­t de psycholo‐ gie de l’UQAM et directrice as‐ sociée au Centre de recherche et d’interventi­on sur le sui‐ cide, les enjeux éthique et pratique de fin de vie

Selon Me Martin-Ménard, la clé dans ce cas est de connaître la teneur exacte de l’interventi­on ainsi que des discussion­s entre les proches et la police qui ont mené à cette interventi­on. Sur ce der‐ nier point, les versions du co‐ roner et celles de la famille di‐ vergent.

On peut lire dans le rap‐ port du coroner qu'une proche de M. Delorme men‐ tionnait qu’il était bizarre et déprimé. Pour sa part, sa fille Sarah assure que son père avait mentionné durant l’ap‐ pel son intention de mettre fin à ses jours. C’est à la suite de cet appel qu’elle décide de contacter la police.

Me Martin-Ménard re‐ grette que le rapport du coro‐ ner ne contienne que peu d'informatio­ns sur la teneur de l’interventi­on et sur ce qui a mené à cette interventi­on.

C'est dommage parce que c'est vraiment les éléments les plus importants dans les dossiers de cette nature pour voir si on a bien évalué la dan‐ gerosité rattachée à l'état mental de M. Delorme, in‐ dique-t-il.

Cécile Bardon note aussi l’absence de détails sur l’inter‐ vention de la travailleu­se so‐ ciale et de son processus déci‐ sionnel qui l’a conduite à ne pas hospitalis­er Simon De‐ lorme.

Dans le rapport du coro‐ ner, on n'a aucune informa‐ tion sur l’interactio­n qui a eu lieu entre la travailleu­se so‐ ciale et M. Delorme. C’est seulement en ayant des dé‐ tails là-dessus que ça peut nous donner une idée à sa‐ voir si la job a été faite correc‐ tement ou pas, soulève-t-elle.

C’est difficile de dire ce qui aurait pu être fait différem‐ ment sans avoir plus de dé‐ tails sur ce qui a été actuelle‐ ment fait.

Cécile Bardon, professeur­e au départemen­t de psycholo‐ gie de l’UQAM et directrice as‐ sociée au Centre de recherche et d’interventi­on sur le sui‐ cide, les enjeux éthique et pratique de fin de vie

Le coroner JeanPierre Chamberlan­d ne for‐ mule pas de recommanda­tion à la suite du décès de Si‐ mon Delorme et a refusé notre demande d’entrevue.

Selon Me Martin-Ménard, une publicatio­n des annexes médicales au rapport du coro‐ ner permettrai­t d’obtenir plu‐ sieurs éléments de réponse quant à l’interventi­on qui a précédé le suicide de l'infir‐ mier.

Besoin d’aide?

Si vous pensez au suicide ou vous vous inquiétez pour un proche, des intervenan­ts sont disponible­s pour vous ai‐ der, partout au Québec, 24/7.

Téléphone : 1 866 APPELLE (277-3553)

Texto : #535353 Clavardage, informatio­ns et outils : www.suicide.ca

Ce n’est qu’une histoire parmi tant d’autres, dit-il. Je suis certain qu’il existe dans le voisinage bon nombre d’his‐ toires de gens qui ont fait preuve de véritable héroïsme pour aider leur prochain.

Tout le monde a fait sa part pour protéger les ci‐ toyens et leurs propriétés lors des feux de forêt dans la ré‐ gion d’Halifax, conclut hum‐ blement Kevin Corkum.

Avec les informatio­ns de

CBC

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