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À Pessamit, le souvenir des feux noirs de 1991 renaît

- Delphine Jung

« C’est à ça, la couleur de l’enfer? » Aline Rock se sou‐ vient très bien s’être posé cette question à l’été 1991, quand les flammes rava‐ geaient la forêt environ‐ nante de Pessamit. Elle n’est pas la seule. Plusieurs autres Innus racontent la même histoire au sujet du ciel sombre qui s’est rapide‐ ment abattu au-dessus de leurs têtes.

J’avais acheté un beau gilet Vuarnet blanc. Puis des cendres ont commencé à tomber, il était couvert de taches noires, se souvient Rita Bacon, qui avait 28 ans à l’époque.

Il faisait chaud, le ciel était noir, on aurait dit qu’il faisait nuit en plein après-midi, c’était une pluie de cendres, j’avais jamais vu un après-midi aussi orange… puis les lampa‐ daires se sont allumés, pen‐ sant qu’il faisait nuit…

Les souvenirs sont encore frais dans la tête de ces Pessa‐ miulnuat qui, aujourd’hui, sont fiers de pouvoir rendre la pareille à leurs amis, cou‐ sins, frères, soeurs, de Maniutenam.

Adèle Bacon-Washish de‐ vait se rendre à un mariage à Sept-Îles. C’est là-bas que sa famille a appris l’ordre d’éva‐ cuation de leur communauté, située 300 kilomètres plus à l’ouest, sur la Côte-Nord.

Rendus à Baie-Trinité, la Sûreté du Québec nous a ar‐ rêtés, nous disant qu’on ne pouvait plus passer. On de‐ vait chercher nos enfants ! Alors on a pu retourner à Pes‐ samit, raconte-t-elle.

Sur place, des autobus at‐ tendaient que les évacués embarquent. Direction Ua‐ shat mak Mani-utenam à l'est et Essipit, à l’ouest.

Adèle et Rita sont restées sur place, prêter main-forte au personnel de soutien : la garde côtière, les pompiers, les gens du conseil de bande… Finalement, une poignée de personnes est restée à Pessa‐ mit, dont deux enfants seule‐ ment.

On s’occupait des chiens que les évacués n’avaient pas pu emmener, on avait réquisi‐ tionné la nourriture du maga‐ sin Northern de l’époque, ra‐ content les deux soeurs.

Dans le ciel, des hélico‐ ptères survolaien­t la commu‐ nauté. On aurait dit que c’était la guerre !, se rappelle Rita.

Bibiane Bacon, la soeur d’Adèle et Rita, les a trouvées chanceuses de pouvoir rester chez elles. Moi je ne voulais pas partir. Je suis née à Pessa‐ mit, chez ma grand-mère, ditelle.

Elle et ses deux filles, dont un nouveau-né d’un an, ont dû s’installer à l’hôtel, car per‐ sonne ne pouvait les héber‐ ger aux Escoumins. C’était pas les vacances dont j’avais rêvé !, lance-t-elle en riant douce‐ ment.

Sandra Rock, âgée de 28 ans à l’époque, ne voulait pas partir non plus. Beaucoup de gens nous ont fait peur. Ils nous disaient que la police al‐ lait venir nous chercher de force dans nos maisons. Alors on est parti à Uashat, dit-elle.

On n’est pas bien ailleurs… c’est toujours un peu l’incon‐ nu.

Sandra Rock

À Uashat, elle a pu rester avec sa famille chez une cer‐ taine Léonie Fontaine. Elle leur avait alors prêté une rou‐ lotte, juste à côté de sa mai‐ son. C’était rassurant d’être chez quelqu’un. On est resté huit jours. Mais on était contents de rentrer à la mai‐ son, ajoute-t-elle.

Aujourd’hui, Léonie Fon‐ taine est décédée, mais plu‐ sieurs années durant, elle a continué à garder contact avec la famille Rock et se ren‐ dait de temps en temps à Pes‐ samit.

Des liens se sont créés cette année-là. Comme le rap‐ pelle Kim Picard. À l’époque, ses parents étaient accueillis chez des inconnus, Françoise et André Fontaine. Les deux familles sont devenues amies. Tellement, que les Fontaine sont désormais hébergés par les Picard, à Pessamit. Encore un retour d’ascenseur que les Innus trouvent bien naturel.

J’admire l’entraide qui existe à l’intérieur de nos na‐ tions. C’est une valeur qu’on a héritée de nos ancêtres et qui se perpétue encore de nos jours.

Kim Picard

Aline Rock, elle, était étu‐ diante infirmière et effectuait son stage au centre de santé de Pessamit. Elle a aidé à la mise en place du plan d’éva‐ cuation. Sa famille a été divi‐ sée : ses parents et sa fille ont été relocalisé­s à Uashat. Son conjoint était parti combattre le feu et elle, elle s’est rendue à Essipit.

Finalement, elle a pu re‐ joindre sa fille de six ans à Ua‐ shat. On a roulé sur la 138 qui était déserte. Je ne me rap‐ pelle pas avoir eu peur, même si on était entouré de bou‐ cane, raconte-t-elle, alors que son conjoint se prépare à faire une petite prière dans la salle communauta­ire.

Paul-André Vollant-Fon‐ taine avait six ans quand le feu a éclaté. Lui aussi garde des souvenirs parfois précis de cette période. Je savais qu’il y avait un incendie, on voyait la fumée, mais ça ne m’inquié‐ tait pas, dit-il.

En voyage avec son père à Québec, il se souvient des images qui défilent dans le poste de télévision, annon‐ çant l’évacuation imminente de sa communauté. On vou‐ lait rejoindre ma mère, même si mes parents étaient sépa‐ rés et que mon père avait une nouvelle conjointe, expliquet-il encore.

Mais c’est aux Escoumins que le jeune Paul-André a at‐ terri. J’ai dû rester avec ma belle-mère durant deux se‐ maines. Une chance qu’on s’entendait bien, mais je me suis beaucoup ennuyé de mes parents, raconte-t-il.

Son père était en effet par‐ ti aider les combattant­s du feu, sa mère était restée à Pessamit.

Je cherchais ma grandmère, ma tante. Je me sentais seul et abandonné.

Paul-André Vollant-Fon‐ taine

Il se souvient de ces mili‐ taires qui lui ont fait goûter pour la première fois de la nourriture de camping.

À son retour, Bibiane s’est emparée d’un long tuyau d’ar‐ rosage et a commencé à net‐ toyer les murs extérieurs de sa maison couverts de cendres. Tout était à nettoyer dans la communauté.

Dans le hall du centre com‐ munautaire, Aline Rock se sent, comme tous les autres, redevable envers Innus de Mani-utenam. Je comprends ce qu’ils vivent. Et j’essaye de les accommoder du mieux que je peux en respectant les émotions de chacun, dit-elle.

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