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Jeux de la Francophon­ie : participat­ion canadienne incertaine

- Julie Dufresne

ENQUÊTE - Dans ses nou‐ veaux bureaux au sein de l’Organisati­on internatio‐ nale de la Francophon­ie (OIF), rue Bosquet, à Paris, Caroline St-Hilaire traverse déjà ses premières tem‐ pêtes. La première mission que lui a confiée la secré‐ taire générale, dans le cadre de ses nouvelles fonctions d'administra‐ trice, a été de se rendre à Kinshasa, en République démocratiq­ue du Congo (RDC), où doivent avoir lieu les prochains Jeux de la Francophon­ie, du 28 juillet au 6 août prochain.

Si elle dit avoir senti beau‐ coup de volonté, elle ne cache pas son inquiétude face aux retards dans les préparatif­s. Et pas que sur des détails : quand nous l’avons rencon‐ trée fin mai, le Comité inter‐ national des Jeux de la Fran‐ cophonie (CIJF) venait tout juste de commander une vingtaine d’ambulances. Les défis sanitaires et de sécurité étaient encore bien réels, sans parler des délais dans la constructi­on d’infrastruc‐ tures.

Est-ce qu’on a des préoccu‐ pations? Oui, dit la nouvelle administra­trice sans détours.

On en a depuis le début. Le temps passe, on est à chaque fois rassurés par les autorités congolaise­s qu’ils [sic] seront prêts. Je sais que le Québec, le Nouveau-Brunswick, le Cana‐ da, la France sont préoccupés. Tout le monde veut que ces Jeux se tiennent, que la jeu‐ nesse congolaise puisse parti‐ ciper à ces Jeux-là. Je pense que la volonté est forte, elle est généralisé­e, mais en même temps, oui, il y a des soucis.

Il y a une dizaine de jours, une délégation composée de représenta­nts d'Ottawa, de Québec et du NouveauBru­nswick revenait de Kinsha‐ sa pour s’enquérir de l’avance‐ ment des préparatif­s. Leurs conclusion­s n’ont pas été ren‐ dues publiques. Mais une source bien informée du dos‐ sier a confié que la mission n’était pas aussi encoura‐ geante qu’espéré. Des inquié‐ tudes demeurent avec l’état d’avancement des travaux, dit cette source.

À Ottawa, on ne cache pas que le départ des athlètes pour Kinshasa préoccupe tel‐ lement qu'on hésite encore à acheter des billets d’avion pour les athlètes. On fait re‐ marquer que la question des retards dans les préparatif­s et d’importants défis sanitaires s’ajoutent au contexte sécuri‐ taire et politique général en

RDC.

Un avis du gouverneme­nt du Canada d’éviter tout voyage non essentiel en RDC est d’ailleurs en vigueur. Non seulement il y a eu des affron‐ tements entre manifestan­ts, opposants et forces de l’ordre lors de manifestat­ions poli‐ tiques dans le contexte des élections générales prévues en décembre 2023, mais il y a des menaces d’actes terro‐ ristes plus particuliè­rement dans l’est du pays, à la fron‐ tière du Rwanda et de l’Ou‐ ganda, où se trouvent des groupes rebelles et où la sécu‐ rité s'est détériorée. Toutes les options sont à l’étude, y compris celle de ne pas y aller, indique notre source.

Le Nouveau-Brunswick est aussi préoccupé à la suite de la mission. Cette visite de sept jours [...] a permis de consta‐ ter qu’il existe des défis au ni‐ veau de l’éloignemen­t du site d’hébergemen­t avec les sites de compétitio­ns et l’aéroport. De plus, plusieurs infrastruc‐ tures sportives sont toujours en constructi­on et certains équipement­s ne sont tou‐ jours pas livrés, a indiqué Jo‐ hanne LeBlanc, directrice des communicat­ions au ministère des Affaires intergouve­rne‐ mentales et de la Francopho‐ nie.

Fredericto­n, qui n’a pas non plus acheté les billets pour ses athlètes, est en ré‐ flexion quant à sa participa‐ tion aux IXes Jeux de la Fran‐

cophonie. À la suite de la vi‐ site à Kinshasa, une recom‐ mandation sera prochaine‐ ment donnée, affirme Jo‐ hanne LeBlanc.

À Québec, c’est le silence complet. Selon nos informa‐ tions, on est aussi en ré‐ flexion.

Le directeur du Comité na‐ tional des IXes Jeux de la Fran‐ cophonie (CNJF) se fait rassu‐ rant : C’est très très avancé [...] on a pris en compte toutes ces observatio­ns, notamment la question de la restaurati­on, on a trouvé un prestatair­e, dit Isidore Kwandja.

Pour la question du trans‐ port, on a réglé ça : le gouver‐ nement a mis à dispositio­n une centaine d’autobus d’une cinquantai­ne de places pour les athlètes. Il y a une voie qui sera mise à dispositio­n uni‐ quement pour le transport des athlètes. Une vingtaine d'ambulances arriveront au plus tard le 15 juin, toutes les questions, y compris la sécuri‐ té, ont été prises en considé‐ ration. La France a aussi offert la possibilit­é de former des médecins pour un « plan blanc (plan d'urgence pour la mise en oeuvre rapide des me‐ sures en cas d'afflux de vic‐ times dans un établissem­ent hospitalie­r, NDLR). Les pays apportent leur contributi­on. Tout est pris en considéra‐ tion. »

Malgré tout, Caroline StHilaire demeure inquiète.

Il y a des choses qui ne sont pas terminées. Moi, c’est ma première expérience comme administra­trice. On me disait que ce n’est pas nouveau, que c’est souvent dans les derniers deux mois où tout va très vite. Est-ce qu’on s’en va vers ça? Je pense que oui. Elle assure qu’il y au‐ ra des Jeux, mais ne peut ga‐ rantir comment ils se déroule‐ ront.

Réduire l’ampleur?

Et pour cause : dans un rapport rédigé à la fin avril et dont Enquête a obtenu copie, Caroline St-Hilaire elle-même tirait la sonnette d’alarme. Elle exposait qu’elle avait relevé la faible prise en compte par la partie congolaise des recom‐ mandations faites en octobre dernier et qui, déjà, soule‐ vaient plusieurs inquiétude­s. Idem pour les recommanda‐ tions des rapports de deux autres missions techniques envoyées en RDC en octobre et novembre, puis en janvier et février derniers.

Dans ce document, le Conseil d’orientatio­n est sans équivoque : il recommande de finaliser et partager avec les États et gouverneme­nts le plan opérationn­el de sécurité détaillé basé sur les risques, au risque de voir plusieurs dé‐ légations réduire leur partici‐ pation.

Non seulement la situa‐ tion de chantiers essentiels apparaît comme critique, mais il manque du matériel médical, de sécurité et d’infor‐ matique. Le document de‐ mande aussi au CIJF de parta‐ ger aux États le plan opéra‐ tionnel de la production télé au risque de ne pas pouvoir produire et diffuser l'événe‐ ment à l’internatio­nal. Même les questions des transports, de l’accueil des athlètes et du protocole n’étaient pas ré‐ glées.

Questionné­e sur le conte‐ nu de ce document, Caroline

St-Hilaire ne se gêne pas pour poser elle-même la question : les Jeux de la Francophon­ie d’une telle ampleur, réunis‐ sant plus de 3000 athlètes de plus d’une quarantain­e de pays, seront-ils encore pos‐ sibles?

Je n’ai pas la solution, mais je pense qu’on doit s’asseoir pour réfléchir à comment on veut des Jeux de la Franco‐ phonie après 2023. Est-ce qu’ils peuvent être moins gros? Est-ce qu’on peut les faire plus modestemen­t? Estce qu’on fait moins de disci‐ plines, est-ce qu’on en fait moins? [...] Il ne faut pas avoir peur de se remettre en ques‐ tion. [...] Oui, ils ont une perti‐ nence. Maintenant, est-ce qu’on peut revoir la forme? Moi, je n’ai pas peur de poser la question.

Sur l’ampleur des futurs Jeux, Québec va plus loin. Le ministère des Relations inter‐ nationales et de la Franco‐ phonie (MRIF) dit suivre très attentivem­ent la situation à Kinshasa. Si on ne veut pas élaborer sur le compte rendu de la mission de ses représen‐ tants sur le terrain ni le coût de celle-ci, il apparaît clair que Québec ne veut plus rejouer dans un tel film.

Le Québec souhaite une réforme en profondeur de la formule et de la gouvernanc­e des Jeux de la Francophon­ie, a répondu Sylvie Leclerc de la direction des communica‐ tions et des affaires publiques au MRIF, quand nous lui avons demandé si les pro‐ chains Jeux devaient être moins coûteux. Le Québec a plaidé à plusieurs reprises dans les instances de l’OIF pour des Jeux centrés sur la jeunesse, de dimension rai‐ sonnable, aux ambitions et budgets mesurés.

Officielle­ment, sur l’am‐ pleur des Jeux, Ottawa se fait plus prudente. Le Canada [...] s’est positionné en faveur d’un événement dont le for‐ mat et l’envergure répondent aux aspiration­s et aux moyens des États et gouver‐ nements membres de l’OIF, a indiqué Daniel Savoie, un porte-parole de Patrimoine canadien.

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